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17 novembre 2016

Eloge des Grecs

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Eloge des Grecs

 

Homines maxime homines ! Surhumains. Tels étaient les Grecs de jadis, aux dires du Romain Pline, que cite fort à propos Bernard Nuss dans son sympathique Eloge des Grecs. Sympathique et surtout impertinent, au sens précis du terme, tant les Grecs d’aujourd’hui se sont vus, il y a à peine deux ans, traîner dans la fange.

Revenons aux Hellènes d’autrefois, « superficiels par profondeur », comme disait Nietzsche, qui furent le zénith de notre monde, et que Florence, Oxford et Versailles ont tenté d’égaler. Ancien diplomate, B. Nuss a voulu, par le biais d'un essai sur la Grèce éternelle,  nous livrer quelques réflexions souvent toniques sur notre civilisation fatiguée, taraudée par le doute et la mauvaise conscience.

Le propre des Grecs, le fondement de la vision hellénique du monde étant de refuser avec passion toutes les tutelles, spirituelles (le Livre unique et son infaillible clergé) ou politiques (le monarque devant qui l’on se prosterne – une abomination absolue que les Grecs nommaient proskynésis), ils ont très tôt, dès Homère, dès les Physiciens d’Ionie, tenu à prendre leur destin en mains, en personnes autonomes – qui forgent elles-mêmes leurs lois, et qui remettent en question toute opinion (la doxa, jamais confondue avec la vérité, l’alètheia). La liberté du citoyen, le savoir désintéressé, la lucidité qui libère des illusions, l’ironie dévastatrice, la divine harmonie : autant de conquêtes grecques. Et le théâtre ! Malheur aux civilisations sans théâtre, condamnées à la barbarie !

Parfois péremptoire (mais pour la bonne cause), vif de ton et vigoureux dans sa dénonciation de notre présente décadence, le hoplite Nuss exalte nos Pères à nous. Idéalisés, ces hommes plus qu’humains dont parlait Pline ? Sans doute. Par exemple quand il passe un peu vite sur le procès de Socrate. Injuste, Bernard Nuss ? Peut-être dans sa vision, tronquée, d’Ulysse, et dans son jugement, discutable, sur l’Odyssée – décrite comme inférieure à l’Iliade. Un peu rapide sur le polythéisme et sur les mythes, qui entretiennent et sauvegardent pourtant ce climat mental, cette altitude qui vaccinent contre les miasmes du Dogme et du Péché.

Qu’importe, absolvons-le au nom d’Apollon et de Dionysos. Lisons son bréviaire hellénique : « La Grèce a toujours été un modèle incomparable et le contact des Grecs a rendu intelligents et moins vulgaires de nombreuses générations d’Européens. »

 

Christopher Gérard

 

Bernard Nuss, Eloge des Grecs, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 20 tétradrachmes.

 

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09 novembre 2016

Dharma, ou la question de nos origines indo-européennes

paganisme

 

Entretien avec  Jean Haudry

Qui êtes-vous? Comment vous définir?    

Je me définis comme un linguiste spécialiste des langues indo-européennes anciennes qui est passé progressivement de l’étude des formes et des structures grammaticales et lexicales à celle du sens correspondant, et du sens aux réalités et aux situations, donc aux locuteurs de la langue reconstruite. C’est ainsi que je suis passé de la reconstruction de l’indo-européen à l’étude de la tradition indo-européenne.

D'où vous est venue cette passion pour les Indo-Européens? Qui furent vos maîtres et que leur devez-vous?

Cette passion des Indo-Européens m’est venue par une évolution naturelle qui s’observe chez plusieurs de mes prédécesseurs, et consiste en une quête du réel, du concret, du spécifique, démarche à contre-courant de nos jours où l’on privilégie le virtuel, l’abstrait et l’universel. Mes principaux maîtres dans l’enseignement supérieur ont été, par ordre chronologique, le latiniste Jacques Perret, les indianistes Louis Renou et Armand Minard, le linguiste généraliste André Martinet, l’indo-européaniste Emile Benveniste. Je leur dois non seulement ma formation dans les domaines correspondants, mais aussi un appui décisif dans les débuts de ma carrière : Renou et, après sa disparition, Minard ont dirigé ma thèse de doctorat d’état sur l’emploi des cas en védique ; j’ai été l’assistant à la Sorbonne de Perret et de Martinet, et l’approbation que Benveniste a donnée à mes premiers essais a sûrement pesé lourd.

