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22 février 2018

Alain Daniélou, ou le paradoxe incarné

 

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Conférence prononcée à l’occasion des rencontres du 20 janvier 2015

à la Villa Empain (Fondation Boghossian, Bruxelles)

 

François Mauriac, comparant un jour Alain d’une part à son frère Jean, le jésuite nommé Cardinal par Paul VI, de l’autre à sa mère, Madeleine, qui, dit-il, « fut presque une sainte », Mauriac donc évoquait « le mystère Daniélou » pour traduire son embarras face à l’itinéraire si singulier de ce Breton initié au shivaïsme orthodoxe, et devenu le chantre du polythéisme hindou. De son côté, Hergé écrivait ces mots à Alain Daniélou : « c'est un itinéraire en zigzag  (on pense au labyrinthe, bien sûr) que vous avez suivi avec en filigrane un autre itinéraire, plus rectiligne, celui de l'aventure spirituelle. »

Paradoxal  est à mon sens le terme qui s’applique le mieux à ce cheminement, et je prends ici le terme paradoxal dans son sens étymologique : para-doxos, qui en grec signifie « contraire à l'attente commune » et même « extraordinaire », car cette épithète définit bien Alain Daniélou, un homme toujours prêt à se libérer d’attaches lorsqu’elles devenaient des carcans. Car l'une des principales leçons d'Alain Daniélou, que je vais tenter de vous faire mieux connaître, et apprécier, par le biais d’un exposé sans rien d’académique, c’est une leçon de fantaisie et de liberté aristocratique : l’homme Alain Daniélou ne fut jamais là où on l’attendait, toujours rétif aux conventions, et sans pose aucune, toujours rebelle aux conformismes. Un maître de liberté qui, toute sa vie, pratiqua l’exercice salutaire que constitue la permanente remise en question des évidences les mieux établies, qui toute sa vie refusa le dogme, qui par définition ferme les portes de la connaissance.

Paradoxal, le destin d'Alain Daniélou l’a été depuis sa naissance en 1907, puisqu'il était le fruit d’une union atypique  dans une France qui sortait à peine de l’affaire Dreyfus : fils à la fois d'une fervente catholique, pour ne pas dire bigote, chez qui sera fondée la revue Esprit ; et d'un père radical-socialiste breton, ami et collaborateur d'Aristide Briand, plusieurs fois ministre sous la IIIème République.

Dès ses débuts le jeune Alain révèle une profonde appétence pour le fil rouge de toute son existence, la découverte de ce qu’il appelle « le substrat divin et merveilleux de l’éternité » - qui pourrait servir à définir le concept hindou de dharma.

A 4 ans, il édifie dans un bois son premier sanctuaire : pierres polies, images de la Vierge et des saints bretons – un premier temple, en somme, et qui n’a rien de chrétien, une première manifestation d’un paganisme spontané. Ce premier temple est profané par les adultes, qui l’interprètent de travers et vaut au petit païen, par dérogation papale, de faire sa première communion à 4 ans.

Quelques années plus tard, adolescent, il se met à vénérer, et là de manière consciente, la Lune, à laquelle il dédie rites et prières. A la fin de sa vie, retiré près de Rome, il s’amuse à peindre la geste du Dieu Mithra dans ce qu’il appelle, mi-figue mi-raisin, son mithraeum.

Dans ses mémoires, ce merveilleux livre qu’est Le Chemin du labyrinthe, voici comment il définit la posture d’une vie : « je me suis toujours attaché à la recherche de ces liens secrets qui unissent tous les aspects du monde, de ces principes communs à la musique, au langage, à l’architecture mais aussi aux proportions de l’être vivant, aux plantes, aux bêtes, aux hommes. C’est là que j’ai retrouvé Dionysos. » On songe à ces grands esprits de la Renaissance, Michel-Ange ou Léonard de Vinci.

Plus loin, il précise : « je n’ai jamais eu une âme et un corps séparés. » Phrase essentielle, car témoignant d’un refus de toute forme de dualisme.

 

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Alain Daniélou incarne ainsi de manière exemplaire l’homme de première fonction sacerdotale, celui qui collabore avec les Dieux, celui qui, je cite, « utilise tous les moyens perceptifs, intuitifs et intellectuels dans le but d’essayer de percer l’énigme du monde visible et invisible. » Telle est la définition exacte du druide celtique ou du brahmane indien.

Voué à une quête de ce que les Hindous appellent le sanathana dharma, la tradition pérenne, Alain Daniélou se révèle aussi artiste jusqu'au bout des ongles : la musique, le chant, la danse, le dessin, ne cesseront jamais de le nourrir. Un artiste, qui fut aussi un rebelle : rompant avec le catholicisme maternel, il se lance à corps perdu dans le Paris des Années folles, où il fréquente Cocteau et Max Jacob, Sauguet et Stravinsky. Autre paradoxe, le futur professeur de l’Université hindoue de Bénarès, l’auteur de 40 livres, le directeur d’instituts culturels à Berlin et Venise, commence sa brillante carrière internationale en autodidacte complet.

Sa seconde naissance a vraiment lieu en Inde, chez le poète Tagore au Bengale, puis sur les rives du Gange, chez les pandits  - les lettrés traditionnels - de Bénarès, où il passera une quinzaine d'années à étudier le sanskrit, la musique et la théologie hindoue. Alain Daniélou parvient en effet à se faire initier de manière régulière au shivaïsme traditionnel sous le nom de Shiva Sharan, le protégé de Shiva. Jusqu'à sa mort, il se fera l'interprète en Occident d’un hindouisme qu'il connaît et décrit de l'intérieur par le biais de traductions, d'études et de récits littéraires. De photographies aussi, car cet homme infatigable sillonne l'Inde avec son ami Raymond Burnier  à bord d'une caravane pour photographier, le premier, les temples perdus dans la jungle, révélant au monde les splendeurs de Khajuraho ou de Konarak, ainsi qu'une société millénaire encore intacte.

