Présence de Michel Déon (19 février 2018)
Dans Bagages pour Vancouver, émouvant volume de mémoires, Michel Déon rappelait sa volonté, et celle de ses amis, dont le regretté Pol Vandromme, de faire respirer à ses lecteurs « un air moins malsain que celui de notre époque » tout en réintroduisant dans ses livres « le plaisir et la mélancolie de vivre, une certaine dignité devant l'œuvre de la mort. » Le moins que l’on puisse dire est que l’actualité récente illustre que ce combat ne finira jamais. La Mairie de Paris, probablement pour de basses raisons idéologiques (en réalité esthétiques : rien de plus implacable que la haine du beau et du vrai), ne refuse-t-elle pas d’accorder un refuge aux cendres de l’écrivain qui, Parisien de naissance, a si bien chanté la rue Férou et la Rhumerie martiniquaise ? Comble de l’élégance, ledit refus est notifié par un scribouillard à peine quinze jours après le décès de Chantal Déon, la veuve du vieux gentilhomme. Dieux merci, la toile s’est enflammée, toutes générations confondues, et une centaine de confrères, toutes sensibilités mêlées, a manifesté sa consternation.
Un joli livre des éditions Séguier, une maison à l’ancienne qui publie des bijoux d’élégance (par exemple les souvenirs du cher Michel Mourlet), salue la mémoire de Michel Déon. L’auteur, Christian Authier, est critique au Figaro et romancier (Prix Roger Nimier) ; essayiste, il a évoqué Clint Eastwood et Patrick Besson. Il prend aujourd’hui la suite de Pol Vandromme, qui, dans Le Nomade sédentaire, avait naguère salué son ami de cinquante ans.
Les Mondes de Michel Déon, une biographie se lit d’une traite, « comme un roman » pour user d’un truisme, par la grâce d’un style fluide et d’une empathie quasi amoureuse pour l’écrivain. Quelques clichés en noir et blanc illuminent le texte, dont celui où l’on voit Michel Déon embrasser Jacques Laurent lors de l’entrée de ce dernier à l’Académie, ou cet autre d’un jeune seigneur de 1936 posant devant un College de Cambridge.
Authier souligne le talent que possède Déon d’enchanter et de désenchanter dans un même élan son lecteur par le biais de livres, oui, déchirants et qui donnent souvent l’impression d’être né trop tard. Des Gens de la nuit aux Poneys sauvages, Déon a traduit ce discret mais tenace désespoir et l’on a eu tort de le qualifier d’écrivain du bonheur. Déon, écrivain tragique, donc – terme toutefois absent chez Authier.
Pourtant, d’où provient, lorsqu’on referme cette biographie, l’impression de rester sur sa faim, comme après avoir dégusté une pâtisserie trop sucrée ? Du style consensuel de son auteur ? De ce manque de densité propre aux néo-néo-hussards ? De l’absence de faits nouveaux, du caractère si attendu des sources où le biographe a puisé : ni archives, ni correspondance, ni articles (de L’Action française au Figaro, en passant aussi par Défense de l’Occident), ni même ses trente ou quarante livres illustrés ne sont conviées au festin ?
Bref, il reste à écrire une grande biographie critique du grand antimoderne que fut Michel Déon, écrivain tragique.
Christopher Gérard
Christian Authier, Les Mondes de Michel Déon. Une biographie, Editions Séguier, 21€
Voir aussi mon adieu à Déon sur Archaion, à la date du 31 décembre 2016
http://archaion.hautetfort.com/archive/2016/12/31/exit-michel-deon-5893194.html
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Il est question de Michel Déon dans Quolibets
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