Vous avez connu Georges Dumézil. Marcel Schneider, qui fut son ami, suggère que la fascination pour le Nord du grand historien des religions fut "le secret du Renan du XXème siècle". Qu'en pensez-vous? Quelle était l'attitude de Dumézil face au Sacré? Peut-on parler comme Schneider "d'une sorte de panthéisme spiritualiste"?

 Je n’ai connu personnellement Georges Dumézil qu’assez tard, et très peu. Etudiant, puis assistant, à Paris, je me suis consacré exclusivement – outre mon service - à l’apprentissage des langues indo-européennes anciennes et de la linguistique générale, avant de m’engager dans la préparation de ma thèse. Nommé chargé d’enseignement à Lyon en 1966, de nouvelles tâches s’y sont ajoutées, sans parler des péripéties inattendues de 1968 et années suivantes. C’est après plusieurs années de contre-révolution et d’administration que j’ai pu reprendre mes recherches, et en élargir l’horizon. J’ai lu ou relu Dumézil et éprouvé le regret de n’avoir pas suivi ses enseignements quand j’en avais la possibilité. Je ne l’ai rencontré que trois fois en privé, à l’occasion de  soutenances de thèse qu’il m’avait demandé d’organiser à l’Université pour deux de ses anciens élèves, et pour lui présenter le premier jet de mon ouvrage sur les Indo-Européens destiné à la collection Que sais-je ? Cet entretien fut naturellement consacré à cet ouvrage et les précédents, si j’ai bonne mémoire, à organiser la soutenance, et à évoquer des souvenirs de sa propre thèse de doctorat. C’est dire que nous n’avons pas abordé aucun des points que soulève votre question. J’ai donc toujours ignoré ses convictions philosophiques, ainsi que ses opinions et appartenances politiques, avant qu’elles ne soient divulguées de la façon que l’on sait. Je n’ai pas l’impression qu’il ait éprouvé une fascination particulière pour le Nord, que ce soit au plan géographique ou anthropologique. Ses domaines d’élection étaient plutôt Rome, le monde indo-iranien, l’Arménie (et, hors du monde indo-européen, le Caucase) ; s’il y a adjoint le monde nord-germanique, c’est simplement parce que du point de vue de la religion les autres secteurs du monde germanique ancien, christianisés plus tôt, ne fournissent guère de données. Et s’il a rappelé dans un passage de Jupiter, Mars, Quirinus la « prédominance marquée du type nordique » chez les Indo-Européens, ce n’est pas de la fascination, mais l’énoncé d’une évidence. Plus généralement, l’étude des religions, surtout quand elle est comparative, ne constitue pas, en général, une expérience du sacré : Julius Evola disait fort justement que la science est une connaissance morte de choses mortes. Principe qui souffre quelques exceptions, dont la plus notable est Mircea Eliade. Mais je ne sais si c’était le cas pour Dumézil.

L'une des critiques qui revient de plus en plus souvent aujourd'hui chez divers chercheurs (Lincoln, Dubuisson, etc.)  plus ou moins hostiles au principe même de la démarche dumézilienne, est que le mythologue aurait été trop soumis à une vision centripète et "platonicienne" des mythes. Qu'en pensez-vous?

Parmi les sycophantes qui se sont attaqués à Dumézil, il y a eu un peu de tout. Des gens animés par la passion politique, de véritables procureurs staliniens des procès de Moscou. Il y a eu aussi des fruits secs, incapables de produire quoi que ce soit d’original, qui se retranchent derrière la méthodologie, rideau de fumée qui masque leurs insuffisances, et leur permet de s’en prendre à ceux qui ont produit, avant que de leur production se dégage une méthode. Il est vrai que les reconstructions duméziliennes sont le plus souvent synchroniques, voire achroniques, en tout cas non historiques. Mais c’est inévitable dans un premier temps, tout comme pour les reconstructions linguistiques. C’est seulement dans un deuxième temps, et sur la base de données nouvelles, que l’on peut espérer parvenir, dans les cas les plus favorables, à une chronologie relative, voire à une datation. Il n’y a là rien de « platonicien », et moins encore de maurrassien !