Ce qui transparaît dans les splendides clichés, en partie publiés dans L'Inde traditionnelle et dont on a pu voir il y a quelques années à Bruxelles une sélection à la librairie Chapitre XII, c’est l’absence de rupture « cartésienne » entre le photographe et son modèle. Au contraire : les corps, les visages et les temples métamorphosent le regard du photographe comme celui de qui les admire en silence.

A Bénarès, il suit l'enseignement oral de Swami Karpatri, célèbre renonçant de l'Inde du Nord, défenseur du système des castes comme d'une société fondée sur le respect du Dharma, la Tradition éternelle. Hostile au colonialisme depuis un voyage de jeunesse en Algérie, où il prend parti pour les indigènes mais, encore un paradoxe, nullement au nom d’une quelconque forme de messianisme politique mâtiné de haine de soi, comme souvent chez les partisans du tiers-monde, Daniélou assiste ainsi à la fin de l'Inde britannique et aux débuts de la République indienne, qu’il soutient et dont il compose l'hymne national sur un poème de Tagore. Il intervient à l’époque sur Radio India dans un sens très favorable à l’Inde indépendante, comme l’Indien d’adoption qu’il est devenu. Autre paradoxe : Nerhu, qu’il connaissait, lui confia un jour que le nouveau régime voulait détruire ce que Daniélou appréciait tant : les castes, les temples, les danseuses, la sagesse millénaire,…

 

 

Après Bénarès, il gagne Madras et Pondichéry, où il collabore aux travaux de l'Ecole française d'Extrême Orient : il est alors encouragé par Louis Renou et Jean Filliozat, les maîtres de l’indianisme français, même si le monde académique demeure réticent devant cet authentique lettré qui a le toupet d’abolir la sacro-sainte distance entre le sujet et l’objet et pratique au contraire l’identification du chercheur avec l’objet d’une quête qui le transforme, ce lettré qui parle le sanskrit et pour qui la tradition indienne n'a rien de mort ni de muséifié. On imagine un prêtre d'Amon prenant la parole à un colloque d'égyptologie …

Daniélou regagne ensuite l'Europe, pour y diriger des instituts d'étude de la musique en collaboration avec l'UNESCO, dans le Berlin de la guerre froide, puis à Venise. C'est à lui que nous devons la découverte, et sans doute la sauvegarde, de maintes musiques traditionnelles. C'est Alain Daniélou qui révèle, notamment, le prodigieux Ravi Shankar.

L'œuvre d'Alain Daniélou surprend par sa variété comme par sa richesse: traités de musicologie comparée, traductions du sanskrit (celle du Kâma Sûtra remportera un succès international) et du tamoul, essais sur le yoga (dès 1949, bien avant la mode où le pire côtoiera le meilleur) et sur la spiritualité hindoue, mais à mille lieues de l'orientalisme de bazar qui envahit alors l'Occident.

Ses livres, près de quarante, traduits en de nombreuses langues, permettent de mieux comprendre comment l'Inde a réussi, malgré les guerres et les invasions, à préserver son identité millénaire et, en même temps, à protéger ses minorités : « l’Inde, écrivait-il, est la seule des grandes civilisations du monde antique qui ait survécu et dont l’apport, s’il était mieux connu, pourrait bouleverser profondément la pensée du monde moderne, et provoquer une nouvelle Renaissance. »

Cet esprit fut aussi un humaniste d’un genre particulier : hostile à l’anthropocentrisme – auquel est  trop souvent  aujourd’hui confondu l’humanisme classique -, il était de ces rares sages qui acceptent les contradictions humaines, surtout quand elles ne se résolvent pas. Conscient des éternelles alternances, il était toujours désireux d’aborder un texte, un fait ou une personne sous tous les angles, et sans jamais s’arrêter à une quelconque réduction. Il y a chez Alain Daniélou un refus permanent de toute forme de dogmatisme, y compris à prétentions traditionalistes – comme on peut l’observer chez le théoricien du traditionalisme intégral, René Guénon (à l’égard de qui Alain Daniélou reconnaît une dette, sans pour autant perdre on indépendance de jugement comme trop de disciples psychorigides) : « Il faut rester conscient de ce que les explications de la genèse du monde et du destin de l'homme ne sont valables que relativement. La réalité ultime reste toujours inconnaissable. Une délicate limite sépare une conception cosmologique de la création et de l'évolution de son application historique. Dès qu'on prétend détenir une vérité et en faire un dogme, on tombe dans l'erreur. »

Passeur de la tradition, Alain Daniélou ne donna jamais dans les poses de grand initié ou de chef d’école.

Sa profonde connaissance de la vision hindoue du monde était fondée sur la dialectique des contraires, le refus du dogmatisme, la relativité des morales et la multiplicité des approches. Ce polythéisme des valeurs en actes comme en pensée a permis à Alain Daniélou de développer, sur une base traditionnelle (car il n’invente rien : il transcrit une pensée plurimillénaire), une critique aussi sévère que pertinente de l’erreur monothéiste : « tous les monothéismes – et l’islam est le plus absolu – sont par nature intolérants. Leurs adeptes se prennent pour un peuple élu détenant des instructions personnelles révélées par « Dieu » à leur prophète. Cela aboutit à un complexe de supériorité au nom duquel tous les crimes, tous les génocides, toutes les vengeances peuvent apparaître comme des guerres saintes et passer pour des vertus. » Ces lignes n’ont pris aucune ride, au contraire : elles confirment la lucidité d’Alain Daniélou, qui mettait en lumière l’erreur métaphysique du monothéisme, de la monolâtrie en tant que, primo, projection du moi humain dans la sphère divine et secundo en tant que remplacement du respect de l’œuvre divine par la soumission à un personnage fictif et par l’obéissance aveugle à ses diktats, qui ne sont jamais que la projection d’ambitions et d’une volonté de pouvoir bien humaines, trop humaines. Ecoutons Alain Daniélou, dans Le Destin du monde d’après la tradition shivaïte : « En personnalisant le logos, en réduisant les hiérarchies transcendantes à un personnage unique de type humain, les religions soi-disant monothéistes ont simplifié et singulièrement faussé toutes les conceptions du cosmos, de la nature du monde et du divin ». Plus loin, « les monothéismes réduisent les hiérarchies célestes à un unique maître d’école avec lequel prophètes et pontifes prétendent communiquer et qui les chargent de faire appliquer de prétendues lois morales et sociales d’invention humaine comme si l’homme était le centre et la raison d’être de l’univers. »

