24 octobre 2019
Avec Jacques Terpant
Né en 1957, Jacques Terpant, l’un des maîtres de la bande dessinée française, est scénariste et dessinateur, mais aussi un lecteur fidèle à ses premières émotions et un homme qui revendique son enracinement dans la Drôme de ses ancêtres, où il vit en ermite. Il s’est fait connaître à Métal hurlant, puis par sa série Messara, et ensuite par ses adaptations de romans de son ami Jean Raspail (Sept cavaliers, Les Royaumes de Borée,…) dans un style graphique qui évoque la fameuse ligne claire des Belges. Les céliniens l’apprécient, lui qui a dessiné la couverture d’un Bulletin célinien et illustré un roman graphique qui se passe à Meudon vers 1960, Le Chien de Dieu.
Aujourd’hui, il publie un album édité avec soin (cartonné, cousu, etc.) où il salue quarante auteurs qui, depuis l’enfance, ont formé une sensibilité à la fois de coureur des bois et de hobereau. Quarante écrivains, quarante portraits à la plume, en noir et blanc donc pour retracer une sorte de panthéon littéraire, d’Enid Blyton à Sylvain Tesson, d’Hemingway à La Varende. Parmi les portraits les plus réussis, je pointerais ceux, saisissants, de Lovecraft, Céline, Morand, et bien entendu celui du Consul général de Patagonie, le cher Jean Raspail. On y trouve aussi un étonnant Drieu en dandy de la Belle Epoque, ou encore Moebius et Ramuz. Ces planches sont précédées d’un fort long texte de son ami Patrick Bellier. Labyrinthique, l’évocation par ce dernier d’allusions familiales quelque peu confuses fatigue parfois le lecteur, dont l’œil se repose illico grâce aux planches de Jacques Terpant, authentique artiste.
Christopher Gérard
Jacques Terpant, Trait. Portraits, textes de Patrick Bellier, Editions Lohengrin, 88 pages, 18€, à commander directement à l’éditeur https://editionslohengrin.com/index.php/product/trait-portraits/ ou sur Amazon.
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22 octobre 2019
Jasmine Catou, détective
Né en 1956, Christian de Moliner, est agrégé de mathématiques, ancien professeur et essayiste. Parmi ses derniers ouvrages, Islamisme radical, comment sortir de l’impasse ?, paru aux éditions Pierre Guillaume de Roux.
Il est aussi romancier prolixe dans le genre apocalyptique. Un drôle de pistolet donc, qui fait appel à une célèbre attachée de presse de Saint-Germain-des-Prés, qui est à elle seule un personnage d’anthologie… et de roman.
En effet, Agathe, l’un des personnages de son dernier livre, Jasmine Catou, détective, est le double limpide de Guilaine Depis, intrépide défenseuse des écrivains qui lui confient ses livres (https://guilaine-depis.com/).
Je dis l’un des personnages, car l’héroïne n’est pas Guilaine, mais bien Jasmine, élégante chatte aux yeux verts qui, impériale, trône sur la couverture. Dans la vraie vie, Jasmine est l’assistante, ô combien zélée, de Guilaine. Dans ce roman, une pochade écrite à la diable par pur plaisir, Christian de Moliner la métamorphose en détective qui, à coups de griffes et de miaulements, communique à sa maîtresse les résultats de ses enquêtes sur, dans le désordre, la mort suspecte de l’immonde Sossers, éditeur véreux s’il en est, sur la disparition d’un bracelet magique ou encore sur le mystérieux fantôme de la rue du Dragon.
Le tout est bien enlevé, plein de charme et de fantaisie, non dénué de coquilles.
Christopher Gérard
Christian de Moliner, Jasmine Catou, détective, Éditions du Val (sur Amazon uniquement), 10 sesterces.
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28 août 2019
Avec Ludovic Maubreuil
A propos de Cinématique des muses
Naguère, j’ai évoqué le premier essai du cher Ludovic Maubreuil, Le cinéma ne se rend pas, ainsi que son Bréviaire de cinéphilie dissidente, tous deux publiés chez Alexipharmaque.
Né en 68, Ludovic Maubreuil est un cinéphile passionné à l’immense culture, résolument à contre-courant, comme le montre son site http://cinematique.blogspirit.com/.
Pour lui, la cinéphilie est une servante de la philosophie, à rebours de l’actuelle doxa qui réduit le cinéma à un jeu gratuit. Pour Maubreuil, les salles obscures sont devenues autant de cavernes au sens platonicien : des lieux où règnent le mensonge et le dévergondage, des dortoirs pour consommateurs fatigués.
Voilà qu’il nous propose avec Cinématique des muses une étrange galerie de vingt-et-un portraits moins d’actrices que de muses – ou d’initiatrices. Toutes ont ceci en commun qu’elles l’ont, telle Circé, pris dans leurs rets. A dessein, et non sans une élégante impertinence, Maubreuil a écarté les stars, offertes à tous les regards et si omniprésentes. Non, ce qu’il lui faut, ce sont les rares, les fées, les apparitions, les femmes ultimes d’Abellio. Mimsy Farmer, Tina Aumont, la troublante Johanna Shimkus (Les Aventuriers !), et, cette fascinante allégorie de la Mort, Cathy Rosier, l’inoubliable pianiste du Samouraï de Melville, celle aux pieds de qui tombe Jef Costello, l’arme (déchargée) à la main.
