29 mars 2021
Hôtel Beauregard
Mon jeune confrère Thomas Clavel, qui enseigne le français en zone prioritaire, avait, l’an dernier, publié un salubre et courageux premier roman, plus exactement un conte philosophique, Un traître mot.
Dans une France où les crimes de langue seraient punis avec une toute autre sévérité que les crimes de sang, où l’imposture victimaire et la traque des phobies les plus absurdes seraient devenues la règle, il imaginait les mésaventures d’un jeune normalien qui, à la suite d’un dérapage verbal et d’une plainte déposée par une étudiante « issue de la Diversité » pour une note d’examen jugée oppressive, se voyait traîné comme un malpropre au tribunal et condamné séance tenante à une peine de prison ferme. Un traître mot décrivait non sans humour son incarcération et sa rééducation lexicale, et surtout sa résistance victorieuse au lavage de cerveau néo-obscurantiste.
La présente pandémie lui inspire un autre conte philosophique, Hôtel Beauregard, d’après le nom d’un hôtel abandonné du vieux Nice, qui sert de refuge à quelques rebelles au nouvel ordre sanitaire instauré après la cinquième vague d’un virus au nom imprononçable. Axelle, jeune doctorante en microbiologie marine, vit le énième confinement, entre son laboratoire de Monaco et ses prothèses électroniques, smartfaune étincelant de nuit comme de jour & ordinateur nomade, « source facile et intarissable du commun abreuvoir ». Thomas Clavel voit bien à quel point cet univers numérique, en fait parallèle, constitue un inframonde « ayant abandonné l’antique scène tellurique, cosmique, céleste ».
C’est précisément de ces abysses que surgira le malheur quand un simple cliché posté tous azimuts par un collègue étourdi déclenche un mécanisme digne d’une tragédie grecque. Car ces réseaux sociaux se trouvent piratés par des êtres maléfiques, nouveaux possédés, venus du fin fond des Enfers : dénonciateurs anonymes ou fanfarons, puritains de clavier, vengeurs en tous genres y pullulent, pareils aux démons de l’imagerie médiévale. Le fameux cliché d’Axelle démasquée attire l’attention de Nahama, blogueuse à moitié illettrée devenue toute-puissante influenceuse et même, par la grâce du pouvoir, Ambassadrice de l’Hygiène publique. Les lecteurs du Zohar se souviendront que Nahama, épouse de Noé, engendre des démons, comme Lilith.
Cette opportuniste lance contre l’inoffensive Axelle une chasse à l’homme (ou faut-il désormais écrire « à la femme » ?) où la haine incandescente, la surenchère la plus effroyable - toujours au nom de l’Empire du Bien - vont porter leurs fruits les plus vénéneux.
Subtile méditation sur le visage, le masque et l’incarnation, Hôtel Beauregard suscite l’effroi et la réflexion. Ce conte pâtit, ce sera mon unique bémol, du style oral adopté par un ou deux personnages, qui parlent « jeune » - argot qui vieillira vite … et qui m’écorche les oreilles. Dieux merci, Thomas Clavel écrit un français classique et poétique, ces quelques dialogues mis à part. Ce jeune écrivain prometteur fait sienne la réflexion d’Artaud, dans Le Théâtre et son double, « Bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, la peste fait tomber le masque, découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartufferie. »
Christopher Gérard
Thomas Clavel, Hôtel Beauregard, La Nouvelle Librairie, 218 pages, 14.90€. Chez le même éditeur, Un traître mot.
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23 mars 2021
La Littérature à balles réelles
Né en 1966 en Aquitaine, Bruno Lafourcade, diplômé de Lettres modernes, est l’auteur d’un courageux Sur le suicide (Ed. François Bourrin), que j’avais chroniqué in illo tempore, ainsi que d’une charge à la baïonnette, Les Nouveaux Vertueux. Plenel, Fourest, Joffrin, etc. & tous leurs amis (Ed. Jean Dézert).
