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10 novembre 2020

La Correspondance Jünger - Schmitt

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Monumental ouvrage que publient Pierre-Guillaume de Roux et la revue Krisis avec cette traduction française de l’édition exhaustive (six cent cinquante pages de texte serré, plus de mille notes d’une désespérante érudition à l’allemande) de la Correspondance échangée, et ce durant plus d’un demi-siècle, entre deux géants de l’Allemagne du XXème siècle, Ernst Jünger, le grand écrivain issu des tranchées (1895-1998) et Carl Schmitt (1888-1985), le théoricien du grand espace et de la décision, et aussi, hélas, le « chef de file des juristes du IIIème Reich ».

Des premières lettres datant de 1930 adressées par l’ancien capitaine des troupes de choc à « Monsieur le Professeur » jusqu’aux derniers échanges parfois plus amers des années 80, le lecteur suit les développements d’une amitié complexe, paradoxale, non dénuée de crises, nourrie par l’immense culture de ces deux hommes à l’évidence supérieurs.

Il est vrai que ces deux esprits encyclopédiques, le « reître méditatif », pour citer Antoine Blondin, et le constitutionaliste pète-sec, se révèlent, sur la longue durée - cinquante-trois ans – bien différents malgré leurs liens profonds, comme leur commune méfiance pour le rousseauisme et pour toute forme d‘humanitarisme (et en fait de romantisme en politique), un même penchant pour Hobbes et Machiavel, une même défiance à l’égard de la technique et du règne des masses, un même refus de cette haine, typique d’après la catastrophe de 1914, pour l’ennemi (vu non comme adversaire digne d’estime mais comme exclu du genre humain - thème ô combien actuel).

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Ernst Jünger et Carl Schmitt en 1942

Pourtant, si Jünger garda toujours ses distances avec le régime hitlérien, Carl Schmitt prit, comme Heidegger, sa carte au parti unique. Plus grave, en 1934, après la Nuit des Longs Couteaux, il justifia ce bain de sang par un retentissant « Le Führer protège le droit » - texte qui ne lui fut jamais pardonné et qui lui valut, après 1945, un ostracisme tenace en Allemagne fédérale.

Si tous deux partagent une méfiance séculaire, catholique ou protestante, à l’égard des Juifs, Jünger ne versa jamais dans l’antisémitisme, allant jusqu’à saluer, dans le Paris de 1942, un médecin juif porteur de l’étoile jaune (« J’ai toujours salué l’Etoile » écrira-t-il au Docteur Sée un demi-siècle plus tard). Schmitt ne fit pas preuve de la même modération, lui qui accumula des articles peu ambigus sur la question juive. D’où l’amertume du juriste proscrit après la guerre lorsqu’il compara son propre exil intérieur sans fin et la (relative) renaissance littéraire de Jünger, pourtant lui aussi soumis à des critiques malveillantes.

Cette correspondance est d’une densité peu commune ; elle illustre un état de la culture qui appartient à une époque je le crains révolue, quand deux amis évoquent des auteurs grecs ou latins dans le texte, Mallarmé et Rivarol en français, Bosch et Breughel, Schopenhauer et le mage Hamann, que Jünger plaçait très haut.

Entre les lignes, car tous deux connurent la surveillance et même les menaces explicites de la police secrète, nous lisons des allusions au « Grand Tribunal de l’Inquisition » (le parti unique, vu par Jünger, dès 1934), à la guerre « démonique », à la chute dans la zoologie et à la détresse spirituelle de leur temps.

Deux hommes complexes, l’un, le chevalier de l’Ordre Pour le Mérite, plus attachant, l’autre, plus qu’ambigu (et disons-le, déplaisant malgré son étincelante intelligence), surgissent de cette Correspondance, qui se révèle comme le portrait en pointillé d’un siècle de fer.

 

Christopher Gérard

Ernst Jünger & Carl Schmitt, Correspondance 1930-1983, Pierre-Guillaume de Roux et Krisis, 654 pages, 39€

 

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02 janvier 2020

Luc Dellisse, coeur aventureux

 

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Dans Libre comme Robinson. Petit traité de vie privée (Les Impressions nouvelles), Luc Dellisse livrait quelques réflexions aussi salubres qu’impertinentes sur le nouveau monde qui vient, celui de la « ruche planétaire » et sur la manière, bien concrète, de gagner ces maquis qui résistent à la grande mise au pas. L’essai m’avait frappé par son indépendance d’esprit, par la peu commune vigilance que l’auteur  exerce pour préserver sa liberté intérieure, qui me fait songer à la figure de l’anarque jüngerien (et non pas l’arnaque, chers lecteurs !), rebelle inflexible au Léviathan.

Avec Le Sas, recueil de vingt nouvelles, toujours dans le même état d’esprit, Luc Dellisse chante « le divin imprévu » cher à Stendhal, et aussi, pour évoquer à nouveau mon cher Jünger, cette mise en garde du Cœur aventureux contre le plus grand danger qui soit, « celui de laisser la vie nous devenir quotidienne ». Par la grâce d’une prose sèche, à la belle densité, l’écrivain s’y montre attentif aux signes avant-coureurs de l’aventure, de ce basculement parfois minuscule, qui nous permet d’échapper au fatal enlisement. Ces vingt nouvelles, dont certaines aux lisières du réalisme magique, celui d’un Gérard Prévot par exemple, décrivent comment le personnage principal, double de l’auteur, saisit la perche tendue par le destin pour rebondir sans jamais perdre ce bonheur d’exister auquel il refuse de renoncer. Parfois drôle, toujours subtil, jamais creux, encore moins verbeux, Luc Dellisse, cœur aventureux, se révèle poète et géomètre de l’âme.

