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22 février 2018

Alain Daniélou, ou le paradoxe incarné

 

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Conférence prononcée à l’occasion des rencontres du 20 janvier 2015

à la Villa Empain (Fondation Boghossian, Bruxelles)

 

François Mauriac, comparant un jour Alain d’une part à son frère Jean, le jésuite nommé Cardinal par Paul VI, de l’autre à sa mère, Madeleine, qui, dit-il, « fut presque une sainte », Mauriac donc évoquait « le mystère Daniélou » pour traduire son embarras face à l’itinéraire si singulier de ce Breton initié au shivaïsme orthodoxe, et devenu le chantre du polythéisme hindou. De son côté, Hergé écrivait ces mots à Alain Daniélou : « c'est un itinéraire en zigzag  (on pense au labyrinthe, bien sûr) que vous avez suivi avec en filigrane un autre itinéraire, plus rectiligne, celui de l'aventure spirituelle. »

Paradoxal  est à mon sens le terme qui s’applique le mieux à ce cheminement, et je prends ici le terme paradoxal dans son sens étymologique : para-doxos, qui en grec signifie « contraire à l'attente commune » et même « extraordinaire », car cette épithète définit bien Alain Daniélou, un homme toujours prêt à se libérer d’attaches lorsqu’elles devenaient des carcans. Car l'une des principales leçons d'Alain Daniélou, que je vais tenter de vous faire mieux connaître, et apprécier, par le biais d’un exposé sans rien d’académique, c’est une leçon de fantaisie et de liberté aristocratique : l’homme Alain Daniélou ne fut jamais là où on l’attendait, toujours rétif aux conventions, et sans pose aucune, toujours rebelle aux conformismes. Un maître de liberté qui, toute sa vie, pratiqua l’exercice salutaire que constitue la permanente remise en question des évidences les mieux établies, qui toute sa vie refusa le dogme, qui par définition ferme les portes de la connaissance.

Paradoxal, le destin d'Alain Daniélou l’a été depuis sa naissance en 1907, puisqu'il était le fruit d’une union atypique  dans une France qui sortait à peine de l’affaire Dreyfus : fils à la fois d'une fervente catholique, pour ne pas dire bigote, chez qui sera fondée la revue Esprit ; et d'un père radical-socialiste breton, ami et collaborateur d'Aristide Briand, plusieurs fois ministre sous la IIIème République.

Dès ses débuts le jeune Alain révèle une profonde appétence pour le fil rouge de toute son existence, la découverte de ce qu’il appelle « le substrat divin et merveilleux de l’éternité » - qui pourrait servir à définir le concept hindou de dharma.

A 4 ans, il édifie dans un bois son premier sanctuaire : pierres polies, images de la Vierge et des saints bretons – un premier temple, en somme, et qui n’a rien de chrétien, une première manifestation d’un paganisme spontané. Ce premier temple est profané par les adultes, qui l’interprètent de travers et vaut au petit païen, par dérogation papale, de faire sa première communion à 4 ans.

Quelques années plus tard, adolescent, il se met à vénérer, et là de manière consciente, la Lune, à laquelle il dédie rites et prières. A la fin de sa vie, retiré près de Rome, il s’amuse à peindre la geste du Dieu Mithra dans ce qu’il appelle, mi-figue mi-raisin, son mithraeum.

Dans ses mémoires, ce merveilleux livre qu’est Le Chemin du labyrinthe, voici comment il définit la posture d’une vie : « je me suis toujours attaché à la recherche de ces liens secrets qui unissent tous les aspects du monde, de ces principes communs à la musique, au langage, à l’architecture mais aussi aux proportions de l’être vivant, aux plantes, aux bêtes, aux hommes. C’est là que j’ai retrouvé Dionysos. » On songe à ces grands esprits de la Renaissance, Michel-Ange ou Léonard de Vinci.

Plus loin, il précise : « je n’ai jamais eu une âme et un corps séparés. » Phrase essentielle, car témoignant d’un refus de toute forme de dualisme.

 

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Alain Daniélou incarne ainsi de manière exemplaire l’homme de première fonction sacerdotale, celui qui collabore avec les Dieux, celui qui, je cite, « utilise tous les moyens perceptifs, intuitifs et intellectuels dans le but d’essayer de percer l’énigme du monde visible et invisible. » Telle est la définition exacte du druide celtique ou du brahmane indien.

Voué à une quête de ce que les Hindous appellent le sanathana dharma, la tradition pérenne, Alain Daniélou se révèle aussi artiste jusqu'au bout des ongles : la musique, le chant, la danse, le dessin, ne cesseront jamais de le nourrir. Un artiste, qui fut aussi un rebelle : rompant avec le catholicisme maternel, il se lance à corps perdu dans le Paris des Années folles, où il fréquente Cocteau et Max Jacob, Sauguet et Stravinsky. Autre paradoxe, le futur professeur de l’Université hindoue de Bénarès, l’auteur de 40 livres, le directeur d’instituts culturels à Berlin et Venise, commence sa brillante carrière internationale en autodidacte complet.

