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19 mars 2025

La Source pérenne

 

mythes,paganisme,spiritualité

 

La Source pérenne (troisième édition revue et augmentée) atteste du réveil des Dieux dans la conscience d’un Européen d’aujourd’hui et retrace le paysage mental d’un païen contemporain.

L’objectif ? Revivifier la première fonction, spirituelle ; ranimer des valeurs aristocratiques. Rendre la parole à des auteurs oubliés ou niés et aider à la redécouverte des sources qui, depuis les origines, alimentent l’esprit européen. Nourrir des esprits stérilisés par les dogmes. Se libérer du carcan de la pensée linéaire, dualiste par essence et ennemie des libertés concrètes. Repenser des archétypes puissants, fondateurs de notre civilisation ; réenchanter notre monde défiguré par les titans du système techno-marchand. Redonner une dimension symbolique à notre vie quotidienne en l’ancrant dans les rythmes cosmiques.

Le fil conducteur ? Un parcours païen poursuivi depuis quarante ans, ou comment « suivre la divinité », formule qui résume le paganisme en tant que philosophie au sens strict d’amour de la sagesse, dans son double sens de contemplation par la pensée et d’imitation par l’action.

 

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 Par un appel à la plus ancienne mémoire de l’Europe, Christopher Gérard fait sienne cette phrase de Martin Heidegger : « il faut une méditation à contre-courant pour regagner ce qu’une mémoire tient pour nous, de toute antiquité, en réserve ». Parti à la recherche des divinités enfuies, l’auteur nous convie à une conversion du regard, à la redécouverte d’une source trop longtemps murée, mais jamais tarie. La postérité littéraire de l’empereur Julien, d’Anatole France à Régis Debray, est étudiée dans un chapitre, ainsi que l’importance d’Alain Daniélou dans le parcours païen de l’auteur. Intelligence et sensibilité se conjuguent dans ce livre d’une grande originalité, qui est aussi celui d’un franc-tireur.

 

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"Pourquoi recommander Parcours païen de Christopher Gérard?  Parce que la pensée païenne abomine la bassesse mercantile. Parce que le païen Christopher Gérard a du talent. C'est un chrétien qui vous le dit." Pol Vandromme, Pan

"Quiconque s'interroge sur l'identité spirituelle de l'Europe ne saurait ignorer cette composante et négliger le livre si pétulant de Christopher Gérard."

Bruno de Cessole, Valeurs actuelles

"Un parcours dont l'honnêteté et comme une fraîcheur lustrale me touchent".

Jacques Franck, La Libre Belgique

"Son parcours, atypique, voire provocateur, n'est pas celui d'un passéiste nostalgique, mais celui d'un homme de conviction entré en résistance".

P.-L. Moudenc, Rivarol

"Il fait sienne la parole du Bouddha: "j'ai vu l'Ancienne Voie, le sentier aryen, la Vieille Route prise par les Tout-Eveillés d'autrefois et c'est le sentier que je suis"."

Jean Parvulesco, Contrelittérature

"Ce parcours païen est un véritable journal spirituel. (…) De Zeus à Mithra, de Cernunnos à Varuna, c'est à une majestueuse mise en ordre de l'univers et de son destin personnel à laquelle C. Gérard se livre. Hiératique et surtout pas erratique le parcours gérardien!" André Murcie, Alexandre

"Votre défense et illustration du polythéisme signifie, pour moi, un effort pour faire vivre l'esprit de tolérance en vue d'une humanité de paix où régneraient des dieux multiples."

Lettre de Marcel Conche

"J'ai aussi pleuré sur la mort de Pan."

Lettre de Vladimir Volkoff

 

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Semper paganus
 

« L’on ne présente plus Christopher Gérard. Dans cette portion d’orbe européenne qui se décline en ce vieil idiome français de racine latine, il est le plus illustre représentant de ce mouvement informel, protéiforme, chaotique et irrépressible que nous nommerons, faute d’un terme revendiqué par ses adeptes mêmes, la Nouvelle  Renaissance Païenne. Nous ne rappellerons pas ici son long combat mené autour de la revue Antaïos, et ses deux premiers romans Le Songe d’Empédocle et Maugis (L’Age d’Homme) qui l’ont classé d’emblée comme l’un des maîtres du renouveau du genre. Nous nous contenterons de renvoyer le lecteur curieux, sur ce même site, à notre troisième livraison du dix-huit janvier 2006, intitulée Un Roman Contemporain.

La Source Pérenne n’est pas à proprement parler un nouveau livre mais la réédition – ce qui est un très bon signe – du premier ouvrage de Christopher Gérard, paru en 2000, sous le titre de Parcours Païen. Pour parler romain, l’opportunité de ce changement ne nous était guère apparue comme relevant d’une priorité absolue. Nous avions peur d’y deviner une peu convaincante manœuvre de communication éditoriale. Reconnaissons que nos frayeurs anticipatives n’étaient guère fondées. Dans sa première mouture Parcours Païen se donnait à lire comme l’itinéraire spirituel d’un jeune européen à la découverte de son originelle identité. Des bois de la Belgique profonde aux rivages de l’Hellade éternelle, de la haute figure de l’Empereur Julien à la rencontre de l’Inde vénérable, du Nord mythique au Sud vivant, nous empruntions des routes qui nous ramenaient aux sources castaliques d’un ancien savoir civilisationnel et rituellique préservé comme par miracle des incessantes attaques menées depuis des siècles par des monothéismes totalitaires, aujourd’hui relayés par des modernités frelatées… 

Sept années ont passé. Ce qui fut donné comme un combat, est désormais vécu comme une victoire. Le regard de Christopher Gérard sur son propre parcours est empli d’assurance. A l’angoissante incertitude des débuts a succédé la sérénité des accomplissements. Le foisonnement antésocratique de l’antique physis heideggerienne est toujours-là. Même si la végétation a obscurci la présence de la margelle sacrée, il suffit de suivre le sillage des couleuvres ouroboriques pour tremper son visage dans les limpidités de l’eau lustrale.

Malgré de nombreux textes que le lecteur retrouvera pratiquement à l’identique dans les deux volumes, La Source Pérenne est un livre beaucoup plus important que Parcours Païen. Ce n’est pas que Christopher Gérard aurait trouvé quelques formules plus heureuses ou quelques formulations plus percutantes. Tout est question de perspectives. Dans Parcours Païen Christopher Gérard pare au plus pressé. Il s’attaque à la racine du mal. Paganisme contre christianisme, polythéisme contre monothéisme. Tel l’Héraklès sur les bords fangeux de l’Herne il coupe les têtes sans cesse renaissantes de l’Hydre monstrueuse. Mais il ne suffit pas de lutter contre les rejetons visqueux de la pieuvre lernique. Il faut trancher ras le principe génératif de cette cancéreuse prolifération carnivore.

