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16 mars 2021

Sur Claude Sautet

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Né en 1968, Ludovic Maubreuil est un cinéphile passionné à l’immense culture, résolument à contre-courant, comme le montre son site http://cinematique.blogspirit.com/.

Pour lui, la cinéphilie est une servante de la philosophie, à rebours de l’actuelle doxa qui réduit le cinéma à un jeu gratuit. Pour Maubreuil, les salles obscures (pour ne rien dire des omniprésentes séries) sont devenues autant de cavernes au sens platonicien : des dortoirs pour consommateurs fourbus.

Dans  Cinématique des muses, il présentait une étrange galerie de vingt-et-un portraits de muses ou d’initiatrices, parmi lesquelles Mimsy Farmer et cette fascinante allégorie de la Mort, Cathy Rosier, l’inoubliable pianiste du Samouraï.

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Aujourd’hui, il réhabilite Claude Sautet (1924-2000), un réalisateur attachant quelque peu sous-évalué par la critique et dont il montre bien l’aptitude à mettre un univers en forme. Le titre de son passionnant essai, Claude Sautet. Du Film noir à l’œuvre au blanc, fait référence au Grand Œuvre alchimique et à son symbolisme au sens jungien. Séparation du subtil et de l’épais, stade de purification sous l’égide de la Lune, l’œuvre au blanc est la deuxième étape, juste après l’œuvre au noir, qu’elle poursuit dans le sens d’un accroissement de la conscience de soi. Ludovic Maubreuil se penche ainsi sur le riche symbolisme chromatique des films de Sautet, qui, manifestement, comme tous les maîtres authentiques, ne laissait rien au hasard. Neurologue de formation, Ludovic Maubreuil revisite tous ces grands films que furent Les Choses de la vie, avec les inoubliables Michel Piccoli et Romy Schneider, César et Rosalie, sans oublier les premiers, Classe tous risques, avec l’immense Lino Ventura.

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Personnages, situations, récurrences (comme le trio amoureux, la tabagie ou le rôle de l’argent), mais aussi dialogues et plans traduisent la profondeur et la subtilité de ce cinéaste. Le regretté Jean Parvulesco avait, dans son étrange roman Les Mystères de la Villa Atlantis, où le cinéaste apparaît aux côtés de Bulle Ogier ou de Dominique Sanda, souligné « l’irrémédiable, la vertigineuse et si belle tristesse du cinéma de Sautet ». L’homme n’avait en effet pas son pareil pour mettre en images la dissonance moderne, la poignante solitude de nos contemporains. Magnifiquement joués, ses couples incarnent cette déréliction d’enfants mécontents et gavés, qui fut le propre d’une époque : « Le cinéma de Sautet, c’est la tragédie de l’homme séparé, dont les déboires professionnels ou sentimentaux ne sont finalement que l’allégorie ».

Comment ne pas être ému par ce livre empli de savoir et de sensibilité, et qui fut parmi les derniers publiés par Pierre-Guillaume de Roux, gentilhomme des lettres ?

Une suggestion ? Que le cher Ludovic Maubreuil nous offre un essai du même niveau sur Jean-Pierre Melville !

 

Christopher Gérard

 

Ludovic Maubreuil, Claude Sautet. Du Film noir à l’œuvre au blanc, Pierre-Guillaume de Roux, 226 pages, 18€

 Il est question de Ludovic Maubreuil dans Quolibets :

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Écrit par Archaïon dans Lectures | Lien permanent | Tags : cinéma, pierre-guillaume de roux |  Facebook | |  Imprimer |

22 février 2021

La terre a ses limites, mais la bêtise humaine est infinie

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« C’est à Flaubert que Maupassant devra sa tenue d’écrivain, son indépendance d’esprit, son mépris des honneurs » affirme Paul Morand dans sa Vie de Guy de Maupassant. La précieuse correspondance échangée sept ans durant entre ces deux misanthropes, le jeune Guy de Maupassant et Gustave Flaubert, illustre cette intuition. L’aîné signe « votre vieux solide » des missives au cadet taxé de « lubrique auteur » ou d’ « obscène jeune homme » qui témoignent d’une affection toute paternelle envers le fils de sa vieille amie Laure, qui se trouve aussi être le neveu d’Alfred Le Poittevin, son regretté ami de jeunesse qui lui fit découvrir Sade et Byron.