Sa seconde naissance a vraiment lieu en Inde, chez le poète Tagore au Bengale, puis sur les rives du Gange, chez les pandits  - les lettrés traditionnels - de Bénarès, où il passera une quinzaine d'années à étudier le sanskrit, la musique et la théologie hindoue. Alain Daniélou parvient en effet à se faire initier de manière régulière au shivaïsme traditionnel sous le nom de Shiva Sharan, le protégé de Shiva. Jusqu'à sa mort, il se fera l'interprète en Occident d’un hindouisme qu'il connaît et décrit de l'intérieur par le biais de traductions, d'études et de récits littéraires. De photographies aussi, car cet homme infatigable sillonne l'Inde avec son ami Raymond Burnier  à bord d'une caravane pour photographier, le premier, les temples perdus dans la jungle, révélant au monde les splendeurs de Khajuraho ou de Konarak, ainsi qu'une société millénaire encore intacte.

Ce qui transparaît dans les splendides clichés, en partie publiés dans L'Inde traditionnelle et dont on a pu voir il y a quelques années à Bruxelles une sélection à la librairie Chapitre XII, c’est l’absence de rupture « cartésienne » entre le photographe et son modèle. Au contraire : les corps, les visages et les temples métamorphosent le regard du photographe comme celui de qui les admire en silence.

A Bénarès, il suit l'enseignement oral de Swami Karpatri, célèbre renonçant de l'Inde du Nord, défenseur du système des castes comme d'une société fondée sur le respect du Dharma, la Tradition éternelle. Hostile au colonialisme depuis un voyage de jeunesse en Algérie, où il prend parti pour les indigènes mais, encore un paradoxe, nullement au nom d’une quelconque forme de messianisme politique mâtiné de haine de soi, comme souvent chez les partisans du tiers-monde, Daniélou assiste ainsi à la fin de l'Inde britannique et aux débuts de la République indienne, qu’il soutient et dont il compose l'hymne national sur un poème de Tagore. Il intervient à l’époque sur Radio India dans un sens très favorable à l’Inde indépendante, comme l’Indien d’adoption qu’il est devenu. Autre paradoxe : Nerhu, qu’il connaissait, lui confia un jour que le nouveau régime voulait détruire ce que Daniélou appréciait tant : les castes, les temples, les danseuses, la sagesse millénaire,…

 

 

Après Bénarès, il gagne Madras et Pondichéry, où il collabore aux travaux de l'Ecole française d'Extrême Orient : il est alors encouragé par Louis Renou et Jean Filliozat, les maîtres de l’indianisme français, même si le monde académique demeure réticent devant cet authentique lettré qui a le toupet d’abolir la sacro-sainte distance entre le sujet et l’objet et pratique au contraire l’identification du chercheur avec l’objet d’une quête qui le transforme, ce lettré qui parle le sanskrit et pour qui la tradition indienne n'a rien de mort ni de muséifié. On imagine un prêtre d'Amon prenant la parole à un colloque d'égyptologie …

Daniélou regagne ensuite l'Europe, pour y diriger des instituts d'étude de la musique en collaboration avec l'UNESCO, dans le Berlin de la guerre froide, puis à Venise. C'est à lui que nous devons la découverte, et sans doute la sauvegarde, de maintes musiques traditionnelles. C'est Alain Daniélou qui révèle, notamment, le prodigieux Ravi Shankar.

L'œuvre d'Alain Daniélou surprend par sa variété comme par sa richesse: traités de musicologie comparée, traductions du sanskrit (celle du Kâma Sûtra remportera un succès international) et du tamoul, essais sur le yoga (dès 1949, bien avant la mode où le pire côtoiera le meilleur) et sur la spiritualité hindoue, mais à mille lieues de l'orientalisme de bazar qui envahit alors l'Occident.

Ses livres, près de quarante, traduits en de nombreuses langues, permettent de mieux comprendre comment l'Inde a réussi, malgré les guerres et les invasions, à préserver son identité millénaire et, en même temps, à protéger ses minorités : « l’Inde, écrivait-il, est la seule des grandes civilisations du monde antique qui ait survécu et dont l’apport, s’il était mieux connu, pourrait bouleverser profondément la pensée du monde moderne, et provoquer une nouvelle Renaissance. »

Cet esprit fut aussi un humaniste d’un genre particulier : hostile à l’anthropocentrisme – auquel est  trop souvent  aujourd’hui confondu l’humanisme classique -, il était de ces rares sages qui acceptent les contradictions humaines, surtout quand elles ne se résolvent pas. Conscient des éternelles alternances, il était toujours désireux d’aborder un texte, un fait ou une personne sous tous les angles, et sans jamais s’arrêter à une quelconque réduction. Il y a chez Alain Daniélou un refus permanent de toute forme de dogmatisme, y compris à prétentions traditionalistes – comme on peut l’observer chez le théoricien du traditionalisme intégral, René Guénon (à l’égard de qui Alain Daniélou reconnaît une dette, sans pour autant perdre on indépendance de jugement comme trop de disciples psychorigides) : « Il faut rester conscient de ce que les explications de la genèse du monde et du destin de l'homme ne sont valables que relativement. La réalité ultime reste toujours inconnaissable. Une délicate limite sépare une conception cosmologique de la création et de l'évolution de son application historique. Dès qu'on prétend détenir une vérité et en faire un dogme, on tombe dans l'erreur. »

Passeur de la tradition, Alain Daniélou ne donna jamais dans les poses de grand initié ou de chef d’école.

