16 janvier 2018
Quatre poètes belges
Quatre poètes, dont trois amis chers, illustrent chacun à leur façon la vitalité de leur art en Belgique romande, « terre de poètes » pour citer un cliché … usé jusqu’à la trame – mais pas entièrement faux. Quelques maisons d’édition, quelques revues, maintiennent le cap, souvent par la grâce du mécénat public ou privé et avec l’aide de quelques figures tutélaires, dont Fernand Verhesen, Jacques Izoard ou Yves Namur.
Commençons par une dame dont j’ai parlé ailleurs, dans mes Quolibets, la piquante Corinne Hoex (1946), historienne d’art et archéologue, romancière et l’auteur d’une quinzaine de recueils souvent elliptiques jusqu’à l’ascétisme. Je reçois, tristes et sombres, des Leçons de ténèbres qui m’évoquent les pièces pour viole de gambe de Marin Marais, où l’exquise Corinne, qui peut se montrer tantôt espiègle, tantôt cruelle, révèle ici sa part mélancolique, quasi désespérée :
Caveau transi.
Humide.
Crypte basse.
Eventrée.
Cierges fumeux.
Crucifix absent.
La suit Marc Hanrez (1934), ce romaniste qui eut l’audace, en dernière année d’études, de pousser la porte de Céline à Meudon et de faire parler celui que le regretté Pol Vandromme appelait Louis. Devenu l’ami de Nimier, puis de Dominique de Roux (excusez du peu), il rédigera le premier essai consacré à l’auteur du Voyage au bout de la nuit. L’homme a vécu aux Amériques ; il a chassé le daim dans les forêts du Wisconsin et enseigné Abellio, Drieu et Morand à des générations d’étudiants. Avec America Felix, il revient, en vers très libres, sur sa jeunesse américaine, baignée par le jazz et par le chant des moteurs de pickups sur les highways. La baie de San Francisco, les forêts giboyeuses, Manhattan et sa magie, Paul Newman lui inspirent une étrange mélopée.
Le troisième ami, Jean-Loup Seban (1748), est un drôle de pistolet : ancien professeur à Princeton, spécialiste du marquis d’Argens, le chambellan du roi de Prusse et l’ami de Voltaire (et le traducteur de l’empereur Julien), pasteur de l’Eglise réformée (qui ne jure que par Apollon), dandy suranné et bibliophile (rien de postérieur à Charles X, car ensuite…), Seban meuble ses loisirs en reconstituant une bibliothèque classique, par l’accumulation de volumes anciens et, surtout, par la composition de sonnets rédigés dans les règles telles qu’énoncées par César-Pierre Richelet (1626-1698).
Hors commerce, ses recueils sont édités à ses dépens avec un soin maniaque, qui va jusqu’à imiter les couvertures marbrées du XVIIIème. Dans L’Epopiade & L’Apolloniade, ce libertin au sens classique, cet érudit précieux avec délectation, chante, en alexandrins, Chénier et Napoléon, Marsyas et Narcisse… et même le dernier César :
Faut-il que pour la paix César se déshonore ?
Abandonner la ville au Dieu de l’Alcoran ?
Comme Jérusalem où règne le Turban ?
Faillir à la vertu de Rome et de la Grèce ?
Le quatrième, André Gascht (1921-2011), un Ardennais éduqué à Anvers à une époque où l’on y parlait français sans crainte, je ne l’ai guère rencontré que deux ou trois fois lors de mes débuts à la Maison des Ecrivains ou aux Riches Claires, ce haut-lieu littéraire de la capitale. L’homme était distant, immensément savant, ironique aussi – un monument de la critique littéraire avec son confrère Jean Tordeur. Spécialiste de Pieyre de Mandiargues, Gascht a, avec une piété qui l’honore, maintenu le souvenir d’un immense poète, Odilon-Jean Périer, que j’ai salué avec émotion dans Aux Armes de Bruxelles. En outre, Gascht a tout fait pour qu’un autre confrère, le lieutenant Auguste Marin, tué sur la Lys le 24 mai 1940, ne sombre pas dans un injuste oubli. C’est en effet André Gascht qui fut l’éditeur des œuvres de ce poète, proche de Périer. J’aime par-dessus tout cette manière de constituer le maillon d’une chaîne…
Quant au poète, pudique et discret, il a donné le meilleur de lui dans un recueil unique publié à quarante-cinq ans, Le Royaume de Danemark. L’ouvrage, réédité avec une préface enthousiaste de Jacques De Decker, traduit en alexandrins classiques l’amertume d’une âme raffinée, les amours impossibles et les désirs inassouvis. Comme souvent en Belgique romande, le poète se révèle syncrétiste, à la fois classique et romantique. Une voix sourde et profonde, qui ne cesse de résonner :
Désir de ta gorge entrevue,
de tes flancs tièdes et secrets,
de tes jambes qui, dans la rue,
lèvent des rêves indiscrets.