Le païen qui tente de résister à l’assaut du chrétien est un accident circonstanciel de l’Histoire. Il y a longtemps que les chrétiens se sont aperçus de l’étroitesse de leur point de vue. L’on pourrait décrire l’édification de la théologie chrétienne comme la digestion successive de multiples strates païennes. Le rabbinisme christique des premiers temps a avalé au cours des siècles maints éléments des doctrines stoïciennes, du platonisme et du mithracisme… Nous arrêtons là une liste que nous pourrions longuement poursuivre ou détailler… Dans le chapitre « Mysteria Mithrae » Christopher Gérard nous offre le plaisir d’une analyse descriptive, mais qu’il précise non exhaustive, des plus jouissives de quelques uns de ces emprunts qui sont devenus des piliers essentiels du catholicisme ! Les théologiens ont senti venir le danger. Devant la montée de l’érudition d’une fraction non négligeable des élites à la fin du dix-neuvième siècle et la remise en question au siècle suivant des fondements historicistes et dogmatiques des religions monothéiques ils ont dû trouver quelques parades plus efficaces que les sempiternelles et péremptoires objurgations de rares fidèles récalcitrants  à l’obligation passive de  la croyance en la Vérité révélée. Très malignement le christianisme a tenté de surmonter ses tendances sectaires. Au lieu de gratter là où ça fait mal l’on passera le badigeon de l’oecuménisme conciliant, l’on ne parlera plus d’hérétiques mais de religions du Livre, la machine du monothéisme a resserré les rangs pour contrer le seul véritable ennemi ; le polythéisme. Mais comme celui-ci embrasse une multiplicité de civilisations en leur essence étrangères à l’idée même de monothéisme, l’intelligentsia d’obédience culturelle catholique a mis au point un concept de tradition religieuse capable de ratisser beaucoup plus large que les instruments messianiques habituels. L’on n’a jamais comparé le travail de René Guénon à celui de Spinoza. Et pourtant un escalier qui permet de s’échapper d’une vision infantile de la représentation de Dieu par un concept philosophique moins naïf est aussi et en même temps l’escalator mécanique qui permet de remonter à ce que l’on avait quitté.

Le lecteur aura compris le sens du nouvel intitulé : le concept de Source Pérenne s’oppose au dogme de Tradition Primordiale. N’allez pas accroire que Christopher Gérard s’en est allé bricoler une notion plus ou moins ingénieuse à opposer aux dogmatiques de la Tradition Primordiale. La Source Pérenne se donne à lire comme une entreprise généalogique de restitution généralisée. Ce qui est en premier n’est pas à l’origine : le christianisme ne s’est pas seulement coulé dans le lit du platonicisme et du plotinicisme il a aussi annexé l’évidence de la multiplicité du monde qui fonde le polythéisme. L’Un exige le Multiple, sans quoi il ne serait que l’indifférencié totalitaire du néant et de l’être. Devant ce scandale de la nécessité de l’existence du Multiple pour assurer sa propre existence, les monothéistes se sont vus obligé de mettre au point cette notion de primordialité temporelle pour assurer la prééminence de l’Un sur le Multiple, qu’ils considèrent comme le gardien du troupeau. Avec la tradition primordiale les pieuses ouailles seront bien gardées !

Avec La Source Pérenne, la vision gérardienne s’agrandit. La pensée de Christopher Gérard a gagné en altitude et en plénitude. Le concept de Source Pérenne est un bélier de bronze qui ne cessera plus de battre les murailles de la Tradition Primordiale jusqu’à leur écroulement final. Ce livre de Christopher Gérard est à méditer. Il est d’abord d’une richesse incroyable. Il n’est surtout pas le résultat de longs et oiseux raisonnements interminables. Il est le fruit juteux de la connaissance savoureuse des choses, des êtres, des gens, des livres et des cultures qui se donnent à vivre selon les concrètes modalités de l’expérience pragmatique de la rencontre d’un poëte, d’un guerrier, d’un Homme libre et ferme, tel qu’en lui-même sa volonté le fonde, avec la chair païenne du monde et des Dieux. »

André Murcie

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« Erudit, profond, pertinent y compris dans ses impertinences, l’essai de Christopher Gérard vient réveiller les consciences dans une défense subtile, vivante et non pas archéologique du paganisme.

Le paganisme dont il est question ici, loin d’être une nostalgie d’un passé idéalisé, un refuge, une fuite, est l’affirmation franche de la reconnaissance du divin dans sa manifestation visible, au quotidien, et du lien sacré entre l’homme et la nature. C’est aussi un combat contre tout ce qui réduit la liberté et la créativité, contre toutes les prisons nées des conditionnements. En ce sens, le paganisme, comme tradition au temps cyclique, est bien davantage le véhicule de voies d’éveil que des traditions au temps linéaire. Christopher Gérard voit aussi dans le paganisme le vecteur du renouveau d’un Occident en détresse, non dans une opposition quelconque à l’Orient mais plutôt en cherchant en Orient, en Inde notamment, les ingrédients du réveil.

Christopher Gérard montre comment derrière le vernis, certes épais, des monothéismes, les mentalités restent païennes et appellent au plus profond d’elles-mêmes au réenchantement du monde :      « La religion de l’Europe est d’essence cosmique. Elle voit l’univers comme éternel, soumis à des cycles. Cet univers n’est pas regardé comme vide de forces ni comme « absurde » comme le prétendent les nihilistes. Tout fait sens, tout est forces et puissances impersonnelles régies par un ordre inviolable, que les Indiens appellent Dharma (concept récupéré plus tard par les Bouddhistes), terme qui peut sembler exotique, mais que les Grecs traduisent par Kosmos : Ordre. Depuis des millénaires, notre religion, reflet de la tradition primordiale, pousse l’homme à s’insérer dans cet ordre, à en connaître les lois implacables, à comprendre le monde dans sa double dimension visible et invisible. Le païen d’aujourd’hui, comme il y a trois mille ans, fait siennes les devises du Temple d’Apollon à Delphes : connais-toi toi-même et rien de trop. »

Cet essai veut délier et réveiller, appeler à l’aristocratie de l’esprit, se souvenant que la voie est d’abord une mise en œuvre et non un discours sur l’œuvre. »

Rémi Boyer, La Lettre du Crocodile

 

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"Voilà un bréviaire plein d'intelligence et de lumineuse vitalité"

Bruno Favrit

 

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Traditio perennis

 

En octobre 2000 paraissait à L’Age d’Homme, providence des dissidents, mon essai Parcours païen, que je qualifiais d’archéologie de la mémoire. L’ouvrage, rapidement épuisé, a reparu en 2007 chez le même éditeur dans une version revue et augmentée, sous le titre La Source pérenne. Voici ce que le jeune Laurent Schang disait de Parcours païen dans Le Baucent, revue littéraire publiée à Metz.

Acte un. Imaginez un gamin, douze ans à peine, pas­sionné d'archéologie, penché sur le squelette d'un guer­rier franc enterré là depuis quoi ? dix, quinze siècles... L'enfant, pas encore un adolescent, s'active pour mettre au jour les restes du vieux Belge qui en son temps dut être un rude gaillard. Pour Christopher plus qu'une pièce de musée, c'est une authentique relique qu'il est en train d'exhumer. Mieux: qu'il ressuscite. Premier senti­ment de religiosité, et déjà, confusément, le sens du tra­gique. L'alchimie s'opère.