L’aîné, Gustave, invite son cadet à déjeuner les dimanches de la belle saison et le comble de conseils littéraires ou stratégiques, d’exhortations au travail (« Un homme qui s’est institué artiste n’a plus le droit de vivre comme les autres »), de règles de vie (le fabuleux « Les honneurs déshonorent ; le titre dégrade ; la fonction abrutit », ou encore « Prenez garde à la tristesse. C’est un vice »).

De son côté, Maupassant sollicite l’appui de Flaubert pour accélérer son passage du Ministère de la Marine et des Colonies, où il périt d’ennui onze heures par jour, à celui de l’Instruction publique. Un moment inquiété pour « outrage aux mœurs » pour des vers licencieux, Maupassant demande aussi à Flaubert d’écrire en sa faveur dans la presse.

De son côté, le jeune auteur joue le rôle de documentaliste pour le boulimique Flaubert (à propos des falaises d’Etretat entre autres, pendant la rédaction de Bouvard et Pécuchet) et d’intermédiaire avec ses éditeurs ou avec tel ministre pour une pension d’écrivain.

Tous deux communient dans le mépris de « la basse envie démocratique », de la bêtise humaine et des classes dirigeantes de leur temps (« noyer les beaux messieurs crétins avec les belles dames catins »). Le lecteur y décèle les premières traces du mal qui emportera Maupassant tout en assistant à ses premiers succès littéraires, quand sa nouvelle Boule de suif, qui lance Maupassant,  émerveille le vieux Flaubert.

Entre ces deux génies existe une amitié, filiale ou paternelle, en tout cas d’une réelle profondeur : tous deux ont bien le cœur pris par l’autre, sans tricherie ni calculs.

Une magnifique correspondance, dont je livre cet aphorisme de Flaubert, pour la route : « La poésie, comme le soleil, met de l’or sur le fumier ».

 

Christopher Gérard

 

Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, La terre a des limites, mais la bêtise humaine est infinie, Correspondance 1873-1880, Le Passeur, 256 pages, 7,5€

 

 

Écrit par Archaïon dans Lectures | Lien permanent | Tags : littérature, le passeur, flaubert, maupassant |  Facebook | |  Imprimer |

10 février 2021

En cherchant Jean Parvulesco

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Quelle surprise de voir paraître un essai intitulé En cherchant Jean Parvulesco, sous la plume de Christophe Bourseiller, journaliste, spécialiste de l’ultragauche… et surtout connu comme acteur. Fils de comédiens, il apparaît en effet très jeune dans trois films de  Jean-Luc Godard, son « parrain », aux côtés, le veinard, de Marina Vlady ou de Macha Méril. Avec le recul, il se voit comme un « singe savant » ou, plus âgé (dans les films d’Yves Robert ou de Claude Lelouch), comme « un pitre plein de morgue ».

En réalité, le livre est une sorte de lettre à Godard, pleine d’amertume. Sa première moitié est centrée sur le cinéaste, à la fois placé sur un piédestal et cible de reproches plus ou moins implicites. A l’origine, la fameuse scène d’A bout de souffle où Jean-Pierre Melville, qui joue le rôle d’un écrivain qui s’appelle Jean Parvulesco, répond à Jean Seberg que sa plus grande ambition dans la vie est de « devenir immortel, et puis mourir ».

Christophe Bourseiller semble s’agacer a posteriori de l’importance accordée par Godard à cet inconnu, car, en 1960, Jean Parvulesco n’a rien publié ; il grenouille dans les milieux de la Nouvelle Vague avec Alfred Eibel et Michel Mourlet. Ce futur auteur ésotérique, ami d’Abellio et de Rohmer, proche d’Eliade et de Melville, justement, est en train de devenir une figure mythique. Fut-il un agent de la Sécurité militaire française, voire des services britanniques, dans la Vienne du Troisième Homme ? Quel fut son rôle occulte dans certain gouvernement provisoire en exil à Madrid ? Sauva-t-il l'acteur Maurice Ronet d’une plongée fatale dans la guérilla anti-marxiste en Angola ? Mystère et boule de gomme.

