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11 septembre 2018

Un Homme dans l'Empire

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L’honneur d’un lieutenant

 

Pénaliste reconnu, auteur aux PUF de savants traités sur l’erreur et l’innocence judiciaires, Dominique Inchauspé se révèle aussi romancier de haut parage avec Un Homme dans l’Empire, élégant récit qui, sous la forme de lettres écrites par un officier à la femme qu’il a quittée, nous entraîne dans un empire imaginaire, mixte d’Imperium Romanum et de IIIème République. Comment, dès les premières pages, ne pas penser au Désert des Tartares, au Crabe Tambour ? Hautaine méditation sur la res militaris, sur l’honneur de servir au mépris des mesquines stratégies personnelles, cet envoûtant roman, anachronique à souhait, nous fait partager la vie d’un Impérial, le lieutenant Lertère Varlien. À elle seule, l’onomastique de M. Inchauspé est déjà un fascinant périple : Tamiena, Sarjagase, Silianques, Largethuse scandent ces pages inspirées.

Nous suivons donc un jeune lieutenant d’artillerie, depuis son instruction à l’Académie impériale jusqu’aux postes perdus des Provinces archaïques et du Pays verlare, sur ce limes qui subit la pression de tribus invaincues : Immuables, Kaliates et autres barbares des forêts et des steppes. Le soir, après le service, ce prétorien songe « à tous ces peuples qu’il faut contenir, à ces frontières qu’il faut fortifier, à ces immensités sur lesquelles s’étend notre règle, à ces postes perdus dans les confins hostiles où une poignée d’hommes autour de quelques enseignes, avec des armes solides, rappellent que nous fûmes promis à un destin exceptionnel, terrible et qui nous dépasse. » On pense à un proche cousin de Jünger, tout comme lui à la recherche d’un glorieux inconfort - qui n’est pas celui des tranchées, car il s’agit ici d’une guerre coloniale, atroce par définition. Faut-il tuer, torturer, ravager pour civiliser ? Quelle est la nature d’un empire ? Sa grandeur peut-elle reposer sur l’horreur, dépendre de canailles, profiter à des inconscients ? D. Inchauspé a créé là une magnifique figure de mainteneur, antimoderne en diable, qui nous accompagnera longtemps dans nos rêveries.

 

Christopher Gérard

 

Dominique Inchauspé,  Un Homme dans l’Empire, L’Age d’Homme, 242 p., 19€

Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer |

02 août 2018

Nimier, masculin, singulier, pluriel.

 

littérature, hussards

« Nimier écrit en français direct vivant, pas en français de traduction, raplati, mort » proclamait Céline dans une lettre à un confrère et néanmoins ami, pour dire son estime à l’égard d’un cadet. Il est vrai que Roger Nimier (1925-1962), disparu comme Albert Camus ou Jean-René Huguenin dans un accident de voiture, s’était démené sans compter pour sortir Céline du purgatoire. C’est l’une des nombreuses facettes de cet écrivain attachant qu’étudie avec rigueur et sympathie Alain Cresciucci dans une biographie qui est aussi et surtout le portrait d’« une génération heureuse qui aura eu vingt ans pour la fin du monde civilisé ». Génie littéraire à la monstrueuse précocité, dont son condisciple Michel Tournier a témoigné, Roger Nimier publia sept livres, cinq romans (dont Le Hussard bleu) et deux essais (dont Le Grand d’Espagne), en cinq ans, avant même d’atteindre la trentaine. Un météore donc, lui aussi, qui, en quelques années, s’impose comme le chef des Hussards, ces impertinents qui se rebellent contre le règne des idéologues marxistes et des pions humanitaires – Sartre et tutti quanti. « Libertin du siècle », comme il se définissait lui-même, Roger Nimier fut le fils spirituel de Georges Bernanos, qu’il rencontra lors de son retour d’exil. Mais aussi de Malraux et de Drieu la Rochelle, et, bien plus haut, de Retz et de La Rochefoucauld. Romancier mélancolique, critique implacable, éditeur d’élite chez Gallimard (Céline et Morand lui doivent leur renaissance), dialoguiste de cinéma (entre autres pour Louis Malle dans le sublime Ascenseur pour l’échafaud), Nimier aurait pu devenir, sans cet accident stupide au volant d’une Aston Martin, l’un des maîtres de sa génération. Quinze ans après sa mort,  son ami Pol Vandromme, inconsolable, le saluait en ces termes : « Son existence est humble et aristocratique. Il a découvert le rugby dont le goût rejoint bientôt chez lui celui des armes anciennes, du dessin, de la papeterie, des condiments, du champagne et de l’eau fraîche, tout ce qui brûle ou ce qui glace, tout ce qui fait la vie plus sage et plus virile, plus fidèle et plus forte. »

