04 juillet 2018
Dominique de Roux parmi nous
« Il n’a pas été remplacé et il nous manque beaucoup » disait le regretté Pol Vandromme en parlant de son ami Dominique de Roux (1935-1977), éditeur de deux revues mythiques Les Cahiers de l’Herne et Exil, fondateur des éditions Christian Bourgois et de la collection 10/18, écrivain aux fulgurances inouïes.
Une sorte de barbare en fait, mais au service d’une certaine idée de la civilisation, notamment française, qu’honorait un récent colloque de la revue Eléments, où Dominique de Roux demeure très présent depuis quarante ans, comme l’illustrent des articles parfois anciens de Jean Parvulesco, Michel Marmin ou André Coyné.
Celui qui passa sa courte existence à défendre Céline, Pound et Abellio, cet éditeur allergique à « la volaille universitaire », ce héraut d’un gaullisme «nervalien», cet écrivain en guerre qui s’épuisa dans une quête haletante, se voit ici salué par quelques-uns de ses héritiers ou de ses débiteurs.
Son fils, l’éditeur Pierre-Guillaume (qui maintient aujourd’hui l’esprit de l’Herne, mais aussi celui de la Table ronde, de l’Age d’Homme ou du Rocher) rappelle l’importance des Cahiers de l’Herne, créés avec trois francs six sous par ses parents pour redonner la parole aux Impardonnables, « ces écrivains exigeants, malcommodes, habités par une manière de déplaire parce que profondément solitaires ».
Son ami Gabriel Matzneff dit la même chose que Pol Vandromme : sa mort à 42 ans à peine fut pour lui une « mutilation sans remède ». Surtout, il insiste sur le fait que, pour son ami Dominique, l’écriture était un acte de vie, tout le contraire d’un jeu ou d’une stratégie mondaine.
François Bousquet, l’ancien pilier de la rue Férou, librairie mythique où officia un temps le jeune Olivier François, directeur du présent recueil, fait justement le lien entre Dominique de Roux et un autre prodige des Lettres, Vladimir Dimitrijevic, alias Dimitri. Dans son éloge passionné, il rappelle que c’est Dominique de Roux qui offrit le Pétersbourg de Biély à Dimitri, permettant ainsi la naissance des fameux Classiques slaves, et donc la montée en puissance d’une maison longtemps non conforme.
Laurent Schang, un fidèle, qui saluait déjà de Roux il y a vingt ans dans une revue underground de Metz, évoque la géopoétique de cet auteur qui voulut « retarder la vieillesse du monde ». Et Philippe Barthelet, auteur d’un joli Qui suis-je ? chez Pardès, rappelle ce mot lourd de conséquences de Jünger : « S’il y a de l’indestructible, alors toutes les destructions imaginables ne sont que des purifications ».
Christopher Gérard
Olivier François dir., Dominique de Roux parmi nous, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 122 pages, 19,90 euros.
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13 mars 2018
Maîtres & complices
« J’espère que mes livres insufflent un surcroît d’énergie, un supplément de joie » répondit un jour Gabriel Matzneff à un lecteur tenté par le désespoir. La réédition bienvenue de ses Maîtres et complices, à mes yeux l’un de ses tout beaux livres avec La Diététique de Lord Byron et Le Taureau de Phalaris, confirme, s’il le fallait encore, la place, centrale, qu’occupe cet écrivain majeur dans la littérature française.
Maîtres et complices est le premier livre de Gabriel que, vers 1994, j’ai reçu en S.P. (les fameux « service de presse, ces exemplaires gratuits que vous adressent - ou non - les éditeurs et que les critiques exhibent comme des trophées … ou revendent à la sauvette). Avec un bel envoi, le premier d’une longue série, le plus souvent à l’encre turquoise. Vingt ans après (et des poussières), je reprends mon exemplaire annoté au crayon pour, très vite, me laisser bercer par la langue sans fausse note ni fausse monnaie de Matzneff, toute de limpidité, tour à tour savante et familière, si ferme et fluide à la fois – adamantine.
Là réside le génie de ce franc-tireur qui, quoiqu’il écrive, parvient à communiquer au lecteur une ferveur, un enthousiasme que peu de contemporains seraient aptes à susciter. En trois cents pages, Gabriel Matzneff salue les auteurs qui l’ont révélé à lui-même et qui lui ont permis d’édifier sa citadelle intérieure : il s’agit bien d’exercices d’admiration. Sénèque et Hergé, Nietzsche et Pétrone, Chestov et Schopenhauer, Littré et Casanova composent ce panthéon où se croisent ceux qu’invoquait Byron, l’un des Dieux de Matzneff : « Ces monarques qui, bien que morts, ont conservé leur sceptre et (qui), du fond de leur urnes, gouvernent nos âmes ».
Son propos est d’une exemplaire piété : si l’Eglise (orthodoxe) prie pour les morts, si Mnémosyne, Dame Mémoire, enfante les neuf Muses, un clerc digne de ce nom doit lui aussi dire sa dette. D’où ce livre à la miraculeuse séduction, ce parfait témoignage de dandysme.