Comment définiriez-vous la notion de sanatana Dharma?

Le dharma sanatana : l’adjectif sanatana est un dérivé en –tana- (indo-européen *-t(e)no-, suffixe probablement issu d’un dérivé de la racine *ten- « tendre », « s’étendre »), bâti comme les adjectifs latins cras-tinus sur cras « demain » , diu-tinus sur diu « longtemps », matu-tinus sur * matu- « le matin », et leurs homologues grecs et lituaniens sur une forme adverbiale (non attestée) *sana, « jadis » (ou sens similaire), tirée de l’adjectif sana- « ancien, vieux » (latin sen-ex, etc.). Il signifie « originel », « qui se prolonge depuis l’origine ». Qualification paradoxale pour dharma, forme récente (le Rigvéda ne connaît que dharman-, avec le sens de « fait de maintenir, de se maintenir, maintien, comportement », et désignant une réalité qui l’est aussi : le système des castes (jati-) des droits et des devoirs correspondants, bien qu’il soit censé se fonder sur la structure même de l’univers, s’est constitué progressivement en Inde. Une première attestation figure dans un texte appartenant aux parties récentes du Rigvéda, où le terme utilisé est varna- « couleur (symbolique )» Mais la codification des droits et des devoirs de chacune des trois castes aryennes (les « deux fois nés ») et de la quatrième caste, non aryenne, la répartition de la vie des brahmanes en quatre périodes ne se fixent que dans les dharmasatra et dharmashastra, dont le plus connu est le Manava- dharmashastra, les « lois de Manou » Naturellement, si l’on traduit sanatana par « éternel », la conception d’un dharma sanatana relève de l’illusion commune aux diverses sociétés traditionnelles sans écriture de la permanence de leurs institutions. Mais si l’on adopte une traduction comme « immémorial », « traditionnel », la conception apparaît justifiée : le système des quatre castes de l’époque classique provient effectivement de celui des trois varna de l’époque védique, et de la période précédente (indo-iranienne) ; système qui, à son tour, reflète la structure indo-européenne des trois fonctions et des trois couleurs –initialement cosmiques – qui leur sont associées : le blanc du ciel du jour, le rouge des deux crépuscules, le noir de la nuit.

Vous avez préfacé la traduction française du livre de L. Kilian De l' Origine des Indo-Européens (Labyrinthe, Paris 2000), où est défendue la thèse de l'origine paléolithique et nordique des IE. En quoi cette thèse vous semble-t-elle probable?

Ce que Lothar Kilian nomme, après Herbert Kühn et d’autres, l’origine paléolithique des Indo-Européens est une conception d’archéologues fondée sur des continuités constatées ou supposées entre diverses cultures préhistoriques d’Europe, et sur la constatation qu’aucune des cultures néolithiques ne correspond à la zone d’expansion des Indo-Européens. Le linguiste ne peut pas les suivre, pour la simple raison que le vocabulaire reconstruit comporte un certain nombre de termes qui attestent de façon claire la pratique de l’agriculture et de l’élevage, et l’utilisation du cuivre, ce qui correspond au néolithique récent ou âge du cuivre. D’autre part, une part notable de la tradition correspond manifestement à une société de l’âge du bronze (donc postérieure à la période commune), la « société héroïque » de la protohistoire. Mais « ne pas suivre » ne signifie pas « rejeter », bien au contraire : l’hypothèse paléolithique s’intègre dans une conception évolutive de la reconstruction, linguistique et culturelle. Elle donne consistance à un petit nombre de données linguistiques bien établies, mais difficilement explicables dans une culture du néolithique final, comme la place qu’y tient le vocabulaire de la chasse. La reconstruction des cultures est une entreprise pluridisciplinaire ; chaque discipline y apporte ce qu’elle peut apporter. Il en va tout autrement de l’hypothèse « nordiste ». Ici, l’étude des traditions, confirmée par l’interprétation de certains termes, comme la notion, rare dans les langues du monde, de « ciel du jour », indo-européen *dyew-, et l’absence, tout aussi exceptionnelle, d’une désignation du « ciel », et surtout l’équivalence entre termes relatifs au jour de vingt quatre heures et termes relatifs à l’année (la notion d’ »aurore(s) de l’année ») conduisent à chercher l’origine de cette part de la tradition indo-européenne bien plus loin vers le nord que ne le font les archéologues, Kilian inclus. En attendant une possible convergence, ni les uns ni les autres n’ont intérêt à s’autocensurer.