Il souligne aussi le fait, tristement quotidien, que les diverses monolâtries s’excluent mutuellement, chaque Révélation  recevant de son dieu jaloux, de son tyran céleste des instructions contradictoires, qui sont autant d’instruments d’obscurantisme, de guerre et d’oppression, des  Inquisiteurs d’hier aux islamistes d’aujourd’hui. Le monothéisme se révèle en fait pour ce qu’il est : une fiction politique fondée sur une erreur métaphysique, « le principe du monde, rappelle Alain Daniélou, étant au-delà du nombre, impersonnel, indescriptible, inconnaissable ».

L’Inde traditionnelle avait repéré le risque de dérive monolâtre, quand il y a, dans l’esprit de certains hommes, confusion entre le dieu d’élection, l’Ishta devata, ce que Alain  Daniélou définit comme « l’aspect sous lequel chacun de nous choisit de se représenter le divin et de le vénérer », quand il y a confusion en cette divinité d’élection avec la réalité de l’Etre universel, quand la dévotion d’une figure élue se mue en négation des autres visages du divin – comme c’est le cas dans l’Ancien Testament ou dans le Coran.

Alain Daniélou souligne aussi que la monolâtrie prépare, outre les totalitarismes, le matérialisme, puisqu’elle remplace la réalité des puissances célestes que sont les Dieux par des abstractions. Au contraire, les écoles hindoues, même celles qualifiées d’athées comme le Sâmkhya, reconnaissent l’omniprésence de l’invisible, le respect du mystère et de l’inattendu, ainsi que « le principe de la tolérance, qui n’est que le respect des voies multiples de la recherche du divin ».

 

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La bibliothèque d'Alain Daniélou au Labyrinthe

Dans Le Polythéisme hindou, la somme des enseignements transmis par son maître Swami Karpatri, Alain Daniélou expose avec une clarté lumineuse le génie du polythéisme, qui dit-il « met en avant les divers plans et degrés de la manifestation du monde et des énergies qui y président. » Le polythéiste, qu’il soit hindou ou grec, vénère le dieu dont il se sent le plus proche à un moment de son parcours spirituel, celui dont la forme permet la concentration la plus complète. Il demeure toutefois toujours prêt à admettre les autres divinités « conçues comme la manifestation de forces distinctes émergeant de l’Immensité inconnaissable et indéterminée ».  « A chaque degré de sa montée, il découvre un état de moindre ou de plus grande multiplicité qui convient à son propre état de développement et il évolue, partant des formes extérieures du rituel et de la morale, vers les aspects les plus abstraits de la connaissance et du non-agir. Ces aspects sont représentés formellement par divers groupes de symboles statiques, les dieux, et de symboles actifs, les rites. L’adepte, à mesure qu’il avance sur le chemin qui mène à la libération, choisit pour chaque degré les dieux et les rites qui conviennent à son développement et qui sont à sa portée. Durant le pèlerinage de la vie (voilà bien l’existence d’Alain Daniélou parfaitement définie), le polythéiste va d’un temple à l’autre, il pratique différents rituels, différents modes de vie, différentes méthodes de développement intérieur. Il reste constamment conscient de la coexistence d’une multitude de voies menant vers le divin. »

Un autre élément qu’il faut mettre en évidence est le courage intellectuel de Daniélou, qui, non content d’être spirituellement incorrect, ose critiquer en profondeur le mythe occidental du progrès indéfini et la doxa égalitaire : « Le gouvernement des marchands, sous l’aspect de la démocratie, laisse une apparente permissivité mais, par son exploitation des ressources et des hommes, se révèle incapable de conserver l’unité du groupe et s’autodétruit dans un lent processus suicidaire. » Ses réflexions sur le monde moderne, vu d'ailleurs, témoignent d'une réjouissante liberté de pensée, devenue bien rare.

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Vu par son ami le peintre Mac Avoy

 

L’indianiste shivaïte (un oxymore, pour un esprit positiviste) défend ce qu’il appelle la "civilisation des différences" dans plusieurs de ses ouvrages, dont Les Quatre sens de la vie ; les castes vues comme une protection optimale pour les groupes ethniques et religieux établis en Inde depuis 4000 ans, des juifs aux parsis, des aborigènes aux bouddhistes. Le témoignage de Daniélou, qui a longuement observé ce système de l'intérieur (lui-même se définissait comme un mleccha – un barbare), permet de rejeter nombre de légendes dictées par l'ignorance ou l'idéologie. Dans Les Quatre sens de la vie, il critique en effet l'hybridation inconsidérée, l'abâtardissement tant physique que psychique comme des formes de décadence : « Toutes les civilisations qui n'ont su ni éviter les mélanges ni donner à chacun sa place, qui ne préservent pas les droits des plus faibles, sous prétexte de donner les mêmes droits à tous, ont toujours oscillé entre le génocide et le suicide, et ont disparu dans le désordre et la confusion. » Ou, plus loin : « L'égalisation théorique d'éléments inégaux et différents est la plus sûre méthode d'établir l'injustice de fait, et notre ignorance volontaire de la hiérarchie naturelle du créé risque d'entraîner l'humanité vers un échec général ». Nombre de ses textes critiquent les génocides culturels qu’il a pu voir en action lors de ses voyages sur les cinq continents, particulièrement en Afrique – Alain Daniélou nous livre ainsi une critique traditionnelle du colonialisme. Lire Daniélou constitue ainsi un excellent remède contre les utopies niveleuses, contre les chaleureuses impostures, sources d’illusions et de malheurs sans nombre.

