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23 mars 2021

La Littérature à balles réelles

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Né en 1966 en Aquitaine, Bruno Lafourcade, diplômé de Lettres modernes, est l’auteur d’un courageux Sur le suicide (Ed. François Bourrin), que j’avais chroniqué in illo tempore, ainsi que d’une charge à la baïonnette, Les Nouveaux Vertueux. Plenel, Fourest, Joffrin, etc. & tous leurs amis (Ed. Jean Dézert).  

Pour ma part, je l’ai vraiment découvert comme écrivain avec son roman L’Ivraie (Ed. Leo Scheer), un vrai livre d’auteur accompli, hilarant et désespéré, incorrect et plein d’humanité, qui retraçait le parcours  d’un ancien gauchiste de la génération Touche pas à mon pote devenu sur le tard professeur de français dans un lycée technique et donc condamné à « une existence grise et bouchée ». Bruno Lafourcade s’y révélait polémiste de race, déchaîné contre l’imposture aux mille faces, toujours avec esprit et dans une langue précise, ponctuée à la perfection (rara avis) et servie par un style percutant.

Dans Les Cosaques & le Saint-Esprit (Ed. La Nouvelle Librairie), une centaine de chroniques qui sont autant d’anathèmes et de fulminations, il dressait le portrait d’une certaine France, celle de M. Macron, et faisait preuve d’une très sûre allergie aux impostures de l’époque.

Infatigable, le voilà qui revient avec La Littérature à balles réelles, pamphlet en forme d’abécédaire qui l’inscrit dans la tradition de Gracq et de Jourde, et, plus haut, de Barbey d’Aurevilly ou de Bloy. Totale est sa franchise, et inexistante sa timidité : « J’ai du meurtrier en moi », proclame-t-il en précisant, le farceur, « Il n’y a pas que de l’aigreur en moi, il y a aussi du fanatisme. »

L’homme est sincèrement ulcéré par le triomphe des cacographes et par la liquidation des vrais auteurs, condamnés aux interstices de notre société. Du coup, il empoigne sa carabine et, par ordre, d’Adam (Olivier) à Viviant (Arnaud) en passant par … Lafourcade (Bruno), il nettoie, impavide. L’exercice serait convenu s’il n’était soutenu par un style, une drôlerie, un sens de la formule lapidaire au sens strict - Bruno Lafourcade  lapide ses cacographes.

Tel zoïle « est traduit dans le monde entier ; dans un monde juste, il le serait devant les tribunaux. » De tel vieil adolescent cynique, Lafourcade dit justement que « son insignifiance croisa celle de l’époque ». Et ainsi de suite, je refuse de citer les noms, mais tous ont ceci en commun d’être peu ou prou oléagineux, c’est-à-dire « informes dans la langue, conformes dans les idées ».

Entre deux salves, notre puriste profère de précieuses vérités sur le style : « une page sans point-virgule ne mérite pas d’être lue (…) car son absence authentifie deux impuissances : celle de la pensée et celle de la phrase ». Ou encore cette très juste réflexion, d’une réelle profondeur sur l’importance du remords en littérature : « On écrit avec ses scrupules ; si sûr que l’on soit de son style, on ne peut faire l’économie de sa honte ».

Soyons complet : il arrive à notre fusilier littéraire de saluer des confrères : Camus et sa phrase « infaillible », Finkielkraut, « penseur du chagrin et de la perte », Duteurtre et Maulin. Attendons donc qu’il nous livre le tableau de ses admirations.

 

Christopher Gérard

 

Bruno Lafourcade, La Littérature à balles réelles, Ed. Jean Dézert, 100 pages, 12€. A commander à jeandezert-editeur.fr

 

Voir aussi :

 

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12 janvier 2012

La séquence de l’énergumène

 

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En exergue au Sabre de Didi (1986), étincelant recueil de chroniques publiées naguère dans Combat et dans Le Monde, Gabriel Matzneff plaçait cette phrase de l’Abbé Galiani : « Planer au-dessus et avoir des griffes ».  Il pourrait la reprendre telle quelle pour ce choix d’articles de Combat où,  de 1963 à 1965, il tint une rubrique télévisuelle hautement polémique, intitulée « la séquence de Gabriel Matzneff ». Le plus drôle est que le jeune polémiste, « vêtu du probité candide et de lin blanc », n’avait jamais regardé la télévision et qu’il ne possédait même pas de poste !

S’il crut brièvement en la possibilité – toute théorique – du pouvoir éducatif de la télévision, qui élèverait le niveau moyen des téléspectateurs, il se rendit vite compte que l’ORTF, alors monopole de l’état gaulliste, servait surtout à endormir les masses et à les faire bien voter. Ses séquences cessèrent d’ailleurs avec l’élection du général de Gaulle au suffrage universel et la défaite de François Mitterand, pour qui Matzneff avait rompu quelques lances. Matzneff suivit, dieux merci, le bon conseil de Montherlant (« ne vous laissez pas bouffer par le journalisme. Vous devez rompre avec l’actualité, prendre le large ») pour aller à l’essentiel : son premier roman, L’Archimandrite (1966).

Ces deux années de journalisme professionnel lui permirent toutefois d’aiguiser son style et son esprit critique tout en ouvrant les yeux, non sans stupéfaction, sur l’univers de ses contemporains. Rapidement, ses illusions sur la télévision s’évanouissent : « allumer le petit écran, c’est entrer en catalepsie. Son pouvoir est totalitaire, hypnotique, et j’appliquerais volontiers à la télévision la définition que Platon donne de l’espoir : c’est le « songe de l’homme éveillé ». (…) La télévision, que nous subissons, effleure mais ne pénètre pas. La télévision est l’expression la plus poussée du mal qui, tel un cancer, ronge le monde moderne : la culture générale. Rien n’est plus fatal à l’aristocratie de l’esprit, à la haute vie de l’âme, que cette rage de toucher à tout, de savoir un peu de tout, d’être informé de tout ». Datées de décembre 1963, ces lignes disent tout sans avoir pris la moindre ride. C’est d’ailleurs ce qui frappe à la lecture de La Séquence de l’énergumène : la lucidité de leur auteur, qui use de sa chronique pour illustrer ses « passions schismatiques » (l’orthodoxie, le goût du bonheur …), défendre les dissidents russes et les embastillés, saluer ses maîtres et complices, de Lucrèce à Montherlant.

Toute l’œuvre future de Matzneff se retrouve dans ces séquences, souvent écrites en parallèles à la chronique hebdomadaire de Combat : une magnifique capacité d’admiration (pour Astruc ou Bouquet, Béart ou Bardot, tant d’autres), une allègre férocité dans la mise en pièces des fausses gloires et des larbins du jour, une indépendance d’esprit alliée à une saine méfiance pour la politique – qui avilit (Mauriac !). Quelle causticité, quand il brocarde les grosses légumes du jour, le Cardinal en tête : « soleil de la République, principe vivifiant de la nation, Père Noël gratuit, obligatoire et permanent ». Si la plupart de ses têtes de Turc ont sombré dans l’oubli, le polémiste lui demeure, plus vert que jamais, fidèle à lui-même, superbe. Semper idem.

La langue est déjà celle du joaillier accompli : fluide et aérienne, d’une précision diabolique, bellement ponctuée ; bref, fidèle à la ligne claire chère à Hergé.

 

Christopher Gérard

 

Gabriel Matzneff, La Séquence de l’energumène, Editons Léo Scheer, 340 pages, 21€ L’éditeur annonce un récit en 2012 : Monsieur le comte monte en ballon.

 

           Il est longuement question de Gab la rafale dans :

 

littérature,chats