Pour ma part, je l’ai vraiment découvert comme écrivain avec son roman L’Ivraie (Ed. Leo Scheer), un vrai livre d’auteur accompli, hilarant et désespéré, incorrect et plein d’humanité, qui retraçait le parcours d’un ancien gauchiste de la génération Touche pas à mon pote devenu sur le tard professeur de français dans un lycée technique et donc condamné à « une existence grise et bouchée ». Bruno Lafourcade s’y révélait polémiste de race, déchaîné contre l’imposture aux mille faces, toujours avec esprit et dans une langue précise, ponctuée à la perfection (rara avis) et servie par un style percutant.
Dans Les Cosaques & le Saint-Esprit (Ed. La Nouvelle Librairie), une centaine de chroniques qui sont autant d’anathèmes et de fulminations, il dressait le portrait d’une certaine France, celle de M. Macron, et faisait preuve d’une très sûre allergie aux impostures de l’époque.
Infatigable, le voilà qui revient avec La Littérature à balles réelles, pamphlet en forme d’abécédaire qui l’inscrit dans la tradition de Gracq et de Jourde, et, plus haut, de Barbey d’Aurevilly ou de Bloy. Totale est sa franchise, et inexistante sa timidité : « J’ai du meurtrier en moi », proclame-t-il en précisant, le farceur, « Il n’y a pas que de l’aigreur en moi, il y a aussi du fanatisme. »
L’homme est sincèrement ulcéré par le triomphe des cacographes et par la liquidation des vrais auteurs, condamnés aux interstices de notre société. Du coup, il empoigne sa carabine et, par ordre, d’Adam (Olivier) à Viviant (Arnaud) en passant par … Lafourcade (Bruno), il nettoie, impavide. L’exercice serait convenu s’il n’était soutenu par un style, une drôlerie, un sens de la formule lapidaire au sens strict - Bruno Lafourcade lapide ses cacographes.
Tel zoïle « est traduit dans le monde entier ; dans un monde juste, il le serait devant les tribunaux. » De tel vieil adolescent cynique, Lafourcade dit justement que « son insignifiance croisa celle de l’époque ». Et ainsi de suite, je refuse de citer les noms, mais tous ont ceci en commun d’être peu ou prou oléagineux, c’est-à-dire « informes dans la langue, conformes dans les idées ».
Entre deux salves, notre puriste profère de précieuses vérités sur le style : « une page sans point-virgule ne mérite pas d’être lue (…) car son absence authentifie deux impuissances : celle de la pensée et celle de la phrase ». Ou encore cette très juste réflexion, d’une réelle profondeur sur l’importance du remords en littérature : « On écrit avec ses scrupules ; si sûr que l’on soit de son style, on ne peut faire l’économie de sa honte ».
Soyons complet : il arrive à notre fusilier littéraire de saluer des confrères : Camus et sa phrase « infaillible », Finkielkraut, « penseur du chagrin et de la perte », Duteurtre et Maulin. Attendons donc qu’il nous livre le tableau de ses admirations.
Christopher Gérard
Bruno Lafourcade, La Littérature à balles réelles, Ed. Jean Dézert, 100 pages, 12€. A commander à jeandezert-editeur.fr
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03 février 2021
Avec Michel Mourlet
Avec Une Vie en liberté (Séguier) ses mémoires publiés en 2016, Michel Mourlet s’amusait à évoquer les « heureuses rencontres » d’une vie bien remplie. Auteur vers 1960 du manifeste des Mac-Mahoniens, phalange de cinéphiles en rupture avec la « bien-pensance » cinéphilique de l’époque (ces jeunes gens, dont Alfred Eibel et Bertrand Tavernier, adulaient Lang, Losey, Preminger et Walsh - et non Antonioni ou Hitchcock), Michel Mourlet est aussi romancier, salué par Fraigneau et Morand. Et homme de théâtre, critique, spécialiste de la télévision, éditeur indépendant de livres et de revues (la fameuse revue non-conformiste Matulu !), défenseur de la langue française, et même acteur de cinéma (dans A bout de souffle)…
Surtout, ce disciple contemporain de Parménide incarne d’une manière éminemment française celui qui refuse de marcher en file indienne , « ludique et désenchanté, grave et désinvolte ».
Deux livres récents permettent de mieux connaître cet esprit indépendant. Le cinéphile d’antan tout d’abord avec Survivant de l’âge d’or, un recueil d’inédits, études et entretiens datant des années 1970-2020, où Michel Mourlet évoque, dans le désordre, Rossellini et Cecil B. DeMille ; ses amis Rohmer et Cottafavi, Astruc et Sautet ; Fellini et Tarantino, deux cinéastes qu’il goûte peu ; et Godard, jugé surfait sauf dans Pierrot le fou.