Concluons. Alain Daniélou nous livre un témoignage de première main sur un univers à la fois proche et lointain, celui de l’Inde traditionnelle, une société antique qui aurait survécu jusqu’à nos jours. Plus important, il nous permet surtout d’opérer une conversion du regard en nous proposant d’observer notre monde avec la distance requise – paradoxale.

Homme complet, à la fois artiste accompli et savant, adepte d’un savoir amoureux, quasi érotique, il peut être vu comme un prince de la Renaissance, ou plutôt comme l’un de ces Grecs de haute époque, que Nietzsche, dans le Gai savoir ,définissait  comme « superficiels par profondeur ».

Plutôt qu’un improbable guru, dont il était le premier à se gausser, voyons-le plutôt comme un éveilleur.

 

Christopher Gérard

Bruxelles, le 20 janvier MMXV

 

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Le film sur l'itinéraire d 'Alain Daniélou

 

Consulter le site de la Fondation Daniélou : https://www.find.org.in/

 

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20 février 2018

Aux Armes de Bruxelles

 

Une heure d'entretien à bâtons rompus avec Jacques De Decker,

Secrétaire perpétuel de l'Académie royale :

 

https://www.dailymotion.com/video/x6dqf62

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Il existe une autre Bruxelles, celle que Christopher Gérard, amoureux de nos racines grecques et romaines, passionné par l'histoire de sa ville, attentif au destin de notre poudreuse Europe, nous raconte avec une érudition qui n'est jamais pesante car toujours soutenue par l'humour; par cette nécessaire insolence qui est la marque des esprits libres.

Gabriel Matzneff, Le Point

 

Un cicérone esthète, érudit et gourmand.

Michel Mourlet, La Nouvelle revue universelle

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Une écriture merveilleusement ciselée, un humour discret, une solitude un peu tragique et une gourmandise assumée (...) l'un des plus beaux livres de flâneur jamais écrits.

Olivier Maulin, Valeurs actuelles

 

Qu’y-a-t-il de plus rasoir qu’un guide touristique ?… Eh bien, d’un difficile exercice de visite guidée Christopher Gérard a su faire un conte enchanteur.

Thierry Marignac, Antifixion

 

Un amoureux fou de Bruxelles nous livre avec entrain ses flâneries urbaines d'une qualité rare. L'écriture s'avère sensuelle, fluide, aisée.

Marc Danval, Brussels Magazine

 

Et le lecteur de mettre ses pas dans les leurs, pour une promenade légère, érudite, sapide, un brin sélect aussi, car les bas-fonds aussi y sont choisis avec soin. Une de ces pérégrinations en camarades comme on en ferait mille autres, mais qui demeure gravée, unique, dans la mémoire du cœur. 

Frédéric Saenen, Le Carnet et les instants

https://le-carnet-et-les-instants.net/2017/08/31/gerard-aux-armes-de-bruxelles/

 

Le livre d’un civilisé.

Vladimir Dimitrijević

 

Rarement ville aura été autant choyée dans une prose aussi chaleureuse, aussi vibrante, jadis et aujourd'hui confondus, avec érudition, noblesse et simplicité. Nous savons en refermant ce livre que le Belge refuse de marcher en file indienne.

Alfred Eibel, La Revue littéraire

 

Une délicieuse flânerie dans un haut lieu de la civilisation du Saint-Empire, sous la conduite d’un guide qui sait à la fois voir, décrypter et écrire.

Bruno de Cessole,  Valeurs actuelles

 

Un insaisissable flâneur, tantôt aristo-mondain, tantôt populo-voyou.

Frédéric Saenen,  Parutions.com

 

Christopher Gérard, infatigable piéton de Bruxelles, infatigable lecteur, infatigable fouineur, excentrique rêveur.

Jacques Franck, La Libre Belgique

 

Léger, vif, jubilatoire, euphorique, espiègle. C’est le ton d’un mousquetaire septentrional qui connaît tous les secrets de sa capitale et nous les fait partager. (…) Christopher Gérard est délicieusement gourmand, il sait préparer les plats tout autant que les livres. Sous sa main experte, l’initiation à sa ville devient comme une dégustation à livre ouvert. Les arts de la plume et de la table y voisinent. Alexandre Dumas et Brillat-Savarin réunis

François-Laurent Balssa, Le Choc du mois

 

Aux Armes de Bruxelles renvoie des parfums de librairie ancienne, de salon de thé et de fine restauration. Le tout est patiemment élaboré, du bout de la plume, par un mousquetaire intrépide.

Alain Bertrand,  Les Amis de l’Ardenne

 

Un quadrillage alerte et précis, peuplé de fantômes illustres.

Claire Devarrieux, Libération

 

Aux Armes de Bruxelles serait dès lors l’ouvrage d’un collectionneur d’antiques qui aurait trempé sa fibule dans l’encre du souvenir. Une petite douceur qui envoûte par un effet de sortilège tout ghelderodien.

Rony Demaeseneer,  Le Carnet et les instants

 

Vous avez l'imagination nervalienne et rien n'est plus rare aujourd'hui.

