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13 septembre 2016

Avec Arnaud Bordes

 

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Editeur se mouvant avec grâce dans une clandestinité supérieure (voir http://alexipharmaque.net), Arnaud Bordes est avant tout écrivain, et l’un des plus fins connaisseurs de la Décadence et de l’esthétique fin-de-siècle. Des textes rares tels que Pop conspiration ou La Matière mutilée avaient attiré l’attention des amateurs de livres denses et cryptés, parfois jusqu’au vertige, et qui semblent constituer les prémisses d’un grand roman antimoderne. Notre Des Esseintes récidive aujourd’hui avec un double opuscule, mi-récit d’anticipation, mi-journal musical et littéraire.

On attendra Victoire ne peut se résumer : obscur et prophétique, le récit, présenté comme artificiel, date du monde d’après, celui des Barbares. Banlieues en flammes & charniers ou, pour citer Bordes : « villes noircissant dans les fumées d’incendies, pillages, populations déplacées, périphériques ravagés, unités auxiliaires errantes et radicalisées (sic) ». Tel est le tableau, sur fond d’officines occultes, de complots masqués aux yeux d’une opinion sidérée avec art. Pointilliste et avec un je-ne-sais-quoi de flamand, la peinture de cet après-monde contraste avec les souvenirs des divers narrateurs, tous plus ou moins liquidés à un moment ou un autre et qui se souviennent, qui d’une lecture d’Huysmans ou de Villiers de l’Isle-Adam, qui d’un air entêtant de Joy Division ou de Vogelsang.

Parce que l’automne est faux est le journal d’Arnaud Bordes (2004 – 2015), où son travail d’éditeur apparaît (trop) peu. Lectures (names, names, names !), musique (idem), jeunes femmes (anonymes). Paul Morand et Jules Verne (en effet grand romancier initiatique et géopolitique), Ernst Jünger et le regretté Jean Parvulesco, les chers David Mata et Bruno Favrit, et bien entendu Nerval, Eliade, tant d’autres, passent, parfois d’un pas trop rapide, comme si l’auteur avait la tête ailleurs. Fulgurantes, quelques formules claquent : « Tout est plaie depuis la mort des rois ».

Un bémol toutefois. L’avalanche de noms propres, bien que parfois poétique. Des coquilles, nombreuses (hendiadys, Libye…) et surtout la syntaxe, comme relâchée à dessein, par coquetterie « artiste ». Or, même en version décadente, l’écrivain ne doit-il pas, avec l’humilité du chevalier médiéval, vénérer la langue qu’il aime et sert ?

 

Christopher Gérard

 

Arnaud Bordes, On attendra Victoire. Suivi de Parce que l’automne est faux, Editions Auda Isarn, 156 pages, 17 piastres.

 

Voir aussi mes Quolibets

 

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Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer |

07 septembre 2016

Adios ou l'éloge du monde d'avant

littérature

 

Eloge du monde d’avant

 

Auteur d’un Dictionnaire élégant de l’automobile (Rue Fromentin), critique littéraire et de cinéma, Thomas Morales aime les actrices et les voitures des années 50, 60 et 70. Et les films d’Audiard, l’Italie d’avant Berlusconi, la BD et la télévision un peu nunuche de ces années-là. Une sorte de réactionnaire souriant à la mémoire d’éléphant, incollable sur les Alfa Roméo et Nathalie Delon, sur Michel Constantin et Claudia Cardinale, Pilote et de Playboy. Une encyclopédie du monde d’avant, dont il exalte la nostalgie dans Adios, recueil de chroniques parues dans Causeur, Valeurs actuelles ou Service littéraire. Sa devise ? In retro veritas. A le lire, on goûte cette sensibilité passéiste, nourrie d’une impressionnante culture : Ronet et Belmondo, les films de Philippe de Broca et de Michel Audiard, Paul Meurisse (alias Théobald Dromard), Blondin et Berthet, ADG et Malet, La Dame de Monsoreau et Les Brigades du Tigre, tels sont les personnages de ce roman antimoderne d’une France encore préservée de l’horreur techno-marchande, une France où le mot « identité » n’avait aucun sens, puisque tout le monde communiait dans la même liturgie.

Parfois forcée (les années 70 furent, quoi qu’il prétende, un modèle de kitsch aux antipodes d’un âge stylé), la mélancolie de Thomas Morales n’en demeure pas moins communicative, tant son talent d’évocation, qui est celui d’un artiste, fait oublier un instant de justes préventions. Philippe d’Hugues avait en son temps publié chez Bernard de Fallois une fort convaincante défense et illustration des 50’. Thomas Morales s’inscrit à sa manière dans cette filiation, une certaine naïveté en plus.

 

Christopher Gérard

 

Thomas Morales, Adios. Eloge du monde d’avant, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 172 pages, 17€

 

Voir aussi mon Journal de lectures :

 

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23 juin 2016

Du foulard comme signe extérieur de croyance

 

 littérature, foulard, islam

Du foulard comme signe extérieur de conviction

Voici un extrait de mon roman, Porte Louise, dans lequel mon héroïne, Louise, débat avec une amie de la présence grandissante dans nos villes du foulard islamique.

« Je profite de l'euphorie pour raconter à Hélène mes retrouvailles avec la ville et lui fais part de ma surprise devant le nombre de mahométanes en foulard.