 

Christopher Gérard

 

Alain Cresciucci, Roger Nimier. Masculin, singulier, pluriel, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 25€

 

 

01 août 2018

Avec Olivier Maulin

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Olivier Maulin est un drôle de pistolet qui, depuis 2006, a signé dix romans picaresques dans une veine que l’on pourrait définir comme le croisement des univers de Jacques Perret et de Marcel Aymé, avec la touche rabelaisienne qui s’impose, un je-ne-sais-quoi de féodal et de déjanté qui attire une immédiate sympathie.

Cet Alsacien a quelque chose de bourguignon (et donc de belge – j’aime, comme on dit sur fesse-bouc). Les éditions rue fromentin (attention à la minuscule !) du confrère Jean-Pierre Montal, lui-même auteur de deux précieux romans (Les Années Foch et Les Leçons du vertige), publient aujourd’hui son joural intime des années 1997-1999, quand Olivier Maulin, presque trentenaire, traîne encore la savate entre l’Université, où il rêve (vaguement) à une thèse d’histoire, et ce monde lusophone qu’il aime et connaît comme sa poche, Lisbonne et le Brésil.

Le jeune thésard n’a encore rien publié, si ce n’est quelques poèmes ; il prépare un roman inspiré de son service militaire à l’Elysée, Mitterrand regnante – ce qui deviendra le désopilant Petit monarque et catacombes. Bref, il incarne alors le velléitaire qui cherche sa route avec un mixte de nonchalance et de sourde inquiétude, le flâneur inadapté, le rebelle qui comprend peu à peu comment et pourquoi les autres se fondent dans le moule – et quel moule, puisque c’est l’époque des bombardements humanitaires de l’OTAN et d’une mise au pas politico-culturelle, celle des « libertaires bottés », dont il donne quelques illustrations révélatrices.

Nulle tricherie dans ce journal intime qui nous promène de la Bibliothèque nationale aux bars interlopes de Bahia, de Strasbourg à Lisbonne, nul narcissisme non plus – juste le cheminement erratique et les angoisses du poète qui ouvre les yeux sur le monde, les gaffes de l’amoureux tour à tour comblé et éconduit. Dieux merci, Maulin n’est pas devenu sorbonnicole, mais écrivain de bonne race, d’une probité et d’une originalité qui font chaud au cœur. En plus, il aime Léautaud, ce qui est toujours bon signe. J’adore aussi deux choses chez lui : qu’il s’émeuve d’apprendre que, dans les villages reculés du brésil, des conteurs chantent la Chanson de Roland et qu’il soit devenu royaliste le jour où il serre la main de Baudouin, le roi des Belges en visite officielle à Paris.

Enfin, Maulin est un sacré érudit, comme le prouve sa connaissance approfondie de la langue portugaise, qui, pour désigner le dernier verre (the last for the road – le coup de l’étrier), use de deux expressions : a sadeïra, celui pour sortir, et a caïdera, celui pour tomber.

 

Christopher Gérard

 

Olivier Maulin, Histoire des cocotiers. Journal 1997-1999, Editions rue fromentin, 192 pages, 20 €

Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |

04 juillet 2018

Dominique de Roux parmi nous

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« Il n’a pas été remplacé et il nous manque beaucoup » disait le regretté Pol Vandromme en parlant de son ami Dominique de Roux (1935-1977), éditeur de deux revues mythiques Les Cahiers de l’Herne et Exil, fondateur des éditions Christian Bourgois et de la collection 10/18, écrivain aux fulgurances inouïes.

Une sorte de barbare en fait, mais au service d’une certaine idée de la civilisation, notamment française, qu’honorait un récent colloque de la revue Eléments, où Dominique de Roux demeure très présent depuis quarante ans, comme l’illustrent des articles parfois anciens de Jean Parvulesco, Michel Marmin ou André Coyné.

Celui qui passa sa courte existence à défendre Céline, Pound et Abellio, cet éditeur allergique à « la volaille universitaire », ce héraut d’un gaullisme «nervalien», cet écrivain en guerre qui s’épuisa dans une quête haletante, se voit ici salué par quelques-uns de ses héritiers ou de ses débiteurs.  