Mais tu t’en vas, à peine émue
de ce regard qui te suivait ;
et tu traverses l’avenue,
tu t’éloignes, tu disparais…
Christopher Gérard
Corinne Hoex, Leçons de ténèbres, Le Cormier.
Marc Hanrez, America Felix, Le Bretteur.
Jean-Loup Seban, L’Epopiade & L’Apolloniade,
chez Robert Clerebaut, imprimeur.
André Gascht, Le Royaume de Danemark, Le Taillis-Pré, collection Ha !
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05 janvier 2018
Exit Bernard de Fallois
La mort d'un gentilhomme
Triste début d’année XVIII, qui voit la disparition d’un géant de l’édition française, en fait son doyen, Bernard de Fallois. Né en 1926 dans une famille d’officiers issus de la noblesse lorraine, Bernard de Fallois était agrégé de Lettres classiques : avant d’entrer dans l’édition, il avait été professeur, notamment à Janson-de-Sailly (où il fut le maître de Christian Millau, futur auteur de son écurie, notamment du très allègre Au Galop des Hussards).
Au moment de choisir un sujet de thèse, comme il évoquait, devant un ponte de la Sorbonne, son intérêt pour Marcel Proust, il s’entendit répondre que mieux valait choisir un auteur plus connu ! Fallois s’entêta, il faut toujours suivre sa pente, et prit langue avec la famille de l’oncle Marcel, qui lui ouvrit son armoire aux trésors. Et là, miracle, le jeune agrégé fut l’inventeur de deux inédits de Proust, Jean Santeuil et Contre Sainte-Beuve, qu’il édita, à moins de trente ans, chez Gallimard.
Vers la même époque, Fallois participa aux côtés de son ami Roger Nimier aux aventures d’Opéra et d’Arts, parmi les plus anticonformistes revues de l’après-guerre. Fallois y scandalisa nombre de bien-pensants, par exemple en défendant haut et fort Les Deux Etendards de Lucien Rebatet, immense roman qualifié à juste titre de chef-d’œuvre. A l’époque, Bernard de Fallois fut l’un des rares à saluer le talent du terrible Rebatet, qui moisissait encore sur la paille des cachots républicains. A gauche, Etiemble et Steiner prendront sa suite. Le plus amusant est que, langue de vipère, Rebatet avait trouvé l’article de Fallois « trop lyrique ». Après sa libération, Rebatet put compter sur l’aide du jeune critique littéraire.
Ami de Marcel Pagnol et de Simenon, à qui il consacra l’un des premiers essais d’importance, Fallois fut aussi proche d’Emmanuel Berl et de Raymond Aron - plaisant paradoxe chez ce défenseur de Bardèche, qui, selon une tenace légende, aurait assisté aux funérailles de Brasillach.
Devenu rapidement un notable du monde de l’édition, PDG aux Presses de la Cité, patron chez Hachette, co-fondateur du Livre de Poche, Bernard de Fallois lança sa propre maison en 1987, à plus de soixante ans. Le succès fut immédiat tant l’homme était prudent, madré… et surtout lucide. Huit cents titres en trente ans de travail acharné témoignent du talent de cet éditeur d’une exquise courtoisie, comme en témoignent ses lettres et bristols.