- Oui, rétorque Hélène, cela donne à la ville un aspect exotique…
- Excuse-moi, tu vas me trouver périphérique, mais j'y vois plutôt une crispation que l'expression d'une coutume, par ailleurs interdite dans la plupart de ces pays.
- Oh, tu sais, Louise, ces femmes veulent sans doute marquer leur différence. Regarde toutes ces filles qui exhibent leur lingerie, n'est-ce pas aussi critiquable? Pourtant cela ne scandalise personne, surtout pas les hommes, de réduire ainsi la femme à un objet de concupiscence. Comme si nous étions condamnées à exciter les mâles. Et puis, un foulard met le regard en évidence, non?
- Non. C'est un signe de soumission. L'acceptation d'une pitoyable vision de la femme, qui pour ne pas tenter le mâle devrait se couvrir. Impensable pour une Celte!
- Ne monte pas sur tes grands chevaux, Louise! Il faut être tolérant. S'enrichir de nos différences …
- Tout à fait d'accord avec toi pour trouver répugnante cette manie d'exposer strings, piercings et tatouages. Je vois cela comme une agression, subtile si j'ose dire, mais bien réelle. La femme et l'homme, réduits à de la viande qu'il faut marquer, mutiler, étiqueter comme dans une boucherie.
- Ah tu vois…
- Mais de là à considérer une femme comme vertueuse parce qu'elle se flanque un morceau de tissu sur les cheveux! Et toutes celles qui laissent leur chevelure libre tout en étant habillée avec décence? Sont-elles moins dignes de respect?
- Tu as raison, mais…
- Hélène, tu m'étonnes. Je pensais que pour toi la liberté ne se discutait pas! Et là, face au quadrillage mahométan, tu tergiverses. Tu cèdes.
- C'est délicat. Sur un plan citoyen …
- Oui ou non, acceptes-tu le symbole? Pense un instant à toutes ces gamines, forcées de s'harnacher pour éviter d'être montrées du doigt, - ou pis. Ce foulard n'est jamais qu'un signe extérieur de conviction. C'est-à-dire la preuve d'une soumission à un code totalement étranger à notre civilisation. »

© Christopher Gérard, Porte Louise, L’Age d’Homme

 

littérature, foulard, islam

 

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21 juin 2016

SOLSTITIUM

solstice

 

 

OPTIMUM  SOLSTITIUM VOBIS OPTO

 

 

« Ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l’a fait, mais il était toujours, il est et il sera, feu toujours vivant, s’allumant en mesure et s’éteignant en mesure. »

 

Héraclite (fragm. 80) ou l’essence du tragique.

 

 

 

 

 

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14 juin 2016

François Kasbi, intègre & inactuel

 

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Lecteur forcené autant qu’incorruptible, François Kasbi est un drôle de pistolet. Critique littéraire, érudit clandestin – une sorte de Pascal Pia (de Jean José Marchand ?) fasciné par Barbey d’Aurevilly et sa tentative d’inventaire de la vie littéraire, ce capricieux n’est jamais superficiel ; cet antimoderne (mais si) ne donne jamais dans l’esprit partisan ; ce méthodique n’a rien, absolument rien, de l’homme de système. Bref, l’homme, charmant, se révèle subtil et généreux. Un extra-terrestre que j’imagine planqué dans une soupente, le coupe-papier à la main.

Vers 2008, il a publié un introuvable Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, complété quelques années plus tard par un Supplément inactuel, que l’on réédite aujourd’hui augmenté d’un codicille intempestif et de pages sur Stendhal, Fraigneau et Nimier. Comme beaucoup d’autres, j’attends une nouvelle édition du Bréviaire, et, pour tromper ma soif, je me plonge dans ce Supplément avec un plaisir d’autant plus vif que François Kasbi ponctue bien – rara avis. En deux mots comme en cent, il nous présente une part de sa géographie littéraire non sous la forme d’un énième recueil d’articles, mais bien dans un livre qui se tient, à rebours des modes et en même temps armé d’une saine méfiance pour les panoplies littéraires, ces hochets pour paresseux. L’objectif ? Faire justice, sans a priori et en musique. La vitalité d’Aragon, le charme de Drieu, la grâce de Toulet, la grandeur de Barbey, le génie de Gobineau (l’un des plus fermes prosateurs du XIXème, avec Stendhal), l’acuité de Bloy (qui, bien avant les Surréalistes, découvre Baudelaire et Lautréamont), l’allure de Fraigneau nous valent de jolies pages ciselées, d’une désespérante intelligence. Quelques lignes injustes sur Maurras (« exécrable poète », ts ts ts !), un « en charge de » à la page 55, l’absence de Montherlant, une pique contre le regretté Mabire (qui n’était pas « nationaliste », mais autonomiste normand) n’ont pas réussi à m’agacer plus de quelques secondes tant mon plaisir était vif. Et puis, François Kasbi se moque avec une telle gentillesse de son lecteur. Il nous amuse et nous décrasse l’œil tout en saluant ses maîtres – comme l’immense stendhalien qu’est Philippe Berthier. Lisez François l’Intempestif !

 

Christopher Gérard

 

Supplément inactuel avec codicille intempestif au bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés désemparés, Les Billets de la Bibliothèque, 2016, 14€.

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