Sa profonde connaissance de la vision hindoue du monde était fondée sur la dialectique des contraires, le refus du dogmatisme, la relativité des morales et la multiplicité des approches. Ce polythéisme des valeurs en actes comme en pensée a permis à Alain Daniélou de développer, sur une base traditionnelle (car il n’invente rien : il transcrit une pensée plurimillénaire), une critique aussi sévère que pertinente de l’erreur monothéiste : « tous les monothéismes – et l’islam est le plus absolu – sont par nature intolérants. Leurs adeptes se prennent pour un peuple élu détenant des instructions personnelles révélées par « Dieu » à leur prophète. Cela aboutit à un complexe de supériorité au nom duquel tous les crimes, tous les génocides, toutes les vengeances peuvent apparaître comme des guerres saintes et passer pour des vertus. » Ces lignes n’ont pris aucune ride, au contraire : elles confirment la lucidité d’Alain Daniélou, qui mettait en lumière l’erreur métaphysique du monothéisme, de la monolâtrie en tant que, primo, projection du moi humain dans la sphère divine et secundo en tant que remplacement du respect de l’œuvre divine par la soumission à un personnage fictif et par l’obéissance aveugle à ses diktats, qui ne sont jamais que la projection d’ambitions et d’une volonté de pouvoir bien humaines, trop humaines. Ecoutons Alain Daniélou, dans Le Destin du monde d’après la tradition shivaïte : « En personnalisant le logos, en réduisant les hiérarchies transcendantes à un personnage unique de type humain, les religions soi-disant monothéistes ont simplifié et singulièrement faussé toutes les conceptions du cosmos, de la nature du monde et du divin ». Plus loin, « les monothéismes réduisent les hiérarchies célestes à un unique maître d’école avec lequel prophètes et pontifes prétendent communiquer et qui les chargent de faire appliquer de prétendues lois morales et sociales d’invention humaine comme si l’homme était le centre et la raison d’être de l’univers. »

Il souligne aussi le fait, tristement quotidien, que les diverses monolâtries s’excluent mutuellement, chaque Révélation  recevant de son dieu jaloux, de son tyran céleste des instructions contradictoires, qui sont autant d’instruments d’obscurantisme, de guerre et d’oppression, des  Inquisiteurs d’hier aux islamistes d’aujourd’hui. Le monothéisme se révèle en fait pour ce qu’il est : une fiction politique fondée sur une erreur métaphysique, « le principe du monde, rappelle Alain Daniélou, étant au-delà du nombre, impersonnel, indescriptible, inconnaissable ».

L’Inde traditionnelle avait repéré le risque de dérive monolâtre, quand il y a, dans l’esprit de certains hommes, confusion entre le dieu d’élection, l’Ishta devata, ce que Alain  Daniélou définit comme « l’aspect sous lequel chacun de nous choisit de se représenter le divin et de le vénérer », quand il y a confusion en cette divinité d’élection avec la réalité de l’Etre universel, quand la dévotion d’une figure élue se mue en négation des autres visages du divin – comme c’est le cas dans l’Ancien Testament ou dans le Coran.

Alain Daniélou souligne aussi que la monolâtrie prépare, outre les totalitarismes, le matérialisme, puisqu’elle remplace la réalité des puissances célestes que sont les Dieux par des abstractions. Au contraire, les écoles hindoues, même celles qualifiées d’athées comme le Sâmkhya, reconnaissent l’omniprésence de l’invisible, le respect du mystère et de l’inattendu, ainsi que « le principe de la tolérance, qui n’est que le respect des voies multiples de la recherche du divin ».

 

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La bibliothèque d'Alain Daniélou au Labyrinthe

Dans Le Polythéisme hindou, la somme des enseignements transmis par son maître Swami Karpatri, Alain Daniélou expose avec une clarté lumineuse le génie du polythéisme, qui dit-il « met en avant les divers plans et degrés de la manifestation du monde et des énergies qui y président. » Le polythéiste, qu’il soit hindou ou grec, vénère le dieu dont il se sent le plus proche à un moment de son parcours spirituel, celui dont la forme permet la concentration la plus complète. Il demeure toutefois toujours prêt à admettre les autres divinités « conçues comme la manifestation de forces distinctes émergeant de l’Immensité inconnaissable et indéterminée ».  « A chaque degré de sa montée, il découvre un état de moindre ou de plus grande multiplicité qui convient à son propre état de développement et il évolue, partant des formes extérieures du rituel et de la morale, vers les aspects les plus abstraits de la connaissance et du non-agir. Ces aspects sont représentés formellement par divers groupes de symboles statiques, les dieux, et de symboles actifs, les rites. L’adepte, à mesure qu’il avance sur le chemin qui mène à la libération, choisit pour chaque degré les dieux et les rites qui conviennent à son développement et qui sont à sa portée. Durant le pèlerinage de la vie (voilà bien l’existence d’Alain Daniélou parfaitement définie), le polythéiste va d’un temple à l’autre, il pratique différents rituels, différents modes de vie, différentes méthodes de développement intérieur. Il reste constamment conscient de la coexistence d’une multitude de voies menant vers le divin. »

Un autre élément qu’il faut mettre en évidence est le courage intellectuel de Daniélou, qui, non content d’être spirituellement incorrect, ose critiquer en profondeur le mythe occidental du progrès indéfini et la doxa égalitaire : « Le gouvernement des marchands, sous l’aspect de la démocratie, laisse une apparente permissivité mais, par son exploitation des ressources et des hommes, se révèle incapable de conserver l’unité du groupe et s’autodétruit dans un lent processus suicidaire. » Ses réflexions sur le monde moderne, vu d'ailleurs, témoignent d'une réjouissante liberté de pensée, devenue bien rare.