Acte deux, quelques années ont passé. Nous retrouvons Christopher, jeune homme toujours passionné de fouilles, dégageant du chantier où il s'affaire une pièce de monnaie romaine du règne de Constantin. On lui a dit que ces rui­nes, tout ce qu'il reste d'un édifice jadis magnifique, re­montent aux premiers chrétiens et à leur frénésie destruc­trice. Pourquoi un tel déchaînement de violence ? Il frotte la pièce, parvient à lire l'inscription qui y est martelée. En bon latiniste, il n'éprouve aucune peine à la tra­dui­re. Soli Invicto Comiti. Sans qu'il s'en rende bien compte, quel­que chose se produit en lui, comme une prise de cons­cience qui va déterminer toute sa vie. Sa religion est faite.

Si vous demandez à Christopher Gérard ce qu'il fait dans la vie, question typiquement occidentale qu'il déteste, sa ré­pon­se sera invariablement la même: «archéologue de la mé­moire». Avec ça, vous serez bien avancé. Demandez-lui plu­tôt qui il est, et d'où il vient. Là, il vous répondra tout ac­cent dehors: «Moi, Irlandais, Germain et Hellène»! Né new-yorkais en 1962, d'un père belge et d'une mère d'ori­gi­ne irlandaise, Christopher Gérard n'attend pas sa première année pour faire son grand retour sur le Vieux Continent. Il n'en bougera plus que pour effectuer des sauts en Inde, ce qui, pour Gérard l'indo-européen revient au même, ou à peu près. Une fois diplômé de l'Université Libre de Bruxel­les (licence de philologie), Gérard se lance dans l'enseigne­ment. Mais pas n'importe lequel, celui de la plus vieille sa­gesse européenne, celle que lui a révélé sa forma­tion de latiniste.

Ne manquant pas d'ambition et prenant son courage à deux mains, il écrit à Ernst Jünger, pour obtenir de lui l'autorisation de repren­dre à son compte la publication d'Antaios, revue que le nonagénaire auteur du Traité du rebelle avait cofondée et animée avec Mircea Eliade de 1959 à 1971. Jün­ger accepte. Le premier numéro d'Antaios nouvelle formule paraît sous le parrainage de l'anarque à l’été 1993 (seize livraisons ainsi que plusieurs plaquettes paraîtront jusqu’en 2002). Antaios se veut une source d'in­spi­ration pour préparer le XXIème siècle, dont on sait de­puis Jünger qu'il sera celui des Titans, et le XXIIème siècle, ce­lui des Dieux. Depuis, Antaios s'ho­nore d'accueillir dans ses pages Michel Maffesoli, Alain Daniélou, Arto Paasilina, Robert Turcan, Gabriel Matzneff, ou Jean-Claude Albert-Weill.

Le paganisme selon Christopher Gérard? L'expression, su­per­be, est de lui: «redevenir soi-même macrocosme». Pas de divinité tutélaire, ni de menu à la carte, façon New Age. Pas question de se convertir au brahmanisme ou à l'hin­douis­me. Ridicule! Pas de mythe de l'Age d'Or. Pas d'illusion sur la technique, mais pas de blocage mental dessus. Pas d'i­dolâtrie non plus. «Méden agan» (rien de trop). Prier une multitude de dieux revient toujours à vénérer le seul et mê­me dieu démultiplié en autant de services à rendre. Non, le paganisme vrai consiste à révérer l'un et son con­trai­re, Apollon et Artémis, Sol et Luna, tous participant d'un même ordre du monde harmonieux, dans une pratique per­sonnelle, libre et joyeusement acceptée. Une ascèse, un combat aussi, contre le monothéisme génocidaire, l'ho­mo­généisation, les idéologies modernes. Rien de plus éloi­gné du paganisme que le fanatisme, le sectarisme reli­gieux. Cest pourquoi Gérard n'aime pas le mot foi, et lui pré­fère fides (sa devise, «Fides aeterna»). Et n'allez pas lui dire que le monde est désenchanté, lui vous rétorquera crépuscule en bord de mer, brame du cerf au petit matin, bruissement du vent dans les branches, chant du ruisseau.

Le Baucent: Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas en­core, Christopher Gérard, pourquoi ce titre, Parcours païen ?

Parcours païen est un recueil de tex­tes illustrant le réveil des Dieux dans la conscience d'un jeu­ne Européen d'aujourd'hui. La pensée grecque, surtout celle des présocratiques (sans oublier l'héritage tragique), l'empereur Julien, le souvenir de fouilles archéologiques menées durant l'adolescence, la figure solaire de Mithra, des voyages aux Indes sur les traces d'Alain Daniélou, l'Ir­lan­­de ancestrale, tous ces éléments à première vue dis­pa­ra­tes, mais d'une cohérence souterraine, composent le pay­sa­ge mental d'un «Païen» d'aujourd'hui. La vision proposée est donc personnelle: il s'agit bien d'un itinéraire et d'un témoignage, celui de la permanence d'un courant polythéiste en Europe. En rassemblant ces textes, j'ai voulu offrir au lecteur des pi­­stes de réflexion et montrer que le paganisme est à la fois civilisateur et apaisant. Trop de malentendus, de ca­ri­ca­tures l'ont rendu suspect et il était temps d'en finir avec toute une bimbeloterie. Ce recours à la mémoire païenne constitue un idéal de rési­stance aux ravages de la modernité. Prenons un exemple: les Grecs nous ont livré comme principale leçon de ne se laisser arrêter par aucune question, de refuser tout dogma­tisme. Or notre modernité, héritière d'un christianisme dé­sincarné (protestantisé), se fonde sur des dogmes: auto­no­mie de l'individu, mythe du progrès et de la croissance, etc. Etre Païen, c'est opposer à ces chimères les cycles éternels, la souveraineté de la personne, c'est-à-dire des hommes et des femmes de chair et de sang qui héritent, maintiennent et transmettent des traditions, une lignée, un patrimoine au sens large. Je lisais il y a peu le beau roman d'un authentique Païen, Jean-Louis Curtis, Le Mauvais Choix (Flammarion 1984). E­coutons ce que cet homme remarquable hélas disparu dit du paganisme: «On discerne dans le paganisme une grâce quasi miraculeuse, une intelligence profonde de la vie, du bonheur de vivre. Alors point de religion contraignante, mais seulement des fables gracieuses ou terribles, (...) des choses de beauté qui étaient à la portée de tous». Curtis voit bien que les utopies, ces maladies de l'intelligence, vo­missent le sacré parce qu'elles y voient une menace. Etre païen aujourd'hui, c'est refuser les utopies, la marchan­disa­tion du monde et le déclin de la civilisation européenne. C'est aussi reven­di­quer haut et fort une souveraineté attaquée de toutes parts. Je signale qu'en plus, l'ouvrage comprend une défense de l'Empire: du Brabant à la Zélande, de la Lorraine au Limbourg, nous sommes tous les héritiers d'une civilisation prestigieuse. Il nous appartient de rétablir l'axe carolin­gien, pivot d'un ordre continental digne de ce nom. Ad­ve­niet Imperium!

Le Baucent: Vous citez abondamment Ernst Jünger et on com­prend pourquoi. Mais que pensez-vous de son com­pa­triote Hermann Hesse, dont l'œuvre immense, disponible au format de poche, présente bien des similitudes avec cel­le de Jünger, en particulier s'agissant de la vision du monde, et ce malgré deux cheminements dans le siècle à l'op­posé l'un de l'autre ? Je pense à Siddharta, Demian, ou Le Loup des steppes.