 

Christopher Gérard

 

Luc Dellisse, Le Sas, Editions Traverse, 155 pages, 16€

 

Voir aussi ma note précédente :

http://archaion.hautetfort.com/archive/2019/05/27/luc-del...

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24 octobre 2019

Avec Jacques Terpant

 

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Né en 1957, Jacques Terpant, l’un des maîtres de la bande dessinée française, est scénariste et dessinateur, mais aussi un lecteur fidèle à ses premières émotions et un homme qui revendique son enracinement dans la Drôme de ses ancêtres, où il vit en ermite. Il s’est fait connaître à Métal hurlant, puis par sa série Messara, et ensuite par ses adaptations de romans de son ami Jean Raspail (Sept cavaliers, Les Royaumes de Borée,…) dans un style graphique qui évoque la fameuse ligne claire des Belges. Les céliniens l’apprécient, lui qui a dessiné la couverture d’un Bulletin célinien et illustré un roman graphique qui se passe à Meudon vers 1960, Le Chien de Dieu.

Aujourd’hui, il publie un album édité avec soin (cartonné, cousu, etc.) où il salue quarante auteurs qui, depuis l’enfance, ont formé une sensibilité à la fois de coureur des bois et de hobereau. Quarante écrivains, quarante portraits à la plume, en noir et blanc donc pour retracer une sorte de panthéon littéraire, d’Enid Blyton à Sylvain Tesson, d’Hemingway à La Varende. Parmi les portraits les plus réussis, je pointerais ceux, saisissants, de Lovecraft, Céline, Morand, et bien entendu celui du Consul général de Patagonie, le cher Jean Raspail. On y trouve aussi un étonnant Drieu en dandy de la Belle Epoque, ou encore Moebius et Ramuz. Ces planches sont précédées d’un fort long texte de son ami Patrick Bellier. Labyrinthique, l’évocation par ce dernier d’allusions familiales quelque peu confuses fatigue parfois le lecteur, dont l’œil se repose illico grâce aux planches de Jacques Terpant,  authentique artiste.

 

Christopher Gérard

 

Jacques Terpant, Trait. Portraits, textes de Patrick Bellier, Editions Lohengrin, 88 pages, 18€, à commander directement à l’éditeur  https://editionslohengrin.com/index.php/product/trait-portraits/ ou sur Amazon.

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22 octobre 2019

Jasmine Catou, détective

 

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Né en 1956, Christian de Moliner, est agrégé de mathématiques, ancien professeur et essayiste. Parmi ses derniers ouvrages, Islamisme radical, comment sortir de l’impasse ?, paru aux éditions Pierre Guillaume de Roux.

Il est aussi romancier prolixe dans le genre apocalyptique. Un drôle de pistolet donc, qui fait appel à une célèbre attachée de presse de Saint-Germain-des-Prés, qui est à elle seule un personnage d’anthologie… et de roman.

En effet, Agathe, l’un des personnages de son dernier livre, Jasmine Catou, détective, est le double limpide de Guilaine Depis, intrépide défenseuse des écrivains qui lui confient ses livres (https://guilaine-depis.com/).

Je dis l’un des personnages, car l’héroïne n’est pas Guilaine, mais bien Jasmine, élégante chatte aux yeux verts qui, impériale, trône sur la couverture. Dans la vraie vie, Jasmine est l’assistante, ô combien zélée, de Guilaine. Dans ce roman, une pochade écrite à la diable par pur plaisir, Christian de Moliner la métamorphose en détective qui, à coups de griffes et de miaulements, communique à sa maîtresse les résultats de ses enquêtes sur, dans le désordre, la mort suspecte de l’immonde Sossers, éditeur véreux s’il en est, sur la disparition d’un bracelet magique ou encore sur le mystérieux fantôme de la rue du Dragon.

Le tout est bien enlevé, plein de charme et de fantaisie, non dénué de coquilles.

Christopher Gérard

Christian de Moliner, Jasmine Catou, détective, Éditions du Val (sur Amazon uniquement), 10 sesterces.

 

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13 novembre 2017

Christopher Gérard en Sorbonne, ou le début de la fin

 

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Il sera question de votre serviteur lors du colloque international "Penser le roman francophone contemporain" organisé par l'Université Paris-Sorbonne – CIEF - CELLF / Université de Montréal – CRILCQ (sans oublier le ZRGLB, scandaleusement omis par les organisateurs) ce 18 novembre 2017 au Centre d’Etudes Slaves – 9 rue Michelet – 75005 Paris
Au menu à 14h00 – Intersections génériques et artistiques,
• Renata Bizek-Tatara, Université Marie Curie-Skłodowska de Lublin (Pologne) : « Christopher Gérard et le brouillage des frontières génériques ».

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