Maubreuil use de son érudition encyclopédique autant que non conventionnelle (il a vraiment tout vu et tout retenu) pour mettre en forme cette nostalgie née de l’émotion suscitée par l’apparition à l’écran d’une femme ensorcelante, par le destin souvent contrarié de ces muses disparues.
Christopher Gérard
Ludovic Maubreuil, Cinématique des muses. Vingt égéries secrètes du cinéma, Pierre-Guillaume de Roux, 216 pages, 18€
On dit du mal de Ludovic Maubreuil dans Les Nobles Voyageurs
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23 août 2019
Avec Pierre Mari
Le titre, En Pays défait, annonce la couleur : l’auteur, Pierre Mari (1956), auteur d’essais sur Rabelais et Kleist, mais aussi de romans, ne donnera ni dans le consensus mou ni dans le tiède acquiescement. La collection où il publie sa charge contre les mandarins d’aujourd’hui abrite quelques brûlots (les zélotes de Sartre & Foucault en prennent pour leur grade) ; son éditeur, le cher Pierre-Guillaume de Roux, s’inspire sans se cacher le moins du monde de ces précieux volumes allongés de couleur brune (Libertés 49, dirigée par Jean-François Revel) que Jean-Jacques Pauvert éditait dans les années 60 et où l’on retrouvait Berl et Papaïoannou, d’Holbach et Barbey. En cherchant bien chez les bouquinistes survivants, on trouve encore pour quelques euros ces pamphlets d’un autre temps.
Mari, lui, est bien du nôtre, de temps, qu’il qualifie, dans une langue toute classique, de « bagne anthropologiquement inédit » - ce qui est bien vu, puisque, naguère encore, « tout le monde n’appartenait pas au même temps ». Les aspects déplaisants de l’époque, de toutes les époques, pouvaient être compensés par la survie de bulles temporelles comme par la possibilité de « faire dialoguer l’ici et l’ailleurs, le jadis et le maintenant ». Cette possibilité, cet échappatoire sont lentement mais sûrement éradiqués, sous nos yeux, avec la complicité active d’élites aussi déconnectées qu’indifférentes : « Je parle de vous tous qui bénéficiez d’une forme ou d’une autre de consécration, et chez qui j’observe la même pathologie, entretenue et même cultivée : l’incapacité de dire les choses comme tout le monde les sent – l’empêchement de sentir juste et fort. Comme si, dès qu’on échappe à l’anonymat, un implacable constat de tiédeur devait être signé avec la machine pourvoyeuse de visibilité. » Docilité et convenance sont de toutes les époques certes, comme l’abaissement moral, mais depuis les années 80, l’universelle démission, la rupture névrotique du lien civilisationnel, l’amnésie forcée sont devenues la règle. Le désarroi, l’accablement de Pierre Mari, qui sont ceux de toute une génération, la mienne, proviennent de notre impuissance à comprendre ce qui nous est arrivé.
Comment ce « morne alignement des têtes » que, naïfs, nous croyions propres aux défunts régimes à parti unique, comment cette insupportable langue de coton (un salut en passant à François-Bernard Huyghe qui, le premier, analysa cette dernière), comment ce déclin du courage civique et ce conformisme hargneux se sont-ils ainsi imposés ? C’est ce mystère, ce désir mortifère de sombrer que le talentueux Pierre Mari dissèque d’un scalpel sûr, sans anesthésie.
Christopher Gérard
Pierre Mari, En Pays défait, Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 186 pages, 16€
Voir aussi
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21 août 2019
Avec Paul Morand
« Voyager, c ‘est s’étonner ; sinon le voyage n’est plus qu’un déplacement » disait Paul Morand (1888-1976) à la fin de sa vie. Le remarquable Bains de mer, bains de rêve & autres voyages de la collection Bouquins rassemble des récits, connus ou non, de cet extraordinaire voyageur, intuitif et charnel, orfèvre de notre langue et incollable de manière désespérante, car l’homme savait tout, voyait tout et écrivait comme personne.
Suez et Bangkok en 1925, la malle des Indes et celle d’Ostende-Douvres, la Venise de Byron et d’Henri de Régnier (Morand y fit quarante séjours), Capri et Tanger, Ispahan et Buenos Aires, la Bretagne encore inviolée (« ce qu’il y a de plus beau en France, de moins latin »), le Londres édouardien et une New York encore européenne, Morand le cosmopolite, Morand der Wanderer, nous les fait visiter au pas de course, avec style et non sans une discrète mélancolie, celle de l’esthète conscient d’avoir connu « la fin du bal » et l’inexorable montée du « magma d’indifférenciation ».
Les passages sur les bains de mer sont tout bonnement délicieux : « Bains tant attendus, au cours des mois d’hiver, recréés par le désir, du fond de quelque noir bureau, de quelque usine assombrie par un jour tombant bien qu’à peine levé, heures dures contre lesquelles l’esclave du quotidien trébuche comme sur une pierre. »
Ce fort volume nous fait entendre à nouveau la voix de l’écrivain diplomate, qui s’y révèle historien et géographe à la fulgurante lucidité autant que poète. Médecin des âmes aussi, car toute mélancolie s’évanouit au bout de trois pages... et il y en a plus de mille. Amis lecteurs, faites donc une cure de Morand !
Christopher Gérard
Paul Morand, Bains de mer, bains de rêve & autres voyages, édition établie et présentée par Olivier Aubertin, préface de Nicolas d’Estienne d’Orves, Bouquin, Robert Laffont, 1088 pages, 32€
Il est question de Paul Morand dans Les Nobles Voyageurs
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