Vous avez raison de faire référence à cet écrivain «alémanique», que Jean Mabire définit très justement dans Que lire II (1995) comme «le plus fidèle disciple de Nietz­sche, mais aussi des romantiques allemands». La lecture de Siddhartha m'a bouleversé autant que celle de Sur les fa­laises de marbre. Hesse, comme Jünger, est l'un des grands éveilleurs de l'aire germanique: tout jeune Européen doit avoir lu Le Loup des steppes, Le Voyage en Orient, Le Jeu des perles de verre,... J'empoigne mon exemplaire annoté de Siddhartha et je tombe sur ces li­gnes: «Qu'un héron vînt à passer au-dessus de la forêt de bambous et Siddhartha s'identifiait aussitôt à l'oiseau, il vo­lait avec lui au-dessus des forêts et des montagnes, il de­ve­nait héron, vivait de poissons, souffrait sa faim, parlait son langage et mourait de sa mort». Quelle plus belle évocation du paganisme?

Propos recueillis par Laurent Schang.

 

 

 

 

08 mars 2025

Avec Thierry Marignac

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Depuis A Quai et Terminal Croisère, deux de ses précédents romans, je sais à quel point Thierry Marignac est fasciné par les zones portuaires, d’Anvers à Hambourg - aujourd’hui, au Havre, dont il propose dans L’Interprète une saisissante peinture. Dans cet Interprète, les lecteurs de son oeuvre retrouveront un personnage récurrent, probable porte-fantasmes de l’auteur, à savoir Thomas Dessaigne, traducteur et interprète de l’anglais et du russe, entre autres pour la police de Bruxelles, ex-facilitateur ONG en Russie, ex-employé de la Croix-Rouge expulsé de Moscou et lié naguère à la pègre des ghettos noirs de Harlem, en un mot comme en cent un « demi-solde d’une caste inférieure d’employés internationaux ».

Ce Dessaigne, grand amateur de vodka Tsarskaïa devant l’Éternel, a roulé sa bosse de Kiev à Vilnius, de Bruxelles à Brooklyn. Comme Marignac, il est un linguiste-né, sensible aux accents et aux intonations, fin connaisseur des argots, jamaïcains ou ukrainiens, comme des vocabulaires techniques.

L’Interprète peut d’ailleurs se lire aussi comme un polar « philologique », car son intrigue repose en partie sur le déchiffrement d’une devise en cyrillique orthodoxe gravée sur la lame damasquinée d’un poignard.  Cette lame est retrouvée entre les côtes d’un cadavre découvert dans les bas-fonds du Havre, à quelques mètres d’un lugubre bar à hôtesses. Réquisitionné par un binôme de policiers locaux pour traduire cette mystérieuse inscription, Dessaigne fait vite le lien avec les vendettas du Caucase, attisées par les récentes guerres locales. La façon dont le cœur de la victime a été transpercé sans toucher les côtes trahit le coup de main d’un as du couteau - une exécution, comme dans les montagnes du Daghestan. En outre, l’enregistrement des dernières paroles de la victime au comptoir du bar interlope, alors qu’elle paie une tournée générale en livres sterling, met la puce à l’oreille du traducteur, puisque, à la question posée en anglais synthétique par une entraîneuse quant à ses occupations, l’homme se vante, dans le plus pur Oxbridge, « d’organiser des coups d’état ».

Dessaigne va, comme il aime le faire depuis trente ans, naviguer en eaux troubles, plus ou moins téléguidé par les policiers havrais, eux-mêmes plus ou moins bien renseignés par la police britannique… comme par le consulat russe du Havre, car, rapidement, le cadavre est identifié comme celui d’un Caucasien, Ibraguim, ex-soudard reconverti dans la guerre de l’information en tant que « spécialiste » de Daesh. Le récit gagne alors en intensité et devient d’autant plus subversif, et donc marignacien pur sucre, quand, par le truchement d’un sympathique ( ?) galeriste russe et d’un redoutable « antiquaire » géorgien, un temps l’homme des Américains en Géorgie jusqu’à son exfiltration, nous apprenons que cet Ibraguim, le poignardé, travaillait pour une ONG émanant directement des services britaniques, qui s’est donné pour noble mission de « défendre la démocratie contre la désinformation », et ce à coups de millions. Parmi les cibles, un leader de l’opposition travailliste, accusé sur tous les tons d’être un agent russe - exactement comme tel président à l’inélégante coiffure. Là, Marignac n’invente plus rien, mais se fonde sur des faits avérés, quoique méconnus, relatifs à un réseau de propagande antirusse, Integrity Initiative, dénoncé à la Chambre des Communes et dans la presse anglaise, mais ignoré dans le monde francophone. D’un banal meurtre sous la pluie glacée du Havre, des soirées déjantées dans des galeries londoniennes d’art contemporain, le romancier passe, mine de rien, aux coulisses de l’actuelle guerre de l’information et éclaire, à sa manière implicite, les sources tout sauf pures de certain délire belliciste.

 

 

Christopher Gérard

 

Thierry Marignac, L’Interprète, Konfident noir, 228 pages, 19€

 

 

Voir aussi, sur ARCHAION :

 

http://archaion.hautetfort.com/archive/2023/11/07/parcours-batard-6469850.html

 

et

 

http://archaion.hautetfort.com/archive/2021/08/07/terminal-croisiere-6331071.html

 

 

Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |

05 mars 2025

Avec Alain Paucard

littérature,paris,uchronie

 

Auteur d’un Manuel de résistance à l’art contemporain, des Carnets d’un obsédé et d’une trentaine d’autres romans et pamphlets, Alain Paucard (XIVème arrondissement) est aussi le président à vie du Club des Ronchons, dont firent partie Pierre Gripari et Jean Dutourd. Ce chantre du Paris populaire et des filles de joie, cet admirateur de Guitry et d’Audiard s’était amusé naguère à composer une sorte d’uchronie, que réédite La Mouette de Minerve  - louée soit Son infinie sagesse.

 

Sous les oripeaux de la série B transparaît le conte philosophique, pas vraiment rousseauiste, même si, dans une autre vie, l’auteur fut proche du Komintern (ou quelque chose d’approchant). Dans un Paris à peine futuriste où règne un strict apartheid spatial, le quartier de la Défense, qui symbolise l’enfer sur terre (Le Corbusier et consorts étant considérés par l’auteur comme des criminels de béton) est devenu une sorte de ghetto – le lazaret – réservé non aux lépreux mais aux héroïnomanes, parqués manu militari et livrés au pouvoir de kapos sans scrupules.

 

Trois castes y coexistent ( ?) : les maîtres, qui contrôlent la poudre obligeamment fournie par le Ministère de la Santé ; les esclaves, qui travaillent et les larves, qui meurent. Le lecteur y suit à la trace trois nouveaux-venus, raflés par la police et transportés dans cette jungle urbaine où règne la force brute. C’est peu dire que Paucard jubile quand il décrit, dans une langue ferme et emplie d’un tranquille cynisme, les atroces jeux de pouvoir qui se déroulent dans ce lazaret. Pourtant, le destin veille et l’horrible pyramide vacille. Unhappy end garantie. Sacré Paucard !

 

Christopher Gérard

 

Alain Paucard, Lazaret, La Mouette de Minerve.