Vous avez défendu l'hypothèse du type nordique comme type idéal, ce qui fait pousser des cris d'orfraie à certains que le concept même d'ethnie terrorise. Quels sont les principaux arguments à opposer aux tenants de plus en plus nombreux d'une vision centrifuge et dissolvante de cette recherche des origines?

Qu’il y ait eu chez les Indo-Européens un « type idéal », celui de leurs héros et de leurs Dieux, est une évidence : tous les peuples en ont un, qui correspond naturellement au type dominant (par le statut, sinon par le nombre). Xénophane de Colophon en tirait un argument en faveur du relativisme en matière de religion : « les Ethiopiens se représentent leurs Dieux noirs et avec un nez épaté, les Thraces leur prêtent des yeux bleus et des cheveux roux. » Grâce au réalisme de l’art classique, et plus encore de l’art hellénistique, nous savons parfaitement comment les Grecs se représentaient leurs Dieux et leurs héros, en quels termes ils en faisaient le portrait ; et, plus tard, comment les physiognomonistes ont décrit le « Grec véritable », par opposition aux métèques, esclaves, etc. : il est à l’origine semblable aux barbares du nord. Comme chez eux, le type nordique domine dans la couche supérieure de la population. Tout cela est bien connu depuis plus d’un siècle ; la formule de Dumézil à laquelle je faisais allusion précédemment résume les conclusions auxquelles les chercheurs étaient parvenus à l’époque. Ce n’est pas l’étude des momies du bassin du Tarim (Xin-jiang), parmi lesquelles le type nordique est bien représenté, qui risque de les infirmer. Mais à quoi bon opposer des arguments aux négateurs d’évidence ? A ceux qui refusent d’admettre ce qui ne va pas dans le sens de leur argumentaire, et surtout de leurs objectifs, avoués ou inavoués ? Comme l’un des objectifs majeurs de l’idéologie dominante est le métissage des peuples d’Europe à partir de populations africaines et asiatiques, l’évidence leur est inacceptable. A leurs yeux, plus on apporte de preuves et de témoignages, plus on aggrave son cas, ainsi qu’il arrive en d’autres occasions.

Peut-on dire que le fondement de la "Tradition" indo-européenne consisterait en une religion de la vérité?

Ce que j’ai nommé, à tort ou à raison, « religion de la vérité », en donnant à religion sa valeur originelle de « scrupule qui inhibe, qui retient », ne représente pas, tant s’en faut, l’ensemble de la tradition indo-européenne, et ne tient qu’une part modeste dans la religion proprement dite, même si, dans le monde indo-iranien, le vocabulaire du culte (les nombreux dérivés de la racine *yaž- « ne pas offenser ») est fondé sur le « culte négatif » ; bien moins, par exemple, que les trois fonctions duméziliennes. Elle correspond à un ensemble de règles de comportement (respect des engagements contractuels, de la justice distributive, etc.), qui ne valent initialement que pour les chefs dans leurs rapports avec d’autres chefs de la même ethnie. L’hymne avestique à Mithra (yašt 10) en fournit une bonne illustration. Elle ne s’étend aux rapports internes du groupe que dans la « société héroïque » de la période finale de la communauté indo-européenne, et surtout dans les périodes suivantes ; périodes où les rapports contractuels qui lient le seigneur et ses hommes, qu’il a recrutés hors de son lignage et parfois même de sa tribu, l’emportent sur les liens naturels, ceux du lignage. Une telle société est par nature instable : aucune communauté ne peut reposer durablement sur des base contractuelles, en dépit du mythe rousseauiste du « contrat social ». Bien vite, les liens lignagers reprennent leur importance. Par exemple, au Moyen Age, on voit des jeunes compagnons quitter le compagnonnage seigneurial pour s’établir, se marier, et recevoir de leur seigneur un fief viager qui peut devenir à son tour un bien héréditaire. Au plan religieux, le « culte négatif », consistant à « ne pas offenser » la divinité, « ne pas violer » (ses engagements, etc.) s’accompagne toujours d’un « culte positif » consistant en sacrifices, rites, prières, etc.