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Vu par son ami le peintre Mac Avoy

 

L’indianiste shivaïte (un oxymore, pour un esprit positiviste) défend ce qu’il appelle la "civilisation des différences" dans plusieurs de ses ouvrages, dont Les Quatre sens de la vie ; les castes vues comme une protection optimale pour les groupes ethniques et religieux établis en Inde depuis 4000 ans, des juifs aux parsis, des aborigènes aux bouddhistes. Le témoignage de Daniélou, qui a longuement observé ce système de l'intérieur (lui-même se définissait comme un mleccha – un barbare), permet de rejeter nombre de légendes dictées par l'ignorance ou l'idéologie. Dans Les Quatre sens de la vie, il critique en effet l'hybridation inconsidérée, l'abâtardissement tant physique que psychique comme des formes de décadence : « Toutes les civilisations qui n'ont su ni éviter les mélanges ni donner à chacun sa place, qui ne préservent pas les droits des plus faibles, sous prétexte de donner les mêmes droits à tous, ont toujours oscillé entre le génocide et le suicide, et ont disparu dans le désordre et la confusion. » Ou, plus loin : « L'égalisation théorique d'éléments inégaux et différents est la plus sûre méthode d'établir l'injustice de fait, et notre ignorance volontaire de la hiérarchie naturelle du créé risque d'entraîner l'humanité vers un échec général ». Nombre de ses textes critiquent les génocides culturels qu’il a pu voir en action lors de ses voyages sur les cinq continents, particulièrement en Afrique – Alain Daniélou nous livre ainsi une critique traditionnelle du colonialisme. Lire Daniélou constitue ainsi un excellent remède contre les utopies niveleuses, contre les chaleureuses impostures, sources d’illusions et de malheurs sans nombre.

Concluons. Alain Daniélou nous livre un témoignage de première main sur un univers à la fois proche et lointain, celui de l’Inde traditionnelle, une société antique qui aurait survécu jusqu’à nos jours. Plus important, il nous permet surtout d’opérer une conversion du regard en nous proposant d’observer notre monde avec la distance requise – paradoxale.

Homme complet, à la fois artiste accompli et savant, adepte d’un savoir amoureux, quasi érotique, il peut être vu comme un prince de la Renaissance, ou plutôt comme l’un de ces Grecs de haute époque, que Nietzsche, dans le Gai savoir ,définissait  comme « superficiels par profondeur ».

Plutôt qu’un improbable guru, dont il était le premier à se gausser, voyons-le plutôt comme un éveilleur.

 

Christopher Gérard

Bruxelles, le 20 janvier MMXV

 

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Le film sur l'itinéraire d 'Alain Daniélou

 

Consulter le site de la Fondation Daniélou : https://www.find.org.in/

 

Écrit par Archaïon dans Mythes et Dieux | Lien permanent | Tags : indianisme, daniélou, spiritualité |  Facebook | |  Imprimer |

20 février 2017

La Source pérenne

 

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La Source pérenne retrace une quête singulière, celle d’un « païen » d’aujourd’hui. La pensée des Antésocratiques Héraclite et Empédocle, le souvenir de fouilles archéologiques durant l’adolescence, les expériences et les réflexions tirées de voyages aux Indes ou dans l’Irlande ancestrale, la proximité des dieux et des hommes, tous ces éléments d’une cohérence souterraine constituent le paysage spirituel de l’auteur. Par un appel à la plus ancienne mémoire de l’Europe, Christopher Gérard fait sienne cette phrase de Martin Heidegger : « il faut une méditation à contre-courant pour regagner ce qu’une mémoire tient pour nous, de toute antiquité, en réserve ». Parti à la recherche des divinités enfuies, l’auteur nous convie à une conversion du regard, à la redécouverte d’une source trop longtemps murée, mais jamais tarie. La postérité littéraire de l’empereur Julien, d’Anatole France à Régis Debray, est étudiée dans un chapitre, ainsi que l’importance d’Alain Daniélou dans le parcours païen de l’auteur. Intelligence et sensibilité se conjuguent dans ce livre d’une grande originalité, qui est aussi celui d’un franc-tireur.

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"Pourquoi recommander Parcours païen de Christopher Gérard?  Parce que la pensée païenne abomine la bassesse mercantile. Parce que le païen Christopher Gérard a du talent. C'est un chrétien qui vous le dit." Pol Vandromme, Pan

"Quiconque s'interroge sur l'identité spirituelle de l'Europe ne saurait ignorer cette composante et négliger le livre si pétulant de Christopher Gérard."