19 février 2025

Avec Nicolás Gómez Dávila

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La publication, aux éditions Hérodios, d'inédits en français de  Nicolás Gómez Dávila (1913-1994) est l’occasion de revenir sur un penseur volontairement anachronique qui se définissait lui-même comme « l'asile de toutes les idées bannies par l'ignominie moderne ».

Né dans une famille fortunée de Bogota, Nicolas Gómez Dávila mena la vue d’une sorte de Montaigne andin, libre de toute obligation professionnelle et partageant son temps entre la lecture et l’écriture à l’abri d’une fabuleuse bibliothèque. Le français fut la seconde langue de cet homme qui se disait « écrivain espagnol de langue française » : son miel, il le trouvait chez Laclos, Chamfort, Madame de Stael. A ses yeux, « une grammaire insuffisante prépare une philosophie confuse ».

Docteur en philosophie, membre associé du Laboratoire Hannah Arendt de l’Université de Paris XII, Michaël Rabier a, pour sa brillante thèse, traduit toute son oeuvre, en particulier les dix mille aphorismes composant les Escolios a un texto implicito (cinq volumes, dont il n’existe qu’une sélection accessible en français, e.a. Le Réactionnaire authentique, aux éditions du Rocher).

 

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L’ouvrage de Michaël Rabier constitue une somme sur une œuvre insolite et secrète, censée saboter le monde moderne, et composée pour sa plus grande part de scolies d’un énigmatique texte implicite … jamais cité. Scolie fait référence à la tradition antique et médiévale de ces scribes qui rédigeaient des notes dans la marge des manuscrits pour les éclairer.

En effet, Gómez Dávila, patricien polyglotte et bibliophile, a, au cours d’une vie tout entière dédiée à la lecture et à la réflexion, composé un immense livre de commentaires sur la tradition européenne, qu’il interroge et synthétise par le biais d’aphorismes ciselés, souvent fulgurants, parfois sarcastiques et témoignant d’un souverain mépris des convenances : « Au réactionnaire il est seulement possible de proférer des sentences abruptes que le lecteur ne digère pas. »

Cet homme en marge (« Celui qui se respecte ne peut vivre aujourd'hui que dans les interstices de la société ») stimule la réflexion sur notre monde ; il aide à résister à la domestication des esprits. Pour lui, la philosophie doit permettre de proférer des vérités mal vues par une société tentée de tyranniser la pensée : « Celui qui diverge radicalement ne peut argumenter, mais énoncer. » Catholique au sens de Romain à l’instar d’un Gustave Thibon, Gómez Dávila défend une pensée antimoderne qui tend à « accepter l’inévitable en l’anoblissant », alors que l’esprit moderne le nie en l’avilissant. Il se place résolument aux antipodes de l’illusion comme de l’utopie : « Le réactionnaire ne souhaite pas une vaine restauration du passé, mais une improbable rupture du futur d’avec ce sordide présent ».

 

 

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Entretien avec Michaël Rabier

Propos recueillis par Christopher Gérard

 

 

Qui est donc ce penseur que d’aucuns ont surnommé le Nietzsche colombien ? Quelle est selon vous son importance ?

 

Nicolás Gómez Dávila se présentait lui-même comme un homme étranger à son époque et à son pays : « Obscurantiste chanoine du vieux chapitre métropolitain de Santa Fe, aigre dévote de Bogotá, rude propriétaire terrien de la Savane, nous sommes de la même engeance. Avec mes actuels compatriotes, je ne partage que le passeport. » confessait-il, lui qui fut très avare d’informations sur sa vie personnelle.

C’est un homme sans biographie ou presque. Héritier de la haute bourgeoisie commerçante bogotaine, élevé dans le Paris des années 30, fervent helléniste et latiniste, passionné de lecture, il a passé la presque totalité de sa vie, et surtout de ses nuits, enfermé dans son immense bibliothèque. Il notait dans des registres de compte ses réflexions nées de ses diverses lectures, en différentes langues, principalement, le français, l’allemand, l’anglais, l’italien. On raconte que, avant de mourir, il apprenait le russe et le danois pour lire Berdiaev et Kierkegaard dans le texte.

Selon moi, c’est un humaniste européen perdu dans le XXe siècle colombien. Je dirais même un moraliste français de langue espagnole, comme Cioran fut un immoraliste roumain de langue française, en exil dans leur temps. Ces deux auteurs partageant avec Nietzsche, outre l’admiration pour le classicisme français, le sens du style et de la provocation intellectuelle, des mucrones verborum.

Son importance réside dans son œuvre unique en ce qu’elle résume et concentre l’esprit de la philosophie non systématique et par conséquent antimoderne. Il renoue avec la tradition de l’antique philosophia moralis, inaugurée avec Socrate et poursuivie jusqu’à Cioran, qu’il égale non seulement dans le pessimisme ironique, voire sarcastique, mais aussi dans la profondeur fulgurante et l’élégance mordante. Je m’étonne d’ailleurs que pour ces raisons il n’ait pas autant séduit les lecteurs francophones. Sans doute s’avère-t-il trop radical dans ses critiques du monde moderne…

 

 

Quelle est la lignée philosophique (ou antiphilosophique ?) de ce penseur original, qui choisit d'ailleurs un mode d'expression spécifique - la scolie ?

 

Selon ses propres termes, ses « saint Patrons » sont Montaigne et Burckhardt. Il admire comme eux la Grèce et l’esprit renaissant. Au premier, il emprunte le scepticisme philosophique ; au second, le scepticisme politique. En somme, un anti-progressisme qui le rattache à la lignée des contre-Lumières pour parler comme les Anglo-saxons et du conservatisme philosophique ou « antiphilosophique » pour parler comme les contre-révolutionnaires. 

Le terme de « scholie », – au féminin et avec un « h » – vient du grec skhólion lui-même provenant du terme skholế et signifie une « occupation studieuse », une activité dédiée à l’« étude ». Par extension, les Byzantins se référaient à leurs commentaires des textes comme scholia au sens de « notes en marge d’un texte », alors que les Anciens les nommaient hypomnemata. Mais le développement le plus important dans l’histoire du commentaire se situe au Moyen-Âge, au moment où, avec l’apparition du codex laissant plus d’espace que le volumen (papyrus), les commentaires littéraires se transforment en scholies. Modèle qui s’est ensuite développé à la Renaissance et s’est émancipé en s’éloignant de plus en plus du texte commenté pour devenir un texte à part entière.

Gómez Dávila s’inscrit ici dans cette autre lignée, antique et médiévale, voire humaniste (au sens des « humanités »), de recueil des pensées passées, commentant l’héritage de la culture occidentale à partir de ses vestiges. Il s’agit donc également d’une œuvre de lecteur et de passeur, à travers le recours à la citation, l’allusion, la paraphrase ou l’emprunt pur et simple, à la manière de Montaigne, aux auteurs de la tradition philosophique et littéraire européenne. Par conséquent, il ne prétend pas à l’originalité ou plutôt à la nouveauté, prétention typiquement moderne. Et malgré qu’il en ait, il s’inscrit de surcroît dans la lignée des « penseurs de l’éclair » comme les nomme George Steiner, depuis Héraclite jusqu’à Wittgenstein et même Gustave Thibon, Simone Weil, en passant évidemment par les moralistes français, les romantiques allemands, Schopenhauer, Nietzsche, etc. L’œuvre de Gómez Dávila constitue donc selon moi un palimpseste philosophique, notre auteur réécrivant sur le parchemin de la tradition philosophique occidentale – le « texte implicite » qui complète son titre en espagnol – d’une manière totalement assumée et même revendiquée : « Soyons “livresques”, écrit-il d’ailleurs, c’est-à-dire : sachons préférer à notre expérience individuelle limitée l’expérience accumulée dans une tradition millénaire. »

 

Comment cet adversaire de la modernité définit-il notre monde et que lui reproche-t-il ?