Pour ma part, j’adore à la folie cette fidélité à ses maîtres, cette manière inimitable, civilisée au suprême, de transmettre une flamme – lux perpetua.
Gabriel Matzneff, Maîtres et complices, La Petite Vermillon n° 100, 314 pages, 8.70€
Il est longuement question de Gabriel Matzneff dans
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19 février 2018
Présence de Michel Déon
Dans Bagages pour Vancouver, émouvant volume de mémoires, Michel Déon rappelait sa volonté, et celle de ses amis, dont le regretté Pol Vandromme, de faire respirer à ses lecteurs « un air moins malsain que celui de notre époque » tout en réintroduisant dans ses livres « le plaisir et la mélancolie de vivre, une certaine dignité devant l'œuvre de la mort. » Le moins que l’on puisse dire est que l’actualité récente illustre que ce combat ne finira jamais. La Mairie de Paris, probablement pour de basses raisons idéologiques (en réalité esthétiques : rien de plus implacable que la haine du beau et du vrai), ne refuse-t-elle pas d’accorder un refuge aux cendres de l’écrivain qui, Parisien de naissance, a si bien chanté la rue Férou et la Rhumerie martiniquaise ? Comble de l’élégance, ledit refus est notifié par un scribouillard à peine quinze jours après le décès de Chantal Déon, la veuve du vieux gentilhomme. Dieux merci, la toile s’est enflammée, toutes générations confondues, et une centaine de confrères, toutes sensibilités mêlées, a manifesté sa consternation.
Un joli livre des éditions Séguier, une maison à l’ancienne qui publie des bijoux d’élégance (par exemple les souvenirs du cher Michel Mourlet), salue la mémoire de Michel Déon. L’auteur, Christian Authier, est critique au Figaro et romancier (Prix Roger Nimier) ; essayiste, il a évoqué Clint Eastwood et Patrick Besson. Il prend aujourd’hui la suite de Pol Vandromme, qui, dans Le Nomade sédentaire, avait naguère salué son ami de cinquante ans.
Les Mondes de Michel Déon, une biographie se lit d’une traite, « comme un roman » pour user d’un truisme, par la grâce d’un style fluide et d’une empathie quasi amoureuse pour l’écrivain. Quelques clichés en noir et blanc illuminent le texte, dont celui où l’on voit Michel Déon embrasser Jacques Laurent lors de l’entrée de ce dernier à l’Académie, ou cet autre d’un jeune seigneur de 1936 posant devant un College de Cambridge.
Authier souligne le talent que possède Déon d’enchanter et de désenchanter dans un même élan son lecteur par le biais de livres, oui, déchirants et qui donnent souvent l’impression d’être né trop tard. Des Gens de la nuit aux Poneys sauvages, Déon a traduit ce discret mais tenace désespoir et l’on a eu tort de le qualifier d’écrivain du bonheur. Déon, écrivain tragique, donc – terme toutefois absent chez Authier.
Pourtant, d’où provient, lorsqu’on referme cette biographie, l’impression de rester sur sa faim, comme après avoir dégusté une pâtisserie trop sucrée ? Du style consensuel de son auteur ? De ce manque de densité propre aux néo-néo-hussards ? De l’absence de faits nouveaux, du caractère si attendu des sources où le biographe a puisé : ni archives, ni correspondance, ni articles (de L’Action française au Figaro, en passant aussi par Défense de l’Occident), ni même ses trente ou quarante livres illustrés ne sont conviées au festin ?
Bref, il reste à écrire une grande biographie critique du grand antimoderne que fut Michel Déon, écrivain tragique.
Christopher Gérard
Christian Authier, Les Mondes de Michel Déon. Une biographie, Editions Séguier, 21€
Voir aussi mon adieu à Déon sur Archaion, à la date du 31 décembre 2016
http://archaion.hautetfort.com/archive/2016/12/31/exit-michel-deon-5893194.html
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Il est question de Michel Déon dans Quolibets
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31 décembre 2017
Souvenirs d’un gandin lettré
Amis lecteurs, vous connaissez tous par cœur ce mot de Baudelaire, qui définit l’esprit dandy comme « le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences » et celui de Jünger pour qui « le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important ».
En porte-à-faux par rapport à une modernité qu’il méprise souverainement, le dandy, nous le savons, oscille entre rébellion aristocratique et mystification narcissique, entre discipline d’airain et alanguissement fin de race. A sa manière, il incarne, parfois aux lisières du ridicule, l’antimoderne, celui qui, sous le masque de la froideur, tente de surmonter la douleur suscitée par notre bel aujourd’hui. Impertinent (ce qui lui est reproché, même par des hommes proches de lui), subversif avec panache, le dandy se révèle avant tout un dégoûté, hanté par la déchéance, qui exalte sa différence au milieu des termites.