Bruno de Cessole, Valeurs actuelles

"Un parcours dont l'honnêteté et comme une fraîcheur lustrale me touchent".

Jacques Franck, La Libre Belgique

"Son parcours, atypique, voire provocateur, n'est pas celui d'un passéiste nostalgique, mais celui d'un homme de conviction entré en résistance".

P.-L. Moudenc, Rivarol

"Il fait sienne la parole du Bouddha: "j'ai vu l'Ancienne Voie, le sentier aryen, la Vieille Route prise par les Tout-Eveillés d'autrefois et c'est le sentier que je suis"."

Jean Parvulesco, Contrelittérature

"Ce parcours païen est un véritable journal spirituel. (…) De Zeus à Mithra, de Cernunnos à Varuna, c'est à une majestueuse mise en ordre de l'univers et de son destin personnel à laquelle C. Gérard se livre. Hiératique et surtout pas erratique le parcours gérardien!" André Murcie, Alexandre

"Votre défense et illustration du polythéisme signifie, pour moi, un effort pour faire vivre l'esprit de tolérance en vue d'une humanité de paix où régneraient des dieux multiples."

Lettre de Marcel Conche

"J'ai aussi pleuré sur la mort de Pan."

Lettre de Vladimir Volkoff

 

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Semper paganus
 

« L’on ne présente plus Christopher Gérard. Dans cette portion d’orbe européenne qui se décline en ce vieil idiome français de racine latine, il est le plus illustre représentant de ce mouvement informel, protéiforme, chaotique et irrépressible que nous nommerons, faute d’un terme revendiqué par ses adeptes mêmes, la Nouvelle  Renaissance Païenne. Nous ne rappellerons pas ici son long combat mené autour de la revue Antaïos, et ses deux premiers romans Le Songe d’Empédocle et Maugis (L’Age d’Homme) qui l’ont classé d’emblée comme l’un des maîtres du renouveau du genre. Nous nous contenterons de renvoyer le lecteur curieux, sur ce même site, à notre troisième livraison du dix-huit janvier 2006, intitulée Un Roman Contemporain.

La Source Pérenne n’est pas à proprement parler un nouveau livre mais la réédition – ce qui est un très bon signe – du premier ouvrage de Christopher Gérard, paru en 2000, sous le titre de Parcours Païen. Pour parler romain, l’opportunité de ce changement ne nous était guère apparue comme relevant d’une priorité absolue. Nous avions peur d’y deviner une peu convaincante manœuvre de communication éditoriale. Reconnaissons que nos frayeurs anticipatives n’étaient guère fondées. Dans sa première mouture Parcours Païen se donnait à lire comme l’itinéraire spirituel d’un jeune européen à la découverte de son originelle identité. Des bois de la Belgique profonde aux rivages de l’Hellade éternelle, de la haute figure de l’Empereur Julien à la rencontre de l’Inde vénérable, du Nord mythique au Sud vivant, nous empruntions des routes qui nous ramenaient aux sources castaliques d’un ancien savoir civilisationnel et rituellique préservé comme par miracle des incessantes attaques menées depuis des siècles par des monothéismes totalitaires, aujourd’hui relayés par des modernités frelatées… 

Sept années ont passé. Ce qui fut donné comme un combat, est désormais vécu comme une victoire. Le regard de Christopher Gérard sur son propre parcours est empli d’assurance. A l’angoissante incertitude des débuts a succédé la sérénité des accomplissements. Le foisonnement antésocratique de l’antique physis heideggerienne est toujours-là. Même si la végétation a obscurci la présence de la margelle sacrée, il suffit de suivre le sillage des couleuvres oroboriques pour tremper son visage dans les limpidités de l’eau lustrale.

Malgré de nombreux textes que le lecteur retrouvera pratiquement à l’identique dans les deux volumes, La Source Pérenne est un livre beaucoup plus important que Parcours Païen. Ce n’est pas que Christopher Gérard aurait trouvé quelques formules plus heureuses ou quelques formulations plus percutantes. Tout est question de perspectives. Dans Parcours Païen Christopher Gérard pare au plus pressé. Il s’attaque à la racine du mal. Paganisme contre christianisme, polythéisme contre monothéisme. Tel l’Héraklès sur les bords fangeux de l’Herne il coupe les têtes sans cesse renaissantes de l’Hydre monstrueuse. Mais il ne suffit pas de lutter contre les rejetons visqueux de la pieuvre lernique. Il faut trancher ras le principe génératif de cette cancéreuse prolifération carnivore.