 

Il la définit donc comme une rupture avec cette tradition. La modernité par définition, c’est le culte du nouveau, de la mode (modus), de « ce qui vient d’arriver », le « présentisme » ou pire, pour reprendre un néologisme de Pierre-André Taquieff, le « bougisme ». En ce sens, elle n’est pas du tout signe de « modération » (autre sens du terme selon Brague, cf. Modérément moderne) ou de mesure, mais au contraire d’excès et de démesure.  

En effet, Gómez Dávila la décrit à la fois comme une hérésie philosophico-métaphysique et un désastre éthique et esthétique.  La modernité se fonde d’abord selon lui, sur le refus radical et donc fondamental de considérer l’homme comme une créature. Cette attitude est une attitude néo-gnostique développée dans certains courants dévoyés de la gnose dès le Ier siècle, se retrouve dans les premières hérésies chrétiennes tels l’arianisme, puis le pélagianisme, pour resurgir ensuite dans les ruptures théologiques médiévales et les révolutions philosophico-politiques qui inspirent et traversent l’humanisme moderne, en particulier cette étape importante dans l’accélération de son projet d’émancipation de l’homme que constituent les Lumières allemandes et françaises. Il s’agit là d’un humanisme prométhéen revendiquant anthropologiquement toujours plus de primauté : l’homme non pas créé mais créateur de lui-même.

En ce sens, la modernité poursuit « la longue confrontation entre la mesure et la démesure qui anime l’histoire de l’Occident depuis le monde antique » (A. Camus), c’est-à-dire l’helléno-judéo-chrétienne contre la néo-gnostico-manichéenne selon Gómez Dávila. Antigone contre Prométhée, c’est-à-dire la tradition consciente contre la révolution permanente, l’esprit méditerranéen fondé sur l’acceptation de la tension concrète et complexe de l’existence humaine contre l’« idéologie allemande » cherchant à la simplifier et la transformer au nom d’absolus, et prétendument émancipateurs, mais qui sont en fait le signe d’un mépris du réel, donc d’une haine du monde au profit d’outre-mondes salvateurs : les utopies à la fois pseudo-mystiques et socio-politiques qui débouchent sur toutes les formes de totalitarisme.

 

Est-il réactionnaire authentique, simple conservateur ?

 

L’un n’empêche pas l’autre ! Ou plus précisément, l’un devrait conduire à l’autre : « Si le réactionnaire ne se réveille pas dans le conservateur, c’est qu’il ne s’agissait en fait que d’un progressiste paralysé. » Le réactionnaire authentique serait donc selon lui un conservateur éveillé, et le progressiste un conservateur endormi, c’est-à-dire qui n’est plus sur ses gardes.  Car, s’il y a bien une vertu qu’il trouve au conservateur, c’est celle d’être « le contrepoids aux stupidités du jour » et non la Belle au bois dormant croyant au Progrès charmant ou rêvant de lendemains qui déchanteront tranquillement. On comprend pourquoi le réactionnaire dans ce conte merveilleux de la modernité passe pour la fée Carabosse : un empêcheur de dormir en rond.

Plus sérieusement, le réactionnaire « authentique » est un conservateur conséquent, lucide, prenant acte, d’une part, de l’impossibilité d’arrêter le progrès ; d’autre part, de retourner en arrière. « Burke put être conservateur. Les progrès du progrès obligent à être réactionnaire. »

C’est pourquoi et c’est tant mieux, son « réactionnaire authentique » ressemble moins à Hitler qu’au Bouddha selon moi.  Un non-violent qui le conduit à l’inaction, car toute action politique véritable ou ré-action (en ce sens inauthentique) doit être par définition violente afin de changer le cours de l’Histoire ; donc révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, cela revient au même selon lui me semble-t-il. Jacobins rouges ou blancs, c’est du pareil au même : « Le réactionnaire qui tente de gouverner dans les temps démocratiques avilit ses principes en les imposant avec des procédés jacobins. Le réactionnaire ne doit pas se fier aux aventures, mais attendre une mutation de l’esprit. »

Voilà pourquoi, c’est un contemplatif, un « contemplateur solitaire » à la manière de Jünger, du second Jünger, un anarque pas un énarque, et encore moins un activiste nihiliste ou suicidaire.

 

Propos recueillis par Christopher Gérard pour la Revue générale (Bruxelles), juillet 2021.

 

Michaël Rabier, Nicolas Gómez Dávila, penseur de l’antimodernité, L’Harmattan, coll. Theôria, 384 pages, 38€

 

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Il est longuement question de ce penseur atypique dans

 

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06 février 2025

Avec Pierre Joannon

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Le plus parfait des amis

 

« Vous êtes le plus parfait des amis. Vous êtes toujours là où il faut avec cette solidité qui ne doit rien à la raison et tout au cœur. » Qui ne rêve pas de lire ces mots sous la plume d’un aîné s’adressant à lui ? Pierre Joannon, bien connu pour ses livres sur l’Irlande, a eu cette chance. Auteur de quelques livres talismans, comme L’Hiver du Connétable. De Gaulle et l’Irlande, un court essai qui laisse une marque indélébile sur ses lecteurs, il a rencontré Déon vers 1973.

Dans un précédent essai, Une Amitié vagabonde, il rassemblait, peu après sa disparition, des textes de Michel Déon (1919-2016) pour célébrer quarante ans d’amitié et d’amour partagé pour l’Irlande, de culte de la grande Bleue aussi, car les deux amis, quoique adorateurs du vent et de la brume celtiques, demeuraient fils de la Méditerranée, au point de fonder, à Antibes, un prix Audiberti, attribué aux plus brillants chantres du Mare nostrum.

 

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La copieuse Correspondance 1973 - 2016 que Pierre Joannon publie aujourd’hui, plus de quatre cents lettres & cartes, se place elle aussi « sous le signe de l’amitié sur fond d’horizon irlandais et méditerranéen »… même si, précise Déon, « il est bien difficile d’être celte et hellène à la fois ». En quatre décennies, l’aîné, devenu académicien, et le cadet, très actif dans les études irlandaises, ne cessent de se voir à Paris, Antibes ou dans la comté de Galway, et surtout de s’écrire et de s’échanger des nouvelles sur la vie littéraire (L’Atelier du roman revient souvent sous la plume de Déon, de même que certains noms : Morand, Raspail, Dupré, quelques jeunes gens prometteurs…), la politique irlandaise (Déon se montre un lecteur attentif de l’Irish Times), la bibliophilie, les chevaux, le whiskey (Joannon est le fondateur du Jameson Club, où se retrouvent Déon, Greene, Burgess, Raspail…).