Propos recueillis à l’équinoxe de printemps 2001.

Agrégé de grammaire, Docteur ès Lettres, professeur de sanskrit et ancien doyen de la Faculté des Lettres et Civilisation de l'Université Jean-Moulin (Lyon), directeur d'études à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, Jean Haudry est l'un des grands spécialistes du monde indo-européen. Il a fondé en 1981 l'Institut d'Etudes indo-européennes, récemment transformé en société savante indépendante à la suite d'une campagne de diabolisation. Il est l'auteur d'ouvrages fondamentaux sur le sujet comme L'Indo-Européen (Que sais-je? 1798), Les Indo-Européens (Que sais-je? 1965, retiré du catalogue), La religion cosmique des Indo-Européens (Archè/Belles Lettres), etc.

 

paganisme

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31 octobre 2016

Samain

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Heureuse Samain à tous !

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29 octobre 2016

Exit Georges Thinès

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Grande perte pour nos Lettres : Georges Thinès vient de décéder à l'âge de 93 ans. Je l'avais connu il y a une douzaine d'années grâce à mon éditeur (qui était aussi le sien, comme pour nombre d'écrivains belges) l'irremplaçable Dimitri, le fondateur des éditions L'Age d'Homme. J'avais lu ses Effigies, un bijou d'érudition et de finesse, il m'avait offert son Mythe de Faust en évoquant l'Occupation, le cadre de son magnifique roman jungerien Le Tramway des officiers. Un grand bonhomme, prix Francqui, violoniste, engagé volontaire dans la Royal Navy, professeur de psychologie expérimentale dans trois ou quatre langues... Et quel traducteur de Pessoa! Oui, une grande pointure, et un homme d'une exquise urbanité.

 

Sit tibi terra levis!

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14 octobre 2016

ARCHAION : dix ans de travail MMVI - MMXVI

 

 

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Pour fêter les dix ans d'ARCHAION, mon site littéraire,

j'invite mes lecteurs à (re)lire cette page mise en ligne in illo tempore :

 

Confession d'un Païen

 

Dans son roman historique Le mauvais choix (Flammarion,1984), le regretté Jean-Louis Curtis, de l'Académie française, nous transporte dans la Rome  du IVème siècle. Son héros le patricien Lucius Mamilius Macer, ardent défenseur de l'Empire, assiste à l'avènement de Constantin (306-337) et aux progrès de la subversion chrétienne. Curtis met aussi en scène un personnage contemporain Lucien Mazerel, bourgeois parisien du dernier tiers du XXème siècle qui est le témoin (et la victime) de la subversion communiste. Si la partie du roman qui concerne le monde moderne a vieilli, curieusement, le tableau de la Rome païenne en butte aux assauts des Galiléens éblouit par sa justesse. Pour rendre hommage à cet auteur méconnu, dont je recommande les livres à la langue parfaite et à l'ironie féroce (Les Forêts de la nuit, Le thé sous les cyprès, Les moeurs des grands fauves, Le temple de l'amour, etc.), découvrons le récit de l'entrevue historique entre le sénateur Macer, l'un des chefs de l'aristocratie païenne, l'auteur d'un libelle antichrétien et le jeune Constantin au lendemain de sa victoire sur Maxence. Extrait.

"L'empereur se leva et marcha vers la fenêtre. Il parut s'absorber dans la contemplation du jardin, à trente pieds au-dessous. Puis il se retourna pour me faire face. Je fus frappé par l'expression nouvelle de son visage. Le coin de ses lèvres n'était plus relevé par l'amorce d'un sourire. Dans les larges yeux étincelants, une lueur inquiète vacillait.