Le païen qui tente de résister à l’assaut du chrétien est un accident circonstanciel de l’Histoire. Il y a longtemps que les chrétiens se sont aperçus de l’étroitesse de leur point de vue. L’on pourrait décrire l’édification de la théologie chrétienne comme la digestion successive de multiples strates païennes. Le rabbinisme christique des premiers temps a avalé au cours des siècles maints éléments des doctrines stoïciennes, du platonisme et du mithracisme… Nous arrêtons là une liste que nous pourrions longuement poursuivre ou détailler… Dans le chapitre « Mysteria Mithrae » Christopher Gérard nous offre le plaisir d’une analyse descriptive, mais qu’il précise non exhaustive, des plus jouissives de quelques uns de ces emprunts qui sont devenus des piliers essentiels du catholicisme ! Les théologiens ont senti venir le danger. Devant la montée de l’érudition d’une fraction non négligeable des élites à la fin du dix-neuvième siècle et la remise en question au siècle suivant des fondements historicistes et dogmatiques des religions monothéiques ils ont dû trouver quelques parades plus efficaces que les sempiternelles et péremptoires objurgations de rares fidèles récalcitrants  à l’obligation passive de  la croyance en la Vérité révélée. Très malignement le christianisme a tenté de surmonter ses tendances sectaires. Au lieu de gratter là où ça fait mal l’on passera le badigeon de l’oeucuménisme conciliant, l’on ne parlera plus d’hérétiques mais de religions du Livre, la machine du monothéisme a resserré les rangs pour contrer le seul véritable ennemi ; le polythéisme. Mais comme celui-ci embrasse une multiplicité de civilisations en leur essence étrangères à l’idée même de monothéisme, l’intelligentsia d’obédience culturelle catholique a mis au point un concept de tradition religieuse capable de ratisser beaucoup plus large que les instruments messianiques habituels. L’on n’a jamais comparé le travail de René Guénon à celui de Spinoza. Et pourtant un escalier qui permet de s’échapper d’une vision infantile de la représentation de Dieu par un concept philosophique moins naïf est aussi et en même temps l’escalator mécanique qui permet de remonter à ce que l’on avait quitté.

Le lecteur aura compris le sens du nouvel intitulé : le concept de Source Pérenne s’oppose au dogme de Tradition Primordiale. N’allez pas accroire que Christopher Gérard s’en est allé bricoler une notion plus ou moins ingénieuse à opposer aux dogmatiques de la Tradition Primordiale. La Source Pérenne se donne à lire comme une entreprise généalogique de restitution généralisée. Ce qui est en premier n’est pas à l’origine : le christianisme ne s’est pas seulement coulé dans le lit du platonicisme et du plotinicisme il a aussi annexé l’évidence de la multiplicité du monde qui fonde le polythéisme. L’Un exige le Multiple, sans quoi il ne serait que l’indifférencié totalitaire du néant et de l’être. Devant ce scandale de la nécessité de l’existence du Multiple pour assurer sa propre existence, les monothéistes se sont vus obligé de mettre au point cette notion de primordialité temporelle pour assurer la prééminence de l’Un sur le Multiple, qu’ils considèrent comme le gardien du troupeau. Avec la tradition primordiale les pieuses ouailles seront bien gardées !

Avec La Source Pérenne, la vision gérardienne s’agrandit. La pensée de Christopher Gérard a gagné en altitude et en plénitude. Le concept de Source Pérenne est un bélier de bronze qui ne cessera plus de battre les murailles de la Tradition Primordiale jusqu’à leur écroulement final. Ce livre de Christopher Gérard est à méditer. Il est d’abord d’une richesse incroyable. Il n’est surtout pas le résultat de longs et oiseux raisonnements interminables. Il est le fruit juteux de la connaissance savoureuse des choses, des êtres, des gens, des livres et des cultures qui se donnent à vivre selon les concrètes modalités de l’expérience pragmatique de la rencontre d’un poëte, d’un guerrier, d’un Homme libre et ferme, tel qu’en lui-même sa volonté le fonde, avec la chair païenne du monde et des Dieux. »

André Murcie

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« Erudit, profond, pertinent y compris dans ses impertinences, l’essai de Christopher Gérard vient réveiller les consciences dans une défense subtile, vivante et non pas archéologique du paganisme.

Le paganisme dont il est question ici, loin d’être une nostalgie d’un passé idéalisé, un refuge, une fuite, est l’affirmation franche de la reconnaissance du divin dans sa manifestation visible, au quotidien, et du lien sacré entre l’homme et la nature. C’est aussi un combat contre tout ce qui réduit la liberté et la créativité, contre toutes les prisons nées des conditionnements. En ce sens, le paganisme, comme tradition au temps cyclique, est bien davantage le véhicule de voies d’éveil que des traditions au temps linéaire. Christopher Gérard voit aussi dans le paganisme le vecteur du renouveau d’un Occident en détresse, non dans une opposition quelconque à l’Orient mais plutôt en cherchant en Orient, en Inde notamment, les ingrédients du réveil.