Les trois éditions, depuis 1997.
Le critique littéraire ensuite avec la troisième édition revue et augmentée de ses Ecrivains de France. XXème siècle, dont j’ai le bonheur de posséder les trois éditions ornées d’amicaux envois. Cela fait bientôt vingt-cinq ans que j’ai reçu cet essai si personnel, magnifique galerie d’écrivains salués avec une savante amitié et dédié à Michel Déon. Anouilh l’hurluberlu, si longtemps tenu sous le boisseau malgré ses cinquante pièces, dont Antigone et Ornifle ou le courant d’air. Beckett, l’aboulique suprême. Bernanos, l’intransigeant, toujours déçu par les faits et n’aimant que les causes perdues. Chardonne, « l’un des plus parfaits produits de l’âme française ». Claudel, « molosse de la foi ». Déon, bien sûr, dont Mourlet dit l’importance du tout grand roman qu’est Un Déjeuner de soleil. Le regretté Dupré. Fraigneau, le phénix, qui connut le purgatoire et la renaissance de son vivant, un peu comme Morand (hélas ! absent de ce livre). Tant d’autres, de Giraudoux à Toulet, sans oublier Montherlant, interrogé peu avant son suicide et qui confie sa douleur de vivre dans un monde où tout le blesse.
Deux bijoux de haute culture, deux exemples d’une réjouissante liberté d’esprit.
Christopher Gérard
Michel Mourlet, Survivant de l’âge d’or. Textes et entretiens sur le cinéma 1970-2020, Editions de Paris, 176 pages, 18€.
Ecrivains de France XXème siècle, France Univers, 398 pages.
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Entretien avec Michel Mourlet
Propos recueillis par Christopher Gérard
Depuis votre premier livre, D’Exil et de mort (1963), roman salué par Paul Morand, vous n’avez cessé d’écrire. Quel genre d’écrivain êtes-vous ?
Quelqu’un, me semble-t-il, qui a des curiosités multiples, répugne à la spécialisation et n’est jamais là où on l’attend. J’ai au moins cinq catégories de lecteurs : ceux qui pensent que je suis un théoricien du cinéma ; ceux qui pensent que je suis un écrivain de fiction, accessoirement essayiste de droite ; ceux qui me prennent pour un journaliste ; ceux qui ne me connaissent que pour mes activités théâtrales, pièces et critiques ; ceux enfin pour qui je suis un militant souverainiste anti-« franglais », administrateur de Défense de la langue française. Peu de gens de chaque catégorie savent que je m’occupe d’autre chose. Ces cloisons m’amusent beaucoup. En fait je crois surtout être un écrivain secret qui a horreur des gesticulations publicitaires et se ferait du souci pour l’avenir s’il avait, dans l’immédiat, une trop large audience. Dans ce sens précis, Paul-Jean Toulet ou Vialatte demeurent pour moi des modèles.
Quels ont été vos maîtres en littérature, ceux du passé et ceux que vous avez eu la chance de côtoyer ?
J’ai envie de répondre : Ni Dieu ni maître ! Je crois n’avoir eu que d’intimes admirations. Dans le passé et le désordre, quelques noms me viennent à l’esprit : Hugo, Valéry, Nietzsche, Racine, Vigny, La Bruyère, Stendhal, Barrès… Côtoyés : Fraigneau, Montherlant. En vérité j’ai lu ou connu personnellement – et infiniment goûté – beaucoup plus d’écrivains que cela et chacun a pu déposer en moi quelque chose de lui. Mais, comme je l’avais expliqué dans Le Figaro en réponse à un questionnaire des années 60, je suis le dernier à pouvoir identifier de manière objective les lectures qui m’ont influencé. Au moins deux commentaires sur mes Chroniques de Patrice Dumby, l’un de Michel Déon, l’autre de Jean-Marie Drot, m’ont attribué Larbaud comme ancêtre. Or il se trouve que j’ai peu lu Larbaud. N’est-ce pas curieux ? Il y a quelque chose que je peux ajouter néanmoins, concernant la formation des talents : les échanges d’idées, de brouillons et de remarques sur ces premiers jets entre amis du même âge, si les jeunes gens en question sont suffisamment ouverts, peuvent être féconds. Flaubert et Bouilhet en fournissent la preuve ; de même Valéry, Gide et Pierre Louÿs. J’ai expérimenté cela avec deux camarades de lycée : le futur écrivain Jacques Serguine, le futur cinéaste et producteur Pierre Rissient.