C’est grâce à lui que Jacqueline de Romilly, la grande helléniste, devient un phénomène éditorial et toucha des dizaines de milliers de lecteurs. Tout le monde se souvient du succès ahurissant de Joël Dicker, mais il ne faudrait pas oublier que le manuscrit de cette romance avait été découvert par son vieux complice Vladimir Dimitrijevic, le patron de L’Age d’Homme, qui, sentant le filon, lui proposa de le coéditer.
Pour conclure, ce grand gentilhomme fut certes l’éditeur de grands esprits, Braudel, Peyrefitte (Alain) et Zinoviev, tant d’autres encore. Surtout, il nous offrit une pléiade d’auteurs rares, le regretté Volkoff ("il reste un des grands personnages que j'ai rencontrés dans ma vie d'éditeur", m'écrivait Bernard de Fallois peu après la mort de notre ami commun), mon compatriote et ami Jean-Baptiste Baronian, le très secret Louis Védrines et l’immense érudit François-Georges Dreyfus, le proscrit Alain de Benoist et le stendhalissime Philippe Berthier.
Que la terre vous soit légère, Bernard de Fallois !
Christopher Gérard
Un autre géant de l'édition, et un grand ami de Bernard de Fallois, Vladimir Dimitrijevic, alias Dimitri.
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31 décembre 2017
Souvenirs d’un gandin lettré
Amis lecteurs, vous connaissez tous par cœur ce mot de Baudelaire, qui définit l’esprit dandy comme « le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences » et celui de Jünger pour qui « le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important ».
En porte-à-faux par rapport à une modernité qu’il méprise souverainement, le dandy, nous le savons, oscille entre rébellion aristocratique et mystification narcissique, entre discipline d’airain et alanguissement fin de race. A sa manière, il incarne, parfois aux lisières du ridicule, l’antimoderne, celui qui, sous le masque de la froideur, tente de surmonter la douleur suscitée par notre bel aujourd’hui. Impertinent (ce qui lui est reproché, même par des hommes proches de lui), subversif avec panache, le dandy se révèle avant tout un dégoûté, hanté par la déchéance, qui exalte sa différence au milieu des termites.
Voilà que, par le truchement du cher Patrick Wagner, qui d’une poigne de fer dirige la si précieuse revue Livr’Arbitres, je reçois un curieux opuscule édité au détriment du Bretteur, « près les anciennes Halles de Paris » et qui a pour titre, Mes Tailleurs. Souvenirs d’un gandin lettré. Comment ne pas être séduit ? L’auteur, Bernard Baritaud, m’est inconnu… mais je sais l’estime que lui porte Marc Laudelout – impeccable passeport. Plus que courtois, l’envoi évoque un commun dédain pour les « mièvreries contemporaines ». Hésiter plus longtemps ? Les quatre-vingt-cinq pages se lisent d’une traite ; elles illustrent ces réflexions sur le dandysme tant l’auteur, né à l’extrême fin des années 30, se révèle tout sauf futile lorsqu’il se souvient d’un tailleur de Poitiers, de Dakar, de Bruxelles (Ah, l’Union des Drapiers, avenue Louise puis rue de Namur !) ou de Venise – car l’homme, diplomate ou espion, a beaucoup voyagé, et même vécu outremer. La tête bien faite, car formée par de saines lectures (Stendhal et Morand, Cendrars et Léautaud), Bernard Baritaud a compris que l’élégance vestimentaire, si elle témoigne du maintien en « ce monde de sagouins » d’un type d’homme, est aussi un jeu littéraire : les vrais élégants, au moment de choisir le veston, la chemise et la cravate du jour (de l’heure), se souviennent des hésitations de Maurice Ronet dans Le Feu-follet de Louis Malle, des culottes blanches de Stendhal à la Scala de Milan ou des tweeds de Morand (que feu Marcel Schneider reçut en héritage). Je ne suivrai pas Bernard Baritaud dans tous ses anathèmes (sa condamnation de la pochette, sauf, celle, churchillienne, de sa robe de chambre, ne me convainc guère) ; je puis déplorer certains oublis (il semble ignorer l’existence du chemisier romain Battistoni, à deux pas du Greco, comme celle du jeune tailleur Scavini, à deux pas des Invalides), mais je me réjouis de rencontrer bientôt un habitué de Savile Row, et donc un camarade de combat contre le néant qui tout emporte.