Tout au long des pages, le lecteur perçoit chez Christophe Bourseiller un mélange de fascination ennuyée pour Parvulesco, perdant complet aux yeux de cet homme installé (professeur à Sciences Po, chez lui dans tout l’appareil politico-médiatique) et aussi de profond ressentiment à l’égard de Godard. Nous passons de l’une à l’autre sans toujours savoir où veut en venir ce Narcisse contrarié. Parfois pointe l’impression que l’exilé roumain sert de stylet dans un règlement de compte.

                                              littérature

Jean Parvulesco et CG rue Férou, à L'Age d'Homme, 2001

 

Bourseiller n’est pas écrivain, juste un journaliste – lui manque hélas ! la patte du styliste pour décrire ce malaise. D’où ma déception à lecture de son livre, qui n’est pas vraiment une enquête ni une descente en soi-même. Dommage.

En un mot comme en cent, l’énigmatique Jean Parvulesco (1929-2010), un ami regretté, qui écrivait « dans un but de guerre eschatologique finale », le voyant extra-lucide entre burlesque et vision, le continuateur en géopolitique de Karl Haushofer -Endkampf pour le bloc continental ! -, le conspirateur-né et le flamboyant mythomane, cette figure attachante des décennies durant d’un certain underground, attend toujours un livre digne de lui.

 

Christopher Gérard

 

Christophe Bourseiller, En cherchant Jean Parvulesco, La Table ronde, 128 pages, 14€

 

                           Il est question de Jean Parvulesco dans Les Nobles Voyageurs

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Voir aussi :

http://archaion.hautetfort.com/archive/2010/11/24/exit-je...

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04 février 2021

Un Mauvais maître

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Juriste de formation, auteur d’essais pointus sur le droit constitutionnel et sur le Maroc, mais aussi d’une passionnante Histoire du snobisme, Frédéric Rouvillois a fait ses premières armes dans l’underground monarchiste, en collaborant aux revues non-conformistes Réaction et Les Épées. D’où le ton et l’esprit de son premier roman d’esprit légitimiste, Les Fidèles, où il évoque le destin d’une antique lignée féodale. Ce professeur de droit constitutionnel a aussi dirigé le précieux Dictionnaire du conservatisme aux éditions du Cerf.

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Le voilà qui s’attaque avec bonheur au roman policier avec Un Mauvais maître, où un couple de policiers enquête sur l’assassinat  d’un mandarin parisien, le professeur Desnard, brillantissime crapule, l’archétype du pervers narcissique « enjôleur et brutal », qui pourrait bien ressembler à certain agrégé de droit public récemment accusé de viol sur mineur et d’inceste. Ce personnage peu reluisant appartient à la gauche caviar : rien de ce qui est « humaniste » ne lui est étranger. Ce féministe en chef se révèle avant tout goujat pur sucre ; ce progressiste de carnaval masque à peine son abyssal mépris pour les petites gens (i.e. ceux qui n’ont pas le bonheur d’être agrégés de droit) ; bref, cet adorateur de l’Humanité est - ô surprise - une parfaite canaille.

Manipulateur sans scrupule, capable de séduire pour détruire des rivaux qu’il repère bien en amont, Desnard finit égorgé dans un square du IXème arrondissement, sur l’emplacement des anciens jardins du bourreau de Paris, le front lacéré d’un vengeur XXI. Qui a pu tuer ce machiavel de l’Université, dont le romancier décrit avec un luxe de détails ces subtiles stratégies qui l’ont propulsé à la première place ? Son épouse ? L’amant d’icelle, qui est quelque chose comme chirurgien ? La maîtresse délaissée ? Son âme damnée, un ancien trotskiste qui lui doit tout ? Une secte de cinglés qui servent de supplétifs dans le cadre d’opérations spéciales téléguidées par l'Elysée ?