Vous avez aussi fréquenté de grands peintres. Quelles ont été les rencontres les plus décisives ?
Je n’ai pas assez côtoyé Salvat, qui avait créé la couverture de mon premier roman à la Table Ronde (et, par la suite, offert à mon magazine Matulu une très belle illustration de notre dossier sur Déon), pour dire que mes rencontres avec lui furent décisives. Elles étaient plutôt une conséquence de notre commune amitié pour André Fraigneau et Roland Laudenbach. J’en profite pour dire que Laudenbach, à mon avis, fut le dernier grand éditeur parisien, un éditeur de la trempe des Bernard Grasset, Robert Denoël ou Gaston Gallimard, pour qui « littérature » signifiait quelque chose de plus que la commercialisation d’un produit. Fermons la parenthèse. En revanche, j’ai très bien connu Savignac, qui n’était pas un grand peintre mais un immense affichiste. Il avait un sens extraordinaire du gag visuel et m’enchantait par ses propos réactionnaires d’une savoureuse virulence, qui frappaient toujours juste. Je possède de lui plusieurs gouaches grand format, notamment les illustrations originales des premières éditions de mes Maux de la langue, ainsi que l’affiche destinée à l’Illusionniste de Sacha Guitry, qui orne la couverture d’Écrivains de France. J’ai entretenu aussi, surtout à l’époque de Matulu, des contacts assez réguliers avec Mathieu, qui m’écrivait de superbes lettres, de son écriture de « seul calligraphe occidental », comme disait Malraux. J’en ai même conservé les enveloppes, qui mériteraient d’être encadrées. Mais le peintre dont j’ai été le plus proche, c’est sans nul doute Chapelain-Midy, dont la hauteur de vue, l’exigence esthétique, la profondeur de jugement, l’élégance morale et la complète indifférence aux modes intellectuelles correspondaient tout à fait à ce que j’attendais d’un artiste. C’est lui qui a peint l’admirable scène qui illustre la couverture de ma Chanson de Maguelonne, rééditée il y a trois ans. Avec les épîtres qu’il m’a envoyées, on pourrait presque composer un traité de l’Art… A contrario, et sans vouloir choquer personne, j’ai rencontré une fois le sculpteur César à Monte-Carlo et ne me suis pas attardé : il m’est apparu comme l’« artiste contemporain » par excellence, un faiseur.
Le cinéma occupe une place importante dans votre vie comme dans votre œuvre. Vous apparaissez dans A bout de souffle et vous passez même pour le législateur d’un courant. Qu’en est-il ?
Effectivement, j’ai une très grande carrière d’acteur derrière moi : dans l’obscurité de la salle du Mac-Mahon où se déroule une scène d’À bout de souffle, j’étais un des spectateurs. J’incarne également un consommateur attablé à la terrasse d’un café dans le Signe du Lion de Rohmer, un passant dans la foule de Vu du pont, et j’ai joué deux fois mon propre rôle : dans le premier film en Cinérama, comme rapin anonyme préparant les Arts Déco à l’Académie Cola Rossi de Montparnasse, et comme auteur dramatique dans l’Ordre vert, docufiction de la jeune et combien douée Corinne Garfin ! Plus sérieusement : j’ai participe au mouvement d’agit-prop cinématographique dit « mac-mahonien », en tant que « théoricien », comme disent les auteurs de mes notices biographiques, et bien que je n’aime guère ce mot. Ainsi que je l’ai confié récemment aux Inrockuptibles et au Choc du mois, je préfère être considéré comme l’analyste passionné d’une « expérience limite » du cinéma. (…)
J’ai rencontré Otto Preminger, de qui j’ai appris la fascination cinématographique, grâce à Laura, Angel Face, le Mystérieux Dr Korvo et Sainte Jeanne. J’ai rencontré mon ennemi intime le scénariste Cesare Zavattini, à Rome, et j’ai même enregistré avec lui un long entretien qui doit dormir dans un de mes tiroirs. Il avait tout compris de la nécessité du réalisme et rien de la nécessité du choix. J’ai bavardé maintes fois avec Losey, à Londres, avant qu’il ne laissât quelque peu corrompre son esthétique brutalement rigoureuse par des enjolivures compliquées. Et Lang, bien sûr ! Dans mon prochain livre sur le cinéma, je raconterai mon dernier déjeuner avec lui. Et Tati, et Deville, et Sautet, et Astruc, et le cher Vittorio Cottafavi, que j’ai visité pour la dernière fois en 1995 à Rome où je m’étais rendu une fois de plus, pour cause de Centenaire du cinéma.