Christopher Gérard montre comment derrière le vernis, certes épais, des monothéismes, les mentalités restent païennes et appellent au plus profond d’elles-mêmes au réenchantement du monde :      « La religion de l’Europe est d’essence cosmique. Elle voit l’univers comme éternel, soumis à des cycles. Cet univers n’est pas regardé comme vide de forces ni comme « absurde » comme le prétendent les nihilistes. Tout fait sens, tout est forces et puissances impersonnelles régies par un ordre inviolable, que les Indiens appellent Dharma (concept récupéré plus tard par les Bouddhistes), terme qui peut sembler exotique, mais que les Grecs traduisent par Kosmos : Ordre. Depuis des millénaires, notre religion, reflet de la tradition primordiale, pousse l’homme à s’insérer dans cet ordre, à en connaître les lois implacables, à comprendre le monde dans sa double dimension visible et invisible. Le païen d’aujourd’hui, comme il y a trois mille ans, fait siennes les devises du Temple d’Apollon à Delphes : connais-toi toi-même et rien de trop. »

Cet essai veut délier et réveiller, appeler à l’aristocratie de l’esprit, se souvenant que la voie est d’abord une mise en œuvre et non un discours sur l’œuvre. »

Rémi Boyer, La Lettre du Crocodile

 

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"Voilà un bréviaire plein d'intelligence et de lumineuse vitalité"

Bruno Favrit

 

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Traditio perennis

 

En octobre 2000 paraissait à L’Age d’Homme, providence des dissidents, mon essai Parcours païen, que je qualifiais d’archéologie de la mémoire. L’ouvrage, rapidement épuisé, a reparu en 2007 chez le même éditeur dans une version revue et augmentée, sous le titre La Source pérenne. Voici ce que le jeune Laurent Schang disait de Parcours païen dans Le Baucent, revue littéraire publiée à Metz.

Acte un. Imaginez un gamin, douze ans à peine, pas­sionné d'archéologie, penché sur le squelette d'un guer­rier franc enterré là depuis quoi ? dix, quinze siècles... L'enfant, pas encore un adolescent, s'active pour mettre au jour les restes du vieux Belge qui en son temps dut être un rude gaillard. Pour Christopher plus qu'une pièce de musée, c'est une authentique relique qu'il est en train d'exhumer. Mieux: qu'il ressuscite. Premier senti­ment de religiosité, et déjà, confusément, le sens du tra­gique. L'alchimie s'opère.

Acte deux, quelques années ont passé. Nous retrouvons Christopher, jeune homme toujours passionné de fouilles, dégageant du chantier où il s'affaire une pièce de monnaie romaine du règne de Constantin. On lui a dit que ces rui­nes, tout ce qu'il reste d'un édifice jadis magnifique, re­montent aux premiers chrétiens et à leur frénésie destruc­trice. Pourquoi un tel déchaînement de violence ? Il frotte la pièce, parvient à lire l'inscription qui y est martelée. En bon latiniste, il n'éprouve aucune peine à la tra­dui­re. Soli Invicto Comiti. Sans qu'il s'en rende bien compte, quel­que chose se produit en lui, comme une prise de cons­cience qui va déterminer toute sa vie. Sa religion est faite.

Si vous demandez à Christopher Gérard ce qu'il fait dans la vie, question typiquement occidentale qu'il déteste, sa ré­pon­se sera invariablement la même: «archéologue de la mé­moire». Avec ça, vous serez bien avancé. Demandez-lui plu­tôt qui il est, et d'où il vient. Là, il vous répondra tout ac­cent dehors: «Moi, Irlandais, Germain et Hellène»! Né new-yorkais en 1962, d'un père belge et d'une mère d'ori­gi­ne irlandaise, Christopher Gérard n'attend pas sa première année pour faire son grand retour sur le Vieux Continent. Il n'en bougera plus que pour effectuer des sauts en Inde, ce qui, pour Gérard l'indo-européen revient au même, ou à peu près. Une fois diplômé de l'Université Libre de Bruxel­les (licence de philologie), Gérard se lance dans l'enseigne­ment. Mais pas n'importe lequel, celui de la plus vieille sa­gesse européenne, celle que lui a révélé sa forma­tion de latiniste.

Ne manquant pas d'ambition et prenant son courage à deux mains, il écrit à Ernst Jünger, pour obtenir de lui l'autorisation de repren­dre à son compte la publication d'Antaios, revue que le nonagénaire auteur du Traité du rebelle avait cofondée et animée avec Mircea Eliade de 1959 à 1971. Jün­ger accepte. Le premier numéro d'Antaios nouvelle formule paraît sous le parrainage de l'anarque à l’été 1993 (seize livraisons ainsi que plusieurs plaquettes paraîtront jusqu’en 2002). Antaios se veut une source d'in­spi­ration pour préparer le XXIème siècle, dont on sait de­puis Jünger qu'il sera celui des Titans, et le XXIIème siècle, ce­lui des Dieux. Depuis, Antaios s'ho­nore d'accueillir dans ses pages Michel Maffesoli, Alain Daniélou, Arto Paasilina, Robert Turcan, Gabriel Matzneff, ou Jean-Claude Albert-Weill.

Le paganisme selon Christopher Gérard? L'expression, su­per­be, est de lui: «redevenir soi-même macrocosme». Pas de divinité tutélaire, ni de menu à la carte, façon New Age. Pas question de se convertir au brahmanisme ou à l'hin­douis­me. Ridicule! Pas de mythe de l'Age d'Or. Pas d'illusion sur la technique, mais pas de blocage mental dessus. Pas d'i­dolâtrie non plus. «Méden agan» (rien de trop). Prier une multitude de dieux revient toujours à vénérer le seul et mê­me dieu démultiplié en autant de services à rendre. Non, le paganisme vrai consiste à révérer l'un et son con­trai­re, Apollon et Artémis, Sol et Luna, tous participant d'un même ordre du monde harmonieux, dans une pratique per­sonnelle, libre et joyeusement acceptée. Une ascèse, un combat aussi, contre le monothéisme génocidaire, l'ho­mo­généisation, les idéologies modernes. Rien de plus éloi­gné du paganisme que le fanatisme, le sectarisme reli­gieux. Cest pourquoi Gérard n'aime pas le mot foi, et lui pré­fère fides (sa devise, «Fides aeterna»). Et n'allez pas lui dire que le monde est désenchanté, lui vous rétorquera crépuscule en bord de mer, brame du cerf au petit matin, bruissement du vent dans les branches, chant du ruisseau.

