17 mars 2014
Bernard Rio, explorateur de l'imaginaire breton
Eros & Thanatos bretons
Infatigable randonneur autant que chercheur exigeant, Bernard Rio publie deux albums richement illustrés de photographies personnelles - l’homme est aussi chasseur d’images émérite - sur la double polarité Eros et Thanatos chez les Bretons. Dans Voyage dans l’Au-delà. Les Bretons et la mort, préfacé par le mythologue Claude Lecouteux, il reprend la célèbre enquête d’A. Le Braz sur l’Ankou, conducteur des morts, et sa place toujours prégnante dans l’imaginaire breton. Avec ses danses macabres, ses apparitions et ses autels campagnards, ses dévotions et ses croyances aux âmes errantes, la légende de la mort demeure en effet très actuelle en Bretagne : bien plus, elle suscite encore de nouvelles variantes, adaptées à la modernité, ce en quoi elle démontre que les Celtes gardent une singulière proximité avec l’Autre monde. Le paganisme celtique, où les défunts ne « disparaissent » pas mais cohabitent, subsiste sous les oripeaux chrétiens, quoique affaibli par le matérialisme ambiant, autrement plus destructeur que le clergé d’antan. Avec Le Cul bénit. Amour sacré et passions profanes, préfacé, s’il vous plaît, par le plus grand sociologue français, j’ai cité Michel Maffesoli, Bernard Rio nous fait déambuler dans les sanctuaires superficiellement christianisés à la découverte des symboles cachés. Son amour du terroir, servi par une connaissance profonde de la philosophie comme de la mythologie (pour lui c’est tout un), lui permet de rende visible le génie du lieu. Ainsi, les images à première vue licencieuses qu’il recense avec un soin gourmand sont analysées d’un point de vue mythologique, sans jamais sombrer dans je ne sais quelle gaudriole « gauloise ». Sa connaissance de l’œuvre d’Alain Daniélou, et donc son ouverture à la civilisation hindoue, lointaine et en même temps si proche, lui permet de mieux interpréter encore toutes ces manifestations d’une vision du monde plurimillénaire, où le phallus incarne bien plus que le plaisir. Une magnifique leçon d’érudition sauvage et de paganisme.
Christopher Gérard
Bernard Rio, Voyage dans l’Au-delà. Les Bretons et la mort, Ouest-France, 2186 p., 28€. Et Le Cul bénit. Amour sacré et passions profanes, Coop Breizh, 190 p., 25€.
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13 février 2014
Apollon
La découverte de ce magnifique Apollon de Gaza incite à relire ces lignes lumineuses de Friedrich Georg Jünger :
« C’est l’esprit omniprésent d’Apollon qui, seul, permet à l’esprit humain l’essor libre de la pensée sans lequel il n’y aurait ni philosophes de la nature, ni pythagoriciens, ni académies, ni science. Car que seraient toutes les sciences, toute la pensée, sans la virilité de l’esprit ? Le dieu qui institue des frontières et qui veille sur elle a aplani la voie, il a débarrassé le chemin pour le grand agôn des esprits. Ce « Connais-toi toi-même », qui le dit sinon Apollon ? Et, ce faisant, que dit-il d’autre que « ne t’illusionne pas toi-même, concentre ta réflexion et tu verras qui tu es, quelle est ta destination. Tu te comprendras toi-même et tu y parviendras, parce que tu es placé sous ma protection. Celui qui me vénère, je déverse sur lui ma lumière et cette clarté lui sera salutaire, même si elle lui est douloureuse, si elle semble le brûler comme du feu ». On ne conçoit pas de connaissance de soi, pas plus que de conscience de soi, sans douleur. C’est pourquoi rien n’éloigne plus d’Apollon que cet effort qui désirerait à tout prix, même au prix de l’anéantissement de l’esprit, s’affranchir de la conscience et, partant, de la douleur. »
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27 novembre 2012
Dictionnaire amoureux de la Rome antique
« Je suis aussi attaché à cet idéal de civilisation, héritière de la Grèce, qui a su transformer les peuples vaincus en citoyens. Notre Europe a conservé cet art de s’approprier l’étranger. Notre humanisme et notre œcuménisme nous viennent de là. Depuis les écrits des Lumières, on a tenté de fonder l’héritage de l’Europe sur une opposition entre Athènes (l’hellénisme antique) et Jérusalem (la tradition hébraïque). Mais il faut en revenir à la romanité, qui est accueil, assimilation, capacité à accepter l’emprunt. Cette plasticité est notre dignité. Ce fut notre chance. C’est désormais notre risque, face à d’autres cultures obtuses qui récusent et oppriment toute diversité. » Telle est définie l’optique dans laquelle Xavier Darcos, ancien ministre