-Ton libelle est habile, dit il. Tu commences par faire justice des calomnies qui s'efforcent de salir les Chrétiens, et tu rends hommage à leurs vertus. Mais ce n'est que pour les mieux accabler ensuite sous les jugements les plus durs. Il fit une pause; puis, avec une sorte de curiosité:

-Pourquoi hais-tu les Chrétiens ainsi?

- Seigneur, ce n'est pas eux que je hais, mais ce qu'ils professent.

- Leur Dieu est puissant. Par deux fois, sa puissance s'est manifestée à Nous.

La voix s'était altérée sur ces derniers mots. La lueur d'inquiétude s'aviva dans les prunelles enfantines. Je me demandai si, comme le veut la rumeur publique, l'empereur avait eu vraiment le privilège d'une vision surnaturelle, si vraiment un signe lui était apparu dans le Ciel. Je ne doutais pas qu'il ne fût un être profondément religieux, peut-être même un inspiré.

- Toi, reprit-il, en quel Dieu crois-tu?

Je me recueillis un instant. Quand je parlai, ce fut aussi à voix presque basse, comme dans un sanctuaire. "Seigneur, comme Sénèque, je crois que la matière est animée par un esprit universel, par une intelligence divine, à laquelle peut-être nous participons, comme les étincelles éphémères et sans cesse jaillissantes d'un immense et éternel brasier. Tel est le Dieu auquel je crois et que j'adore. Le soleil est son image vivante. Toutes les divinités secondaires, celles à qui nous avons donné des noms, les divinités des champs, du foyer, de la cité, Eros lui-même, ne sont que les aspects partiels, diversifiés de la même énergie divine. Telle est ma religion: Dieu est un, Il est partout, Il est en nous, Il est nous. Pourtant, nous sommes mortels: car si notre part spirituelle se fond, après notre mort, dans l'immensité divine, ce sera comme une parcelle indistincte, non personnelle, non individuelle, qui n'aura aucun souvenir de son existence terrestre, ni d'autre conscience qu'une conscience universelle. C'est dire que nous mourons tout entiers, ici-bas. Nous devons donc renoncer à toute espérance d'immortalité: elle est une consolation illusoire, un leurre. C'est ici-bas que notre destinée est circonscrite et qu'elle doit s'accomplir: sur cette terre. L'étincelle fugitive que je suis, qui a jailli de l'éternel brasier et qui est destinée à s'éteindre, cet être d'un instant, cet homme périssable est lié à d'autres hommes d'un même lieu, qui est la patrie latine, d'une même race, qui est notre race latine, d'une même langue, la langue latine, d'une même organisation, qui est l'empire dont tu tiens la destinée dans tes mains. Je suis solidaire des hommes qui parlent la même langue que moi avant d'être solidaire de tous les hommes. Je suis solidaire de Rome, comme un fils l'est de sa mère. Je suis solidaire de l'empire. Tant que je suis vivant, mon allégeance est à l'empereur, à l'empire, à Rome, au génie latin, à mes pères et à l'œuvre accomplie par mes pères, que cette œuvre soit un champ labouré, une chaumière, un temple, une loi ou un livre. Cette allégeance est le fondement même de mon être; sans elle, je ne suis rien ici-bas, même si je suis, dans l'ordre spirituel, une étincelle du foyer divin. C'est pourquoi, Seigneur, je condamne la doctrine chrétienne, qui veut abolir la vocation terrestre de l'Homme au profit de sa vocation céleste. Pardonne-moi (je me jetai à ses pieds) d'avoir parlé si longuement et d'avoir peut-être abusé de Ton impériale patience. Mais, Seigneur, même si, pour obéir à Ta volonté, je consens à me taire sur ce qui m'afflige, je n'en continuerai pas moins, dans le secret de mon esprit et de mon cœur, à penser que les Chrétiens sont une plaie au flanc de l'empire, et que le génie de Rome s'anéantira lui-même s'il s'abaisse jamais à reconnaître pour Dieu un vagabond juif, crucifié voici trois siècles entre deux voleurs." "

 

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