Vous venez de publier Les Maux de la langue, un impressionnant recueil de chroniques consacrées à la défense du français. Quelle en est la genèse ?
Tout est parti d’une conférence que j’ai prononcée en 1981 devant un parterre d’officiers de l’École supérieure de guerre qui planchaient sur le concept de « défense globale », celle-ci devant selon moi inclure la défense de notre principal instrument de communication, de notre plus visible repère d’identité et de son trésor patrimonial. À partir de là, je me suis rendu compte que la plupart des gens étaient inconscients des enjeux géopolitiques – et même simplement personnels – du langage, et qu’ils articulaient leur idiome à peu près comme un animal aboie, rugit ou hurle ; ce qui ouvre les vannes d’un darwinisme linguistique où le plus fort en muscles et en gueule fait la loi. La question aujourd’hui se résume à ceci : puisque N millions de producteurs de Coca-Cola font ensemble plus de bruit que les autres, doit-on pour autant embaumer Molière dans un sarcophage comme Plaute et Aristophane ? Si l’on ajoute à cette question la constatation qu’en France même, N millions d’irresponsables et d’illettrés (je pèse mes mots et use de litote) s’en fichent et même parfois s’en félicitent, n’y a-t-il pas de quoi foncer dans le tas, lance en avant ? Ce fut mon cas, à partir du Discours de la langue, dont même le Président Mitterrand, fin lettré et grand amateur de Chardonne, tint à me remercier.
(…)
Clichy, octobre 2008.
Propos recueillis par Christopher Gérard.
Il est question de Michel Mourlet dans Les Nobles Voyageurs :
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28 décembre 2020
Ode à l’homme classique
Comme chacun sait, l’élégance masculine classique doit l’essentiel d’elle-même à l’Angleterre* et la plupart de ses codes au sport, à l’exploration et à la guerre, la coupe et la finition d’un vêtement devant permettre une identification immédiate tout en permettant des mouvements parfois violents. Elégance et héroïsme se marient ainsi dans l’imaginaire du tailleur et de ses clients, qui, de manière subliminale, désirent ressembler à l’archétype de l’officier.
Cet idéal, celui de l’homme classique ou du gentleman - à juste titre préféré à celui, ô combien équivoque, du dandy - Le Chouan des Villes, pseudonyme d’un énigmatique Nantais, l’illustre dans sa vie depuis à peu près quarante ans et le défend depuis une quinzaine d’années sur la toile par le biais d’un blog célèbre. Naguère, j’ai eu l’occasion de dialoguer avec cet érudit qui est avant tout un homme de goût, entre autres pour un numéro de la revue littéraire Livr’Arbitres sur le dandysme. Le Chouan prône, sur le plan du vêtement mais aussi du savoir-vivre, les deux étant pour lui liés, un classicisme intégral, mode avoué, revendiqué même, de résistance à une modernité décadente. Notre Chouan se dit disciple de Pascal et de Baudelaire, de Barbey d’Aurevilly et de Toulet – un raffiné révulsé par l’uniformité et la monotonie d’une époque de moins en moins tolérante, car la beauté est devenue suspecte, presque coupable. La grisaille, la manie de l’égalité, telles sont ses - nos - mortelles ennemies !