Le tournage du Taxi mauve, avec les inoubliables Peter Ustinov et Charlotte Rampling, donne lieu à toutes sortes de commentaires parfois agacés de l’écrivain. Quelques allusion à Maurras ou à l’Algérie française (un mystérieux voyage à Rome chez Susini et ses pistoleros), l’annonce d’un ultime roman qualifié de « démentiel », encore inédit, l’éloge de deux confrères, Kaddour et Sansal, primés grâce à Déon (« ce choix est bon pour la chère Algérie qui sortira un peu de sa prison ») maintiennent l’intérêt du lecteur jusqu’à ces ultimes mots, de décembre 2016 : « Vivent les livres ».

Un magnifique témoignage de fidélité à l’ami disparu.

 

Christopher Gérard

 

Michel Déon et Pierre Joannon, Correspondance 1973-2016, La Thébaïde.

 

PS : Heureux de lire ces lignes : « Avez-vous lu le livre de Christopher Gerard, Quolibets ? Excellent. » Michel Déon, 29 mars 2013.

Ou, du même, « Je connais un peu CG (…). Pol Vandromme l’appréciait, ce qui est déjà un bon point. » 27 janvier 2014.

 

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 La parution d'un joli recueil de textes dédié à la mémoire du cher Michel Déon en 2019 fut l'occasion rêvée de sortir de mes archives ce bel entretien accordé par Pierre Joannon en 2006 pour la défunte NRH.

 

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  -  Christopher Gérard : Pierre Joannon, vous êtes le spécialiste incontesté de l’histoire de la Verte Erin et de ses habitants. On ne compte plus les ouvrages que vous avez rédigés, dirigés et préfacés sur ce pays qui fascine tant les Français. Vous publiez ces jours-ci aux Editions Perrin, une monumentale Histoire de l’Irlande et des Irlandais de près de sept cents pages. D’où vous est venue cette passion pour l’Hibernie ? Seriez-vous la réincarnation lointaine d’un barde gaël ?

 

-  Pierre Joannon : Navré de vous décevoir ! Aucune goutte de sang irlandais ne coulait dans mes veines jusqu’à une date récente. En 1997, le Taoiseach (Premier ministre) de l’époque a dû sans doute estimer qu’il y avait là une lacune à combler, et il me fit octroyer la nationalité irlandaise, une reconnaissance dont je ne suis pas peu fier. On peut en tirer deux observations : que l’Irlande sait reconnaître les siens, et qu’on peut choisir ses racines au lieu de se contenter de les recevoir en héritage ! D’où me vient cette passion pour l’Irlande ? D’un voyage fortuit effectué au début des années soixante. J’ai eu le coup de foudre pour les paysages du Kerry et du Connemara qui correspondaient si exactement au pays rêvé que chacun porte en soi sans toujours avoir la chance de le rencontrer. Et le méditerranéen que je suis fut immédiatement séduit par ce peuple de conteurs disert, roublard et émouvant, prompt à passer du rire aux larmes avec un bonheur d’expression qui a disparu dans nos sociétés dites évoluées. L’histoire de cette île venait à point nommé répondre à certaines interrogations qui étaient les miennes au lendemain de la débâcle  algérienne. Je me mis à lire tous les ouvrages qui me tombaient sous la main, tant en français qu’en anglais. Etudiant en droit, je consacrais ma thèse de doctorat d’Etat à la constitution de l’Etat Libre d’Irlande de 1922 et à la constitution de l’Eire concoctée par Eamon de Valera en 1937. Un premier livre sur l’Irlande, paru aux Editions Plon grâce à l’appui bienveillant de Marcel Jullian, me valut une distinction de l’Académie Française. A quelques temps de là, le professeur Patrick Rafroidi qui avait créé au sein de l’Université de Lille un Centre d’études et de recherches irlandaise unique en France, m’offrit de diriger avec lui la revue universitaire Etudes Irlandaises. En acceptant, je ne me doutais guère que j’en assumerai les fonctions de corédacteur en chef pendant vingt-huit ans. Je publiais, dans le même temps plusieurs ouvrages sur le nationalisme irlandais, sur le débarquement des Français dans le comté de Mayo en 1798, sur de Gaulle et ses rapports avec l’Irlande dont étaient originaires ses ancêtres Mac Cartan, sur Michael Collins et la guerre d’indépendance anglo-irlandaise de 1919-1921, sur John Hume et l’évolution du processus de paix nord-irlandais. J’organisais également plusieurs colloques sur la Verte Erin à la Sorbonne, au Collège de France, à l’UNESCO, à l’Académie de la Paix et de la Sécurité Internationale et à l’Université de Nice. Enfin, en 1989, je pris l’initiative de créer la branche française de la Confédération des Ireland Funds, la plus importante organisation internationale non gouvernementale d’aide à l’Irlande réunissant à travers le monde Irlandais de souche, Irlandais de la diaspora et amis de l’Irlande. Vecteur privilégié de l’amitié entre nos deux pays, l’Ireland Fund de France que je préside distribue des bourses à des étudiants des deux pays, subventionne des manifestations culturelles d’intérêt commun et participe activement à l’essor des relations bilatérales dans tous les domaines. Ainsi que vous pouvez le constater, l’Irlande a fait boule de neige dans ma vie, sans que cela ait été le moins du monde prémédité. Le hasard fait parfois bien les choses.

 

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C. G. : Pourquoi ce titre Histoire de l’Irlande et des Irlandais  ? N’est-il pas un peu redondant ?

 

-  P. J. : Nullement. On peut disserter sur l’Irlande, sur la France, et succomber par excès de conceptualisation aux idées reçues, aux stéréotypes. Revenir aux composantes de la population oblige à prendre en compte une réalité qui résiste aux simplifications abusives. Pour comprendre cette histoire pleine de bruit et de fureur, il faut restituer aux Irlandais la diversité et la complexité qui caractérise leurs origines : Gaels, Vikings, envahisseurs normands, Anglo-normands plus ou moins hibernisés, Vieux Anglais catholiques, colons cromwelliens et williamites, Ecossais d’Ulster, « mere Irish » soumis ou rebelles, catholiques inféodés au Château de Dublin, Anglo-irlandais convertis au nationalisme ou piliers de l’unionisme, descendants de Huguenots, fidèles de la Church of Ireland ou protestants non-conformistes, suppôts de l’Ordre d’Orange ou de l’Ancient Order of Hibernians, Irlandais de souche ou de la diaspora, nombreux sont les alluvions qui ont fait de ce peuple ce qu’il est devenu. Lorsqu’on parle des Irlandais, il convient toujours de se demander « Mais de qui parle-t-on exactement ? ».

 

- C. G. : Est-ce à cause de cette diversité que les Irlandais semblent traverser, à intervalles réguliers, une crise d’identité qui les pousse à chercher une réponse à cette lancinante interrogation « What does it mean to be Irish ? ».