Philippe Barthelet

 

Ainsi, grâce à votre texte à la foix charmeur et savant, je finirai par me souvenir de ce que j'ai manqué - oui, tout cela est exquis et douloureux."

Guy Vaes  

 

Il faut savoir flâner, s'attarder, savoir perdre un peu de temps, et vous le faites de façon raffinée.

Ghislain de Diesbach

 

 

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Lien vers l'éditeur : http://www.pgderoux.fr/fr/Livres-Parus/Aux-armes-de-Bruxelles/249.htm

 

et page FB de ce livre :

 

https://fr-fr.facebook.com/Aux-Armes-de-Bruxelles-188935114508115/

 

Écrit par Archaïon dans Opera omnia | Lien permanent | Tags : bruxelles, littérature belge |  Facebook | |  Imprimer |

19 février 2018

Présence de Michel Déon

 

 

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Dans Bagages pour Vancouver, émouvant volume de mémoires, Michel Déon rappelait sa volonté, et celle de ses amis, dont le regretté Pol Vandromme, de faire respirer à ses lecteurs « un air moins malsain que celui de notre époque »  tout en réintroduisant dans ses livres « le plaisir et la mélancolie de vivre, une certaine dignité devant l'œuvre de la mort. » Le moins que l’on puisse dire est que l’actualité récente illustre que ce combat ne finira jamais. La Mairie de Paris, probablement pour de basses raisons idéologiques (en réalité esthétiques : rien de plus implacable que la haine du beau et du vrai), ne refuse-t-elle pas d’accorder un refuge aux cendres de l’écrivain qui, Parisien de naissance, a si bien chanté la rue Férou et la Rhumerie martiniquaise ? Comble de l’élégance, ledit refus est notifié par un scribouillard à peine quinze jours après le décès de Chantal Déon, la veuve du vieux gentilhomme. Dieux merci, la toile s’est enflammée, toutes générations confondues, et une centaine de confrères, toutes sensibilités mêlées, a manifesté sa consternation.

Un joli livre des éditions Séguier, une maison à l’ancienne qui publie des bijoux d’élégance (par exemple les souvenirs du cher Michel Mourlet), salue la mémoire de Michel Déon. L’auteur, Christian Authier, est critique au Figaro et romancier (Prix Roger Nimier) ; essayiste, il a évoqué Clint Eastwood et Patrick Besson. Il prend aujourd’hui la suite de Pol Vandromme, qui, dans Le Nomade sédentaire, avait naguère salué son ami de cinquante ans.

Les Mondes de Michel Déon, une biographie se lit d’une traite, « comme un roman » pour user d’un truisme, par la grâce d’un style fluide et d’une empathie quasi amoureuse pour l’écrivain. Quelques clichés en noir et blanc illuminent le texte, dont celui où l’on voit Michel Déon embrasser Jacques Laurent lors de l’entrée de ce dernier à l’Académie, ou cet autre d’un jeune seigneur de 1936 posant devant un College de Cambridge.

Authier souligne le talent que possède Déon d’enchanter et de désenchanter dans un même élan  son lecteur par le biais de livres, oui, déchirants et qui donnent souvent l’impression d’être né trop tard. Des Gens de la nuit aux Poneys sauvages, Déon a traduit ce discret mais tenace désespoir et l’on a eu tort de le qualifier d’écrivain du bonheur. Déon, écrivain tragique, donc – terme toutefois absent chez Authier.

Pourtant, d’où provient, lorsqu’on referme cette biographie, l’impression de rester sur sa faim, comme après avoir dégusté une pâtisserie trop sucrée ? Du style consensuel de son auteur ? De ce manque de densité propre aux néo-néo-hussards ? De l’absence de faits nouveaux, du caractère si attendu des sources où le biographe a puisé : ni archives, ni correspondance, ni articles (de L’Action française au Figaro, en passant aussi par Défense de l’Occident), ni même ses trente ou quarante livres illustrés ne sont conviées au festin ?

Bref, il reste à écrire une grande biographie critique du grand antimoderne que fut Michel Déon, écrivain tragique.

 

Christopher Gérard

 

Christian Authier, Les Mondes de Michel Déon. Une biographie, Editions Séguier, 21€

 

Voir aussi mon adieu à Déon sur Archaion, à la date du 31 décembre 2016

 http://archaion.hautetfort.com/archive/2016/12/31/exit-michel-deon-5893194.html

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Il est question de Michel Déon dans Quolibets 

 

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Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |

31 janvier 2018

Jan Bakhyt, poète archéofuturiste

 

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Jan Bakhyt, poète archéofuturiste

 

Né au Kazakhstan à la fin du règne de Staline, le poète russophone Bakhytjan Kanapianov alias Jan Bakhyt, est un singulier personnage : ingénieur métallurgiste et producteur de cinéma, boxeur (champion du Kazakhstan en 1968), militant antinucléaire (il a participé au nettoyage de Tchernobyl), éditeur indépendant, bref un homme complet au parcours à la fois archaïque et futuriste.

Tout jeune, ce descendant de Genghis Khan publie ses premiers poèmes, qui attirent l’attention de celui qui deviendra son maître, Olzas Souleimanov, l’un des grands écrivains kazakhs, futur ambassadeur à Rome et à l’Unesco, et l’un des meneurs du mouvement antinucléaire. Comme Souleimanov, géologue de formation, Bakhyt a commencé par des études scientifiques avant de bifurquer vers le cinéma et la poésie. Traduit en une douzaine de langues, candidat au Prix Nobel, il était encore peu connu du public francophone, d’où l’intérêt de la publication, à la Manufacture des livres, de ce premier recueil remarquablement traduit en français par un autre boxeur, Thierry Marignac.