Le Chouan des Villes est une sorte d’officier perdu qui mène un combat où « le réarmement civilisationnel passe par une réappropriation des codes vestimentaires ». Comme il le proclame non sans panache, « la nuit des inversions et des déconstructions n’a que trop duré ». Il n’est pas le seul : avant lui, sans bien entendu remonter à Barbey, l’Honorable James Darwen, avec son extraordinaire Chic anglais ; Tatiana Tolstoï, avec le précieux De l’Elégance masculine ; G. Bruce Boyer avec True Style ont marqué les esprits. Plus près de nous, le tailleur Julien Scavini, architecte de formation et dessinateur dans le style de la ligne claire (Blake et Mortimer ne sont pas loin), a publié deux jolis essais d’inspiration classique.
Le Chouan des Villes s’inscrit bien dans une tradition pour qui l’habit est tout à la fois signe de contradiction et marque de respect pour soi-même comme pour autrui.
Son essai constitue l’examen minutieux, d’une rare cohérence, de la garde-robe classique d’aujourd’hui, de la robe de chambre chère à Diderot au nœud papillon. A la tyrannie des sweat à capuche, jeans troués & godasses en plastique, s’oppose le règne du costume trois pièces, du chesterfiled et des boutons de manchettes. Eloge de la cravate et des gants, de la veste autrichienne (portée avec un foulard) et du richelieu (« oxfords not brogues », comme dit le héros du film Kingsman), courageuse défense du chapeau, ce livre bienvenu comblera tous ceux qui, comme l’auteur, poursuivent le rêve « d’une silhouette parfaite en ombre chinoise ».
Christopher Gérard
Le Chouan des Villes, L’Homme classique. Secrets d’élégance, préface et illustrations de Julien Scavini, AlterPublishing, 2020, 150 pages, 15€.
A commander exclusivement sur Amazon (manuscrit refusé par plusieurs éditeurs).
Lire aussi :
James Darwen, Le Chic anglais, Hermé, 1990.
Tatiana Tolstoï, De l’Elégance masculine, Acropole, 1987.
G. Bruce Boyer, True Style, Basic Books, New York, 2015.
Julien Scavini, Mode Men, Marabout 2014. Du même, Guide de l’élégance masculine, Figaro Magazine, 2016.
* Nul ne niera les apports de la France et de l’Italie, ni même du monde germanique.
Lire aussi, sur ARCHAION
mes chroniques du 20 octobre 2014 et du 24 septembre 2013.
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25 novembre 2020
Avec Bertrand Lacarelle
Plus Oultre, la magnifique devise de Charles-Quint, pourrait bien devenir celle de Bernard Lacarelle, preux d’Angers, qui, dans son dernier livre, lance une fraternelle exhortation à « réveiller les cœurs français », ô combien oublieux de leurs lumineuses origines. Comment comprendre Ultra-Graal, ce livre qui ne ressemble à rien (ce qui est souvent bon signe), sinon comme un fiévreux appel à l’insurrection chevaleresque, comme une volonté de revenir au XIIème siècle ? Ultra-Graal ? Un brûlot suzerainiste ; le manifeste de l’arthurienne sécession.
Pour le frère Lacarelle, tout commence avec Chrétien de Troyes vers 1178 (après Jésus-Christ), le rhapsode qui, en composant Lancelot ou le chevalier de la charrette, puis Perceval ou le conte du Graal, fonde la littérature française comme Homère le fit pour la Grèce. Au tréfonds de notre âme, nous savons que, de Don Quichotte aux Trois Mousquetaires, la grande littérature est histoire de paladins sans peur et sans reproche.
Cette « si grande clartez » que chante Chrétien de Troyes est celle qui guide son lointain disciple Bertrand d’Angers, ultra réfugié dans la sylve ancestrale.
Manifeste spirituel et terreauriste (i.e. en faveur d’une écologie intégraale), Ultra-Graal déconcerte et fascine en tant que Grande Restauration de l’Âme Ardente et sans Limite, pour citer un graffiti qu’affectionne l’auteur. « Nous formons un archipel perdu dans l’océan conforme », s’exclame-t-il à bon droit.
Pourquoi ce livre attachant me fait-il songer au Grand d’Espagne de Roger Nimier ? Même race, mêmes nostalgies, même panache.
La suzeraineté ou la mort !
Christopher Gérard
Bertrand Lacarelle, Ultra-Graal, 174 pages, 18€
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