Avec habileté et non sans (cruel) humour, Frédéric Rouvillois nous promène dans ce monde faisandé et nous propose une galerie de suspects idéaux. Jusqu’à la surprise finale.

 

Christopher Gérard

 

Frédéric Rouvillois, Un Mauvais maître, La Nouvelle librairie, 276 pages, 16.90€

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05 novembre 2020

Clubland

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Le regretté George Steiner disait naguère que dresser la carte des cafés, de Prague à Trieste, permettait de comprendre l’esprit de la Vieille Europe. Il en va de même avec la carte des cercles traditionnels, si l’on en croit Siméon de Bulgarie, qui préface le bel album du vicomte de Noüe consacré aux clubs d’Europe. Les cercles sont en effet, pour chaque ville, le « miroir de ses talents » ; ils illustrent et maintiennent l’âme du Vieux Continent, jusqu’au-delà des mers, de Santiago de Chili à Hong Kong. Après une relative éclipse, ils renaissent et attirent des membres plus jeunes, désireux de placer leurs pas dans ceux de leurs aïeux, réels ou imaginés – car le cercle, lieu de pouvoir comme de plaisir, peut aussi se révéler refuge pour la rêverie. Le mot d’ordre de tout cercle qui se respecte est bien entendu l’indiscutable « we are as we are ». Ses interdits tacites, de Constantinople à Saint-Pétersbourg : dégoiser dans son smartfaune, parler d’affaires avec ostentation, ronfler au salon de lecture après le déjeuner, inviter un raseur. En un mot comme en cent, il convient d’incarner la figure du gentleman qui retrouve ses pairs pour deviser en toute liberté, affranchi des pesanteurs du dehors.

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Dans la somptueuse bibliothèque du Travellers Club de Londres

 

Charles-Louis de Noüe a voulu faire un choix, par essence cornélien, et présenter vingt-et-un cercles européens parmi les plus exclusifs. Pour chacun d’eux, leur histoire, de grandes figures et les caractéristiques du cercle sont synthétisées, le tout illustré de clichés originaux qui sont autant de coups d’œil furtifs lancés dans ces lieux qui jouent avec brio sur le principe de fermeture tout en étant capables, pour les meilleurs, de s’ouvrir au monde extérieur. Le lecteur est donc convié au Jockey et au Travellers de Paris, au Cercle de l’Union de Naples, à Helsinki et à Vienne. Très belles pages sur les cercles de Lisbonne et de Madrid.

Tout choix est subjectif, certes, et donc défendable… mais je m’interroge sur l’absence de plusieurs cercles londoniens (seulement deux sur vingt-et-un seulement, alors que the London Clubland est, non pas La Mecque, mais bien la Roma Aeterna des clubs), comme sur celle du sublime Nuovo Circolo degli Scacchi de Rome en son merveilleux palais du Corso. Ne boudons néanmoins pas notre plaisir, car après tout nous disposons déjà du magnifique livre d’Anthony Lejeune, The Gentlemen’s Clubs of London.

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Deux cercles belges ont été retenus : le très-hermétique Cercle Royal du Parc (réservé aux membres de la noblesse, de père en fils) et, le plus vénérable et en fait le plus prestigieux, le Cercle Royal Gaulois Artistique et Littéraire, dont les origines remontent à 1847 et qui accueillit en ses salons néo-classiques Cortot et Mallarmé, Churchill et les Habsbourg, tant d’autres. Cercle universitaire, clairement méritocratique, le Gaulois rassemble l’élite active du royaume, toutes disciplines rassemblées ; il accueille aussi les diplomates en poste à Bruxelles et nombre de membres étrangers. Déplorons pour finir quelques menues broutilles & coquilles (le roi Baudouin, « père de l’actuel souverain » !) et souhaitons grand succès à ce beau livre bientôt classique.

 

Christopher Gérard

Gleizes et Charles-Louis de Noüe, Clubs & cercles en Europe, Editions du Palais, 45€

 

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