Ce dernier explique bien dans sa postface la difficulté de traduire la poésie, surtout quand elle provient d’un univers aux antipodes du nôtre. Même s’il écrit en russe, Bakhyt pense en Kazakh, en descendant des nomades turco-mongols. C’est là que réside le caractère puissant de l’homme et de sa poésie : il traduit dans la langue d’Akhmatova et de Pasternak, aînés à qui il paie son tribut, l’imaginaire épique des steppes d’Asie centrale. Et Marignac de transcrire cette métamorphose dans la langue de Valéry ! Le résultat me laisse pantois, et empli d’admiration tant le traducteur fait preuve d’une constante rigueur pour rendre la fermeté d’âme du Kazakh.

Ce qui frappe à la lecture de ces poèmes, c’est aussi leur caractère foncièrement panthéiste, et, pour tout dire, païen. A l’image de ses ancêtres rhapsodes, Bakhyt ne conçoit jamais la poésie comme un jeu formel, même s’il rassemble dans ses textes la richissime expérience poétique russe du XXème siècle. En effet, Bakhyt chante les puissances et « les idoles de pierre que personne ne nomme », la fidélité aux aïeux, la reconnaissance due aux maîtres, les chamois des montagnes et les oies sauvages, les tchabanes, ces berges de l’Asie centrale dont le nom fait songer aux chamanes. Chamane, oui, ce poète inspiré qui s’exclame : « Je suis fils du monde, je crois à son éternité / ô terre des steppes, nous sommes coupables devant toi ». Chamane, celui qui chante les Toumanes, ces bataillons du temps de Genghis Khan, et le culte encore vivace du cheval : « Le chant déferle, les sabots en cadence / Sous moi, le cheval est heureux / Et d’une mélodie oubliée la substance / dans mon cœur propage le feu. »

Tantôt, Bakhyt, « poète à mi-temps astrologue ébloui », rappelle la Grande Terreur de 37 et les camps perdus dans le brouillard, tantôt il évoque les néons de Moscou ou les pins bleus d’Alma-Ata.

Une voix purificatrice, primitive au sens le plus profond du terme, transcrite avec autant de probité que de talent.

 

Christopher Gérard

 

Jan Bakhyt, Perspective inversée, SL Publications, La Manufacture des livres, 216 pages.

 

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18 janvier 2018

Guy Dupré, clandestin capital

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Rue Vieille du Temple, chez Guy Dupré, clandestin capital.

Stéphane Barsacq m'apprend la mort de Guy Dupré, sans doute l'un des tout grands écrivains français et certainement l'un des plus secrets.

 

"Tout homme digne de ce nom est en guerre. C'est un royaume à délivrer, une Prusse intérieure à sauver de la déréliction, une guerre civile à surmonter."

Guy Dupré, dans Matulu, 1986.

 

"Dans le bleu des soirs d'Île-de-France pareil au bleu de Prusse des matins d'exécution, je chercherais longtemps encore le secret de conduite qui permet de lier la douceur sans quoi la vie est peu de chose au déchaînement intérieur sans quoi la vie n'est rien."

Guy Dupré, Les Manœuvres d'automne, 1997.

 

Si un auteur méritait le titre de clandestin capital, c'est bien Guy Dupré, qui débuta en littérature en 1953 par un chef d'œuvre salué par André Breton, Julien Green et Albert Béguin. A juste titre considéré comme une résurgence du romantisme allemand, Les fiancées sont froides est en effet un livre culte qui, génération après génération, envoûte une poignée de lecteurs séduits par le ton  incantatoire, unique dans les lettres françaises contemporaines ; par le style elliptique comme par l’ironie doucement féroce d’un écrivain de race. Ce récit intrigant se déroule sur les rives désolées de la Baltique, où l'on suit les dérives amoureuses et guerrières d'un hussard

Editeur chez Plon, Dupré a publié dans les années soixante, au plus fort de l’infernale sarabande, une édition abrégée des Cahiers de Maurice Barrès ainsi que ces fameuses Chroniques de la Grande Guerre, fatales à l'ancien Prince de la jeunesse. Voilà qui donne une idée du personnage, à l'écart et à rebours du siècle. Sa signature se lit dans les principales revues littéraires des quarante dernières années, de La Parisienne à la Nouvelle Revue de Paris, de La Table ronde à Combat, en passant par Arts ou Matulu. Omniprésent sur le front des Lettres mais toujours en retrait, Dupré évoque une sorte de Père Joseph, figure rendue plus mystérieux encore par un je ne sais quoi d'asiatique, comme Paul Morand. C’est que sa grand-mère - à Guy Dupré - était nippone, et, de cet héritage ancestral, il a gardé un côté ascétique et décalé. Une présence, qu’on imagine en armure, la main sur la poignée du sabre, ou calligraphiant un poème avant l’assaut. Une légende aussi: cet écrivain tôt remarqué ne s'imposa-t-il pas vingt-huit ans de silence avant de publier un deuxième roman, Le Grand Coucher? A Grégoire Dubreuil qui l'interrogeait sur cette retraite digne d'un Chartreux (ou d'un moine shintoïste), il lâcha, superbe: "je ne voulais pas devenir une "main à plume", mais continuer à prêter l'oreille à mes voix". 

Elève de Gracq, lecteur de Nerval et de Breton, ami d’Abellio comme de Green, Guy Dupré est inclassable, mais pourquoi ne pas le qualifier, pour faire bref, de surromantique ou d’onironique ? Romancier ? Certes : trois aérolithes en témoignent, que viennent de republier les éditions du Rocher dans la même élégante maquette que celle des deux derniers Fraigneau (ami de Dupré, bien sûr). Essayiste ou mémorialiste ? En fait, Guy Dupré se rit des étiquettes : « la littérature française, dit-il, ne peut reverdir qu’au prix de la confusion concertée, symphonique et raisonnante des genres considérés longtemps comme autonomes et antinomiques ». Conception héraclitéenne de la littérature, où s’harmonisent les contraires, où du chaos méthodique naît une troublante beauté.