Voilà que, par le truchement du cher Patrick Wagner, qui d’une poigne de fer dirige la si précieuse revue Livr’Arbitres, je reçois un curieux opuscule édité au détriment du Bretteur, « près les anciennes Halles de Paris » et qui a pour titre, Mes Tailleurs. Souvenirs d’un gandin lettré. Comment ne pas être séduit ? L’auteur, Bernard Baritaud, m’est inconnu… mais je sais l’estime que lui porte Marc Laudelout – impeccable passeport. Plus que courtois, l’envoi évoque un commun dédain pour les « mièvreries contemporaines ». Hésiter plus longtemps ? Les quatre-vingt-cinq pages se lisent d’une traite ; elles illustrent ces réflexions sur le dandysme tant l’auteur, né à l’extrême fin des années 30, se révèle tout sauf futile lorsqu’il se souvient d’un tailleur de Poitiers, de Dakar, de Bruxelles (Ah, l’Union des Drapiers, avenue Louise puis rue de Namur !) ou de Venise – car l’homme, diplomate ou espion, a beaucoup voyagé, et même vécu outremer. La tête bien faite, car formée par de saines lectures (Stendhal et Morand, Cendrars et Léautaud), Bernard Baritaud a compris que l’élégance vestimentaire, si elle témoigne du maintien en « ce monde de sagouins » d’un type d’homme, est aussi un jeu littéraire : les vrais élégants, au moment de choisir le veston, la chemise et la cravate du jour (de l’heure), se souviennent des hésitations de Maurice Ronet dans Le Feu-follet de Louis Malle, des culottes blanches de Stendhal à la Scala de Milan ou des tweeds de Morand (que feu Marcel Schneider reçut en héritage). Je ne suivrai pas Bernard Baritaud dans tous ses anathèmes (sa condamnation de la pochette, sauf, celle, churchillienne, de sa robe de chambre, ne me convainc guère) ; je puis déplorer certains oublis (il semble ignorer l’existence du chemisier romain Battistoni, à deux pas du Greco, comme celle du jeune tailleur Scavini, à deux pas des Invalides), mais je me réjouis de rencontrer bientôt un habitué de Savile Row, et donc un camarade de combat contre le néant qui tout emporte.
Christopher Gérard
Bernard Baritaud, Mes Tailleurs. Souvenirs d’un gandin lettré, Editions Le Bretteur (lebretteur@free.fr), tiré à cent exemplaires, 11€. La même maison a réédité l’Eloge du duel de Marcel Boulenger et America felix, les poèmes américains du cher Marc Hanrez.
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19 décembre 2017
Matulu, journal rebelle
En plus de vingt-cinq ans, et bien avant la parution d’Une Vie en liberté, ses passionnants mémoires, j’aurai eu de nombreuses occasions d’évoquer le cher Michel Mourlet, écrivain salué tout jeune par Morand et Fraigneau, critique dramatique, théoricien (mac-mahonien) du cinéma et acteur (dans A bout de souffle), défenseur de la langue française, militant souverainiste… Je renvoie le lecteur à Quolibets, mon journal de lectures, où je consacre quelques pages à ce clandestin capital.
Un autre ami, François Kasbi, s’est donné la peine, et avec quel brio, de composer une anthologie de textes parus dans la mythique revue fondée et dirigée par Mourlet au début des années septante, Matulu, et qui, à l’instar de ses aînées Opéra et La Parisienne, fut un temps le rendez-vous des non conformistes. Mensuel artistique et littéraire, Matulu dura trois ans – trente livraisons qui rassemblèrent la fine fleur de l’underground et qui sont autant de trésors sans rien de fané.
Le résultat ? Près de cinq cents pages bien serrées que l’on lira en grognant de plaisir, un verre de pure malt à la main. Brûlot antimoderne, « goélette corsaire » comme l’a un jour définie son fondateur, Matulu maintint sans passéisme ni exclusive un style, une tradition que d’aucuns, en ces années de délire moderniste (« du passé faisons table rase »), entendaient, les fous, éradiquer.
Une revue d’arrière-garde en somme… si ce n’est que les contributeurs étaient tout sauf des idéologues et avaient le sectarisme en sainte horreur.
Au fil de ces bonnes pages, le lecteur croisera Abellio, Etiemble, Georges Mathieu, Jean-Pierre Martinet, Alfred Eibel. Les dossiers sont consacrés à Retz, à Bernanos, à Cossery, à La Fontaine, à Caillois… Montherlant y donne son ultime entretien, intitulé Le Solstice d’hiver (« la glissade et le pétrin ») ; Déon s’y confie (« les romans sont des mensonges »), de même que Morand (« les mots sont la drogue des écrivains ») ou Laudenbach.
En un mot comme en cent, relire le meilleur de Matulu, c’est redécouvrir les marges, les vraies, les précaires – les clandestines. C’est s’initier auprès de maîtres à l’art aristocratique de la dissidence.
Christopher Gérard
François Kasbi dir., Matulu. Journal rebelle (1971-1974), Editions de Paris, 480 pages, 20€. Voir aussi, Michel Mourlet, Une Vie en liberté, Séguier, 450 pages, 22€.
Voir aussi ma chronique sur Une Vie en liberté,
sur ce même site à la date du 3 mai 2016
http://archaion.hautetfort.com/archive/2016/05/03/les-heureuses-rencontres-de-michel-mourlet.html
Et, last but not least, mes Quolibets
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