Son fils, l’éditeur Pierre-Guillaume (qui maintient aujourd’hui l’esprit de l’Herne, mais aussi celui de la Table ronde, de l’Age d’Homme ou du Rocher) rappelle l’importance des Cahiers de l’Herne, créés avec trois francs six sous par ses parents pour redonner la parole aux Impardonnables, « ces écrivains exigeants, malcommodes, habités par une manière de déplaire parce que profondément solitaires ».

Son ami Gabriel Matzneff dit la même chose que Pol Vandromme : sa mort à 42 ans à peine fut pour lui une « mutilation sans remède ». Surtout, il insiste sur le fait que, pour son ami Dominique, l’écriture était un acte de vie, tout le contraire d’un jeu ou d’une stratégie mondaine.

François Bousquet, l’ancien pilier de la rue Férou, librairie mythique où officia un temps le jeune Olivier François, directeur du présent recueil, fait justement le lien entre Dominique de Roux et un autre prodige des Lettres, Vladimir Dimitrijevic, alias Dimitri. Dans son éloge passionné, il rappelle que c’est Dominique de Roux qui offrit le Pétersbourg de Biély à Dimitri, permettant ainsi la naissance des fameux Classiques slaves, et donc la montée en puissance d’une maison longtemps non conforme.

Laurent Schang, un fidèle, qui saluait déjà de Roux il y a vingt ans dans une revue underground de Metz, évoque la géopoétique de cet auteur qui voulut « retarder la vieillesse du monde ». Et Philippe Barthelet, auteur d’un joli Qui suis-je ? chez Pardès, rappelle ce mot lourd de conséquences de Jünger : « S’il y a de l’indestructible, alors toutes les destructions imaginables ne sont que des purifications ».

 

Christopher Gérard

 

Olivier François dir., Dominique de Roux parmi nous, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 122 pages, 19,90 euros.

 

13 mars 2018

Maîtres & complices

 

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« J’espère que mes livres insufflent un surcroît d’énergie, un supplément de joie » répondit un jour Gabriel Matzneff à un lecteur tenté par le désespoir. La réédition bienvenue de ses Maîtres et complices, à mes yeux l’un de ses tout beaux livres avec La Diététique de Lord Byron et Le Taureau de Phalaris, confirme, s’il le fallait encore, la place, centrale, qu’occupe cet écrivain majeur dans la littérature française.

Maîtres et complices est le premier livre de Gabriel que, vers 1994, j’ai reçu en S.P. (les fameux « service de presse, ces exemplaires gratuits que vous adressent - ou non - les éditeurs et que les critiques exhibent comme des trophées … ou revendent à la sauvette). Avec un bel envoi, le premier d’une longue série, le plus souvent à l’encre turquoise. Vingt ans après (et des poussières), je reprends mon exemplaire annoté au crayon pour, très vite, me laisser bercer par la langue sans fausse note ni fausse monnaie de Matzneff, toute de limpidité, tour à tour savante et familière, si ferme et fluide à la fois – adamantine.

Là réside le génie de ce franc-tireur qui, quoiqu’il écrive, parvient à communiquer au lecteur une ferveur, un enthousiasme que peu de contemporains seraient aptes à susciter. En trois cents pages, Gabriel Matzneff salue les auteurs qui l’ont révélé à lui-même et qui lui ont permis d’édifier sa citadelle intérieure : il s’agit bien d’exercices d’admiration. Sénèque et Hergé, Nietzsche et Pétrone, Chestov et Schopenhauer, Littré et Casanova  composent ce panthéon où se croisent ceux qu’invoquait Byron, l’un des Dieux de Matzneff : « Ces monarques qui, bien que morts, ont conservé leur sceptre et (qui), du fond de leur urnes, gouvernent nos âmes ».

Son propos est d’une exemplaire piété : si l’Eglise (orthodoxe) prie pour les morts, si Mnémosyne, Dame Mémoire, enfante les neuf Muses, un clerc digne de ce nom doit lui aussi dire sa dette. D’où ce livre à la miraculeuse séduction, ce parfait témoignage de dandysme.

Pour ma part, j’adore à la folie cette fidélité à ses maîtres, cette manière inimitable, civilisée au suprême, de transmettre une flamme – lux perpetua.

 

 Gabriel Matzneff, Maîtres et complices, La Petite Vermillon n° 100, 314 pages, 8.70€

 

Il est longuement question de Gabriel Matzneff dans

 

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