 

-  P. J. : Sans aucun doute. Et ce trait que vous soulignez n’est pas nouveau. Dans Henri V, pièce écrite aux alentours de 1599, Shakespeare fait dire au capitaine irlandais MacMorris : « What ish my nation ? » - Qu’est-ce que ma nation ? C’est la première expression littéraire de cette crise d’identité qui, sous des formes diverses, est une des constantes de l’histoire irlandaise. Le poète Seamus Heaney, Prix Nobel de littérature, ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « Notre île est pleine de rumeurs inconfortables ». Cette volonté de refuser l’embrigadement imposé par des définitions en forme de pièges réducteurs exprime une identité en perpétuelle recherche de nouvelles formes. Chemin faisant, les Irlandais d’aujourd’hui ont enfin tordu le cou à ce complexe d’ex-colonisé qui les figeait dans une posture victimaire et un syndrome de ressentiment qui bridait leurs énergies. C’est patent en République d’Irlande, même si cela est moins évident dans cette Irlande du Nord occupée à panser les plaies de trente années de guérilla urbaine et d’affrontements inter-communautaires qui ont laissé dans les esprits des séquelles difficiles à évacuer.

 

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- C. G. : Vous soulignez qu’il existe en Irlande deux traditions historiographiques, l’une nationaliste focalisée sur les rapports conflictuels avec l’Angleterre, l’autre moins isolationniste et plus européocentrique. Laquelle vous semble la plus pertinente ? Votre approche de l’histoire irlandaise a-t-elle évolué depuis 1973, date de votre premier essai sur la Verte Erin ?

 

- P. J. : Il existe, en effet, deux lectures complémentaires de l’histoire irlandaise. Il y a d’abord la lecture « traditionnelle » narrant la destinée d’un peuple conquis et colonisé entre le XIIe et le XVIIe siècle, qui s’efforce de s’émanciper tout au long du XIXe, utilisant pour cela la voie parlementaire aussi bien que l’insurrection ou la guérilla, et qui finira par obtenir son indépendance politique dans le premier quart du XXe siècle, au terme d’affrontements qui préfigurent le grand mouvement de décolonisation qui devait sonner le glas des empires coloniaux au lendemain de la seconde guerre mondiale. Et il y a une lecture « européocentrique », mettant en lumière la dialectique qui sous-tend toute l’histoire irlandaise, la faisant s’éloigner de l’Europe à mesure qu’elle s’intègre davantage à un monde britannique dont elle ne parvient pas à se dégager, et la faisant au contraire se tourner vers l’Europe et même s’agréger à elle dans la phase de recherche de son indépendance et, à plus forte raison, dans la phase d’affirmation de cette indépendance chèrement payée. Quant à savoir où je me situe, il est clair que l’on ne peut écrire l’histoire de l’Irlande en 2006 comme on le faisait à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. il y a quarante ans, l’historiographie nationaliste, imprégnée de cette philosophie du ressentiment dont je parlais à l’instant, était toute puissante. On ne pouvait guère échapper à son influence. Aujourd’hui, les Irlandais ont pris du recul, des documents nouveaux ont été découverts et exploités, l’analyse d’éminents historiens comme Roy Foster ou Joseph Lee ont fait bouger les perspectives. En ce qui me concerne, peut-être suis-je moins crédule, moins naïf, moins déterministe dans mon approche. Je connais mieux l’Irlande. J’ai vieilli. Je pense être mieux armé intellectuellement pour restituer à cette histoire son épaisseur humaine et sa complexité sans tomber pour autant dans l’autre piège réductionniste du révisionnisme anti-nationaliste systématique qui a sombré dans le discrédit il y a une dizaine d’années environ.

 

- C. G. : Quelle est votre figure préférée de l’histoire irlandaise ?

 

- P. J. : Je suis bien en peine de vous répondre. Il existe tant de figures attachantes ou admirables : Parnell, Michael Collins, de Valera, John Hume aujourd’hui. Peut-être ai-je une prédilection pour Theobald Wolfe Tone, ce jeune avocat protestant qui fut, au dix-huitième siècle, « l’inventeur » du nationalisme irlandais après avoir échoué à intéresser les Anglais à un fumeux projet de colonisation. Il voulait émanciper les catholiques, mobiliser les protestants, liquider les dissensions religieuses au profit d’une conception éclairée de la citoyenneté, briser les liens de sujétion à l’Angleterre. Artisan de l’alliance franco-irlandaise il a laissé un merveilleux journal narrant ses aventures et ses intrigues dans le Paris du Directoire. On y découvre un jeune homme curieux, gai, aimant les femmes et le bon vin, fasciné par le théâtre et les défilés militaires, enthousiasmé par Hoche et beaucoup moins par Bonaparte. Capturé par les Anglais à la suite du piteux échec d’une tentative de débarquement français en Irlande, il sollicita de la cour martiale qui le jugeait la faveur d’être passé par les armes « pour avoir eu l’honneur de porter l’uniforme français ». Elle lui fut refusée : il fut condamné au gibet. La veille de l’exécution, il se trancha la gorge avec un canif et agonisa toute une semaine avant d’expirer le 19 novembre 1798.

 

- C. G. : James Joyce disait qu’il voulait, par son œuvre, « européaniser l’Irlande et irlandiser l’Europe ».  N’est-ce pas ce qui se passe depuis une vingtaine d’année ?

 

- P. J. : Sans aucun doute. L’Irlande est devenue européenne. Et l’Europe lui a apporté beaucoup. Plus encore que des subventions, non négligeables, et la possibilité de dynamiser une économie en quête de débouchés, c’est le désenclavement des énergies et des mentalités, la fin d’un tête à tête oppressant qui se traduit par l’instauration d’une relation apaisée avec un voisin dont on se sent moins dépendant, le rattachement au continent d’une conscience libérée des pesanteurs de l’histoire et de la géographie, et la confiance que ce destin partagé finira par reléguer les violents soubresauts du Nord au magasin des vieilles querelles oubliées. Quant à l’irlandisation de l’Europe, elle va bon train. On fête la Saint Patrick du Nord au Sud du vieux continent. Les pubs irlandais fleurissent à tous les coins de rue. La littérature irlandaise est traduite en français, en italien, en espagnol. Les pièces de Frank Mc Guinness et de Brian Friel triomphent sur les scènes du monde entier. Neil Jordan décroche le Lion d’Or du Festival de Venise. Le groupe rock U2  se classe premier au hit parade international. Riverdance joue à guichets fermés à Paris, à Londres, à Nice. Wilde, Joyce, Yeats, Beckett continuent de dominer de leur haute stature le corpus littéraire de notre temps. On pourrait multiplier les exemples.

 

-  C. G. : Votre ami Michel Déon qui a préfacé votre belle biographie de Michael Collins s’insurge contre cette prospérité « qui s’abat sur l’Irlande comme la pédophilie sur le bas clergé ». Etes-vous sensible à ce danger qui pèse sur l’Hibernie ?

 

- P. J. : Bien sûr, tout n’est pas parfait dans ce pays en pleine mutation qu’est devenu l’Irlande. Le Tigre Celtique a bien des taches sur son pelage. Le jeune cadre dynamique qui descend Dawson Street, un téléphone portable collé à l’oreille, n’a plus grand chose en commun avec le baladin du monde occidental de Synge. Mais, entre les plaintes de la tradition et les mirages de la modernité, les Irlandais qui ont déjà triomphé de la misère et de l’auto-flagellation, sauront rester fidèles à l’idée qu’ils se font d’eux mêmes et que nous nous faisons d’eux. Du moins est-il permis de l’espérer !

 

 

 

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