Le Baucent: Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas en­core, Christopher Gérard, pourquoi ce titre, Parcours païen ?

Parcours païen est un recueil de tex­tes illustrant le réveil des Dieux dans la conscience d'un jeu­ne Européen d'aujourd'hui. La pensée grecque, surtout celle des présocratiques (sans oublier l'héritage tragique), l'empereur Julien, le souvenir de fouilles archéologiques menées durant l'adolescence, la figure solaire de Mithra, des voyages aux Indes sur les traces d'Alain Daniélou, l'Ir­lan­­de ancestrale, tous ces éléments à première vue dis­pa­ra­tes, mais d'une cohérence souterraine, composent le pay­sa­ge mental d'un «Païen» d'aujourd'hui. La vision proposée est donc personnelle: il s'agit bien d'un itinéraire et d'un témoignage, celui de la permanence d'un courant polythéiste en Europe. En rassemblant ces textes, j'ai voulu offrir au lecteur des pi­­stes de réflexion et montrer que le paganisme est à la fois civilisateur et apaisant. Trop de malentendus, de ca­ri­ca­tures l'ont rendu suspect et il était temps d'en finir avec toute une bimbeloterie. Ce recours à la mémoire païenne constitue un idéal de rési­stance aux ravages de la modernité. Prenons un exemple: les Grecs nous ont livré comme principale leçon de ne se laisser arrêter par aucune question, de refuser tout dogma­tisme. Or notre modernité, héritière d'un christianisme dé­sincarné (protestantisé), se fonde sur des dogmes: auto­no­mie de l'individu, mythe du progrès et de la croissance, etc. Etre Païen, c'est opposer à ces chimères les cycles éternels, la souveraineté de la personne, c'est-à-dire des hommes et des femmes de chair et de sang qui héritent, maintiennent et transmettent des traditions, une lignée, un patrimoine au sens large. Je lisais il y a peu le beau roman d'un authentique Païen, Jean-Louis Curtis, Le Mauvais Choix (Flammarion 1984). E­coutons ce que cet homme remarquable hélas disparu dit du paganisme: «On discerne dans le paganisme une grâce quasi miraculeuse, une intelligence profonde de la vie, du bonheur de vivre. Alors point de religion contraignante, mais seulement des fables gracieuses ou terribles, (...) des choses de beauté qui étaient à la portée de tous». Curtis voit bien que les utopies, ces maladies de l'intelligence, vo­missent le sacré parce qu'elles y voient une menace. Etre païen aujourd'hui, c'est refuser les utopies, la marchan­disa­tion du monde et le déclin de la civilisation européenne. C'est aussi reven­di­quer haut et fort une souveraineté attaquée de toutes parts. Je signale qu'en plus, l'ouvrage comprend une défense de l'Empire: du Brabant à la Zélande, de la Lorraine au Limbourg, nous sommes tous les héritiers d'une civilisation prestigieuse. Il nous appartient de rétablir l'axe carolin­gien, pivot d'un ordre continental digne de ce nom. Ad­ve­niet Imperium!

Le Baucent: Vous citez abondamment Ernst Jünger et on com­prend pourquoi. Mais que pensez-vous de son com­pa­triote Hermann Hesse, dont l'œuvre immense, disponible au format de poche, présente bien des similitudes avec cel­le de Jünger, en particulier s'agissant de la vision du monde, et ce malgré deux cheminements dans le siècle à l'op­posé l'un de l'autre ? Je pense à Siddharta, Demian, ou Le Loup des steppes.

Vous avez raison de faire référence à cet écrivain «alémanique», que Jean Mabire définit très justement dans Que lire II (1995) comme «le plus fidèle disciple de Nietz­sche, mais aussi des romantiques allemands». La lecture de Siddhartha m'a bouleversé autant que celle de Sur les fa­laises de marbre. Hesse, comme Jünger, est l'un des grands éveilleurs de l'aire germanique: tout jeune Européen doit avoir lu Le Loup des steppes, Le Voyage en Orient, Le Jeu des perles de verre,... J'empoigne mon exemplaire annoté de Siddhartha et je tombe sur ces li­gnes: «Qu'un héron vînt à passer au-dessus de la forêt de bambous et Siddhartha s'identifiait aussitôt à l'oiseau, il vo­lait avec lui au-dessus des forêts et des montagnes, il de­ve­nait héron, vivait de poissons, souffrait sa faim, parlait son langage et mourait de sa mort». Quelle plus belle évocation du paganisme?

Propos recueillis par Laurent Schang.

 

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