Christopher Gérard
Bernard Baritaud, Mes Tailleurs. Souvenirs d’un gandin lettré, Editions Le Bretteur (lebretteur@free.fr), tiré à cent exemplaires, 11€. La même maison a réédité l’Eloge du duel de Marcel Boulenger et America felix, les poèmes américains du cher Marc Hanrez.
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19 décembre 2017
Matulu, journal rebelle
En plus de vingt-cinq ans, et bien avant la parution d’Une Vie en liberté, ses passionnants mémoires, j’aurai eu de nombreuses occasions d’évoquer le cher Michel Mourlet, écrivain salué tout jeune par Morand et Fraigneau, critique dramatique, théoricien (mac-mahonien) du cinéma et acteur (dans A bout de souffle), défenseur de la langue française, militant souverainiste… Je renvoie le lecteur à Quolibets, mon journal de lectures, où je consacre quelques pages à ce clandestin capital.
Un autre ami, François Kasbi, s’est donné la peine, et avec quel brio, de composer une anthologie de textes parus dans la mythique revue fondée et dirigée par Mourlet au début des années septante, Matulu, et qui, à l’instar de ses aînées Opéra et La Parisienne, fut un temps le rendez-vous des non conformistes. Mensuel artistique et littéraire, Matulu dura trois ans – trente livraisons qui rassemblèrent la fine fleur de l’underground et qui sont autant de trésors sans rien de fané.
Le résultat ? Près de cinq cents pages bien serrées que l’on lira en grognant de plaisir, un verre de pure malt à la main. Brûlot antimoderne, « goélette corsaire » comme l’a un jour définie son fondateur, Matulu maintint sans passéisme ni exclusive un style, une tradition que d’aucuns, en ces années de délire moderniste (« du passé faisons table rase »), entendaient, les fous, éradiquer.
Une revue d’arrière-garde en somme… si ce n’est que les contributeurs étaient tout sauf des idéologues et avaient le sectarisme en sainte horreur.
Au fil de ces bonnes pages, le lecteur croisera Abellio, Etiemble, Georges Mathieu, Jean-Pierre Martinet, Alfred Eibel. Les dossiers sont consacrés à Retz, à Bernanos, à Cossery, à La Fontaine, à Caillois… Montherlant y donne son ultime entretien, intitulé Le Solstice d’hiver (« la glissade et le pétrin ») ; Déon s’y confie (« les romans sont des mensonges »), de même que Morand (« les mots sont la drogue des écrivains ») ou Laudenbach.
En un mot comme en cent, relire le meilleur de Matulu, c’est redécouvrir les marges, les vraies, les précaires – les clandestines. C’est s’initier auprès de maîtres à l’art aristocratique de la dissidence.
Christopher Gérard
François Kasbi dir., Matulu. Journal rebelle (1971-1974), Editions de Paris, 480 pages, 20€. Voir aussi, Michel Mourlet, Une Vie en liberté, Séguier, 450 pages, 22€.
Voir aussi ma chronique sur Une Vie en liberté,
sur ce même site à la date du 3 mai 2016
http://archaion.hautetfort.com/archive/2016/05/03/les-heureuses-rencontres-de-michel-mourlet.html
Et, last but not least, mes Quolibets
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28 novembre 2017
Le retour de l'ataman Krasnov
Brillante idée qu’ont eue les éditions des Syrtes, de rééditer De l’Aigle impérial au drapeau rouge, sans doute le grand roman de la Révolution russe vue du côté « blanc », et par un écrivain de talent qui fut aussi l’un des acteurs de cette tragédie.
Il y a une trentaine d’années, j’avais été frappé par la lecture de ce livre, lu dans l’édition Payot quasi introuvable de 1929, au point, des années plus tard, de suggérer sa réédition à mon éditeur et ami, Vladimir Dimitrijević, qui me parlait avec admiration des officiers blancs qui avaient été ses professeurs dans le Belgrade des années 40. Dimitri, comme tout le monde l’appelait, se souvenait encore de chansons de marches des Blancs.
Officier cosaque, héros de la Guerre de 14, Piotr N. Krasnov (1869-1947) fut aussi un grand voyageur qui arpenta au service du Tsar l’Abyssinie, la Chine et l’Inde. Ethnologue, il rédigea des essais sur ses chers Cosaques. Officier supérieur, il assista aux premières loges à cette « décomposition de l’armée et du pouvoir » qu’un autre général blanc, Anton Dénikine, décrivit dans son exil parisien. Un bref moment favorable au Gouvernement provisoire en raison de son dégoût pour les intrigues de la Cour, le général Krasnov, un moment chef des armées russes (celles du pâle Kerenski), fut proclamé Ataman des Cosaques du Don, et donc chef de l’état cosaque. Réfugié en France puis, hélas ! pour lui, en Allemagne, il fut un écrivain célèbre dans l’émigration, et même au-delà, puisque ce roman connut douze traductions.
Vaste fresque à la russe (la traduction française est le résumé de sept cents pages d’un ouvrage bien plus volumineux), ce roman-fleuve digne d’Alexandre Dumas (mais un Dumas qui s’interroge sur la nature du Christ et sur la fatalité du Mal – un Dumas dostoïevskien) retrace la descente aux enfers de la Sainte Russie, depuis l’avènement de Nicolas II, le dernier Romanoff, jusqu’à l’atroce Guerre civile. Inépuisable, le sang russe y coule à flots bouillonnants, emporté par le vent de folie furieuse qui dévaste la Sainte Russie. Rouges ou (surtout) blancs, ses personnages fascinent en raison du talent qu’avait l’écrivain de décrire des figures tragiques, comme celle du général de cavalerie Sabline, son double romanesque, un temps aide du camp du Tsar, ou ce colonel Matsnev ( !), cynique à l’âme pure qui cite Ovide et Anacréon et considère Schopenhauer comme son maître. En réalité, le principal personnage du roman, c’est l’Armée impériale russe avec ses traditions séculaires, son éthique de l’honneur et ses préjugés de caste, ses grandeurs et ses servitudes. Krasnov perçoit bien le lent pourrissement des âmes et des caractères qui aboutit au chaos révolutionnaire dont tirera profit une clique de fanatiques inhumains– le portrait de l’immonde Lénine glace le lecteur. Celui d’une intelligentsia « hors sol », dirions-nous aujourd’hui, c’est-à-dire traîtresse et aveuglée par ses rêveries infantiles (utopies & bergeries, comme sous Louis XVI) révèle un maître. Le titanesque basculement d’une société usée, mais aussi travaillée par des officines ennemies, y est analysé avec brio, de même que le grand jeu à l’œuvre contre la Russie dès la Guerre russo-japonaise, et sans doute bien plus tôt.
Dans ce roman, Krasnov se montre germanophile et anglophobe, posture qui annonce d’une certaine façon son engagement aux côtés du IIIème Reich dès 1941, quand il prend la tête d’une croisade antibolchévique sous les ordres d’un tyran qui ne voyait dans l’immense masse russe qu’un fumier appelé à engraisser le Herrenvolk. Livré par les Anglais en 1945, Krasnov affrontera la mort avec le courage – et la naïveté ? – de ces admirables officiers blancs.
Un autre roman, très court lui, de Claudio Magris, Enquête sur un sabre (Gallimard), retrace les pathétiques derniers mois de cet état cosaque replié dans les montagnes du Frioul.
Oui, le vieil ataman fait rêver les écrivains… tout en leur donnant quelques belles leçons – l’inoubliable scène du cauchemar au Palais d’Hiver, quand le jeune Sabline monte la garde auprès de l’Empereur, sans oublier la fresque des caves sataniques de la Tchéka.
Christopher Gérard
Piotr N. Krasnov, De l’Aigle impérial au drapeau rouge, Editions des Syrtes, 730 pages, 25€.
Voir aussi :
http://archaion.hautetfort.com/archive/2006/11/19/russes-blancss.html
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