Ce qui frappe dans ces trois romans, comme dans ses souvenirs en forme d’essais, c’est la place du mythe chevaleresque : dames, adoubements, culte des anciens, service inutile, bref un imaginaire à mille lieues des fadeurs de l’époque. Ainsi que la présence, obsessionnelle et quasi hallucinée, d’un Eros funèbre : veuves de la Grande Guerre ou uhlans glacés, l’essentiel chez Dupré reste que la volupté exhale un parfum de caveau.

Une image en appelant une autre, ses trois romans évoquent tous la décadence, celle du cher vieux pays miné par la guerre civile, manie (du grec mania : folie) bien gauloise et qui remonte haut, au Bellum gallicum, quand des tribus qui ne s’aimaient point se trahirent avec allégresse pour la plus grande gloire de César. Le destin de deux officiers français, le capitaine Dreyfus et le colonel Bastien-Thiry, symbolise aux yeux de Guy Dupré l’affaissement continu (1895-1963) de ce qui fut la première puissance continentale jusqu’à la Révolution, saignée à blanc dans les tranchées de Verdun. Avec une insolente virtuosité l’écrivain saupoudre ses romans – tout particulièrement Les Mamantes - d’informations cryptées sur le métier de seigneurs, celui pratiqué dans les sections spéciales, les loges sauvages et autres bureaux d’études. Un Volkoff qui, nuit après nuit, ne songerait qu’à l’Allemagne, l’Allemagne seule, « Teutonia, notre mère à tous » pour citer l’un de ses frères.

L’écrivain égare son lecteur dans les méandres de l’histoire occulte, celles des conjurations et des sodalités inavouées, qu’il chante dans un style elliptique, presque hautain, souvent ironique, toujours sérieux, car il a fait sienne cette bonne pensée de Julien Green : « la littérature n’est pas un jeu, mais la vie même ».

 

Christopher Gérard

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Je dis nous, de Guy Dupré

 

Un clandestin capital : tel est Guy Dupré, écrivain précieux au sens noble du terme, dont les débuts furent salués, il y a cinquante ans, par André Breton. Voilà qu’il nous revient, grâce à la Table ronde - à écrivain mystique maison mythique - qui réédite une anthologie de textes non romancés, mais appartenant à la plus haute littérature. Préfaces, hommages ou études s’étendant de 1952 à 2005 composent ce recueil, où Guy Dupré révèle sa fascination pour le IV° ordre, celui des armes. Car chez lui, la plume et le sabre - Nerval et Jünger, Barrès et Abellio  - font excellent ménage. De même, les montages et les opérations subversives font ses délices. L’homme a en effet une connaissance ahurissante des arcanes de la Révolution, de l’Affaire du Collier … à l’Affaire Dreyfus (« un Sedan intérieur ») – car il s’agit toujours de la même offensive sournoise contre la première puissance du continent. Incollable sur Barrès (qu’il aurait dû éditer dans la Pléiade), capable de réciter des centaines de pages sur « l’intransmissible secret des tranchées », Dupré est l’un de ces initiés sauvages qui traversent les coulisses, un noble voyageur qui maintient et transmet une flamme, celle du cher vieux Pays.

 

Christopher Gérard

 

Entretien avec Guy Dupré

 

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Qui êtes-vous? Toute votre œuvre, essais et romans confondus, témoigne d'une puissante nostalgie, celle d'un Ordre mystique et guerrier. Quelles sont les racines de cette double vocation sacerdotale et militaire?

Historiquement parlant, j’appartiens à la première génération française d’anciens non combattants. J’étais de l’une des trois classes exemptées du service militaire pour avoir été touchées, pour ceux qui n’étaient pas étudiants, par le S.T.O. À l’âge de Guy Môquet j’étudiais l’Énéide au lycée Henri IV dans la classe de Georges Pompidou. Un de mes camarades de seconde, au collège de Saint-Germain-en-Laye, Marco Menegoz, rejoignit un maquis en 44 : fusillé sans qu’on ait donné son nom à une station de métro. Autre condisciple, Pierre Sergent, engagé en 44 et devenu capitaine dans la Légion étrangère ; lors du putsch d’Alger, il rallia ceux que le général de Gaulle a appelé les « officiers perdus ». Un autre, Michel Mourre, affilié à dix-sept ans au francisme de Marcel Bucard, entra au séminaire, y perdit la foi, et se retira d’une autre façon du siècle en s’attelant à son monumental Dictionnaire d’Histoire universelle. J’avais dû, pour ma part, mes rations de survie aux Baudelaire et Rainer Maria Rilke, aux Normands Flaubert et Barbey d’Aurevilly, aux Apollinaire et Milosz qui n’avaient pas une goutte de sang français dans les veines. Sans prétendre à substituer la satiété à la disette, j’entrai dans l’après-occupation avec la volonté de me revancher sur les années de rationnement et dénutrition qui avaient menacé mes sources vives. A mon aversion pour les sectateurs de l’absurde, sartreux et camusards, se liait mon rattachement intérieur à l’ordre militaire mort à Hiroshima, où naquit la mère de mon père. Une sorte d’obligation de participer au Ve acte de l’armée sur les théâtres d’opérations extérieures, en supplantant dans son ton le souffleur. D’exprimer à ma façon « le trouble de l’armée au combat » selon l’expression du général de Gaulle, dont le général Weygand, qui lui non plus n’avait pas une goutte de sang français dans les veines, me disait qu’il « n’avait pas trop de deux églises à Colombey pour s’y confesser de ses péchés ». Au croa-croa des corbeaux au col Mao ce serait préférer le chant du cygne de l’antique honneur militaire. Chant du cygne qui me mettait dans tous mes états – ces états qui me feraient remonter jusqu’aux débuts de la guerre franco-française, commencée avec la dégradation du capitaine Dreyfus pour finir avec l’exécution du colonel Bastien-Thiry. L’honneur du capitaine Dreyfus est de n’avoir jamais été dreyfusard. Le péché de Barrès, comme celui du Bernanos de La grande Peur des Bien-Pensants, est de n’avoir pas compris que Dreyfus était de leur bord, lié par le secret professionnel, et qu’il importait de l’isoler, de le détacher de son parti, pour honorer en lui l’officier perdu, l’officier sauvé d’un chapitre inédit de Servitude et grandeur militaires.

 

Parmi les constantes de votre œuvre, il y a cette loi de Sainte-Beuve. Comment s'est-elle imposée à vous?

C’est dans son unique roman, Volupté, que Sainte-Beuve, qui fit Hugo cocu, a placé dans la bouche de son héros Amaury l’énoncé de ce que j’ai appelé la « loi de Sainte-Beuve ». Amaury, né dans les dernières années de la monarchie, raconte à un jeune ami les souvenirs de jeunesse de sa propre mère : « Comme les souvenirs ainsi communiqués nous font entrer dans la fleur des choses précédentes et repoussent doucement notre berceau en arrière ! » Pour nous, retourner vers la mémoire d'avant, ce serait le temps que nos mères apprirent à épingler de petits drapeaux sur la carte des départements envahis. Trop jeunes pour devenir veuves, elles correspondirent avec le promis dont elles étaient les marraines de guerre. Entre la communauté des « morts pour la patrie » et nos esseulements, une transfusion s’opérait. Nous n’aurions pas trop de cette jeunesse souterraine pour réchauffer l’hiver de la feue France. Quant à la querelle entre maréchalistes et généralistes, comment aurions-nous pu opposer le général me voici au maréchal nous voilà ? Pareils à ces tritons barbus, ces monstres marins que Marcel Proust entrevoyait à l’Opéra, dans l’ombre transparente de la baignoire de la princesse de Guermantes, et dont on n’aurait su dire s’ils étaient en train de pondre, nageaient ou respiraient en dormant. Comment les jugerions-nous, les opposerions-nous, quand, à nos yeux, leur justification secrète était de nous entretenir dans le mystère douloureux et glorieux d’où tout découle et qui s’appelle le mystère du temps ?

 

Votre premier roman, Les Fiancées sont froides, s'inspire du romantisme allemand bien plus que du surréalisme. Thanatos me paraît la figure tutélaire de ce livre ensorcelant, et la désertion l'un de ses thèmes principaux. Après vingt-huit ans de retraite, vous publiez Le grand Coucher, un peu votre Guerre civile. Avec Les Mamantes, vous développez le thème de la Mère (si possible veuve), préférable à la Fille (si possible vierge). Peut-on y voir le reflet d'une obsession, celle du refus d'engendrer? En fin de compte, l'écrivain n'est-il pas souvent fils et père de personne?

Dans chacun de mes trois romans le narrateur s’adresse à l’autre : dans Les Fiancées sont froides le hussard devenu écrivain public s’adresse à un hussard qui pourrait être son fils et qui a lui-même déserté ; dans Le Grand Coucher le récitant dédie son mémoire à la veuve qui servait d’appeau au colonel recruteur ; l’amant en deuil des Mamantes explique à une jeune vivante pour quelles raisons occultes il a si longtemps refusé de lui faire l’amour « à la papa ». Il y a chez les trois désertion, abandon de corps, refus de reconnaître le père comme le fils – trahison de l’histoire humanoïde au profit d’une affiliation d’ordre extra-mondain. Il leur faut transgresser la loi naturelle, substituer à la loi du sang qui régissait l’ancien pacte social la règle d’une transmission elle-même garante d’une filiation élective.

 

Quel regard jetez-vous sur les Lettres françaises d'aujourd'hui? Quelles lectures conseilleriez-vous à un impétrant?

Même en littérature, disait Barrès, il y a avantage à n’être pas un imbécile. Nuançons le propos : « Il y a avantage, en littérature, à ne pas entrer dans la descendance de Monsieur Homais » - avantage à ne pas prendre les lampions du 14 juillet pour les lumières du siècle. « Je m’ennuie en France, disait Baudelaire, parce que tout le monde y ressemble à Voltaire ». Aujourd’hui comme avant-hier la référence aux « lumières » est un cache-misère et le laïcisme dévot la canne blanche dont les mal-voyants se font un gourdin. A l’âge où je ne voyais pas très clair, trois livres m’avaient aidé à remettre la pendule à l’heure : Les Sources occultes du romantisme, d’Auguste Viatte ; L’Âme romantique et le rêve, d’Albert Béguin ; La Poésie moderne et le sacré, de Jules Monnerot. A ce trio salvateur, permettez-moi d’ajouter le théologien allemand H. Urs von Balthasar, dont Albert Béguin m’avait cité ce passage sur le temps que j’aimerais choisir comme épigraphe et épitaphe : « Des temps et des destins antérieurs reçoivent leur sens de temps et de destins ultérieurs, les temps antérieurs sont si peu enfermés dans le moment de la durée qu’ils ont occupé et si peu irrévocablement passés qu’ils restent au contraire directement accessibles en tout temps. Et cet accès est de telle nature qu’il détermine leur essence – passée seulement en apparence – et qu’il les transforme continuellement avec le progrès du temps. »

 

Novembre MMVI

Voir aussi :

 

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Écrit par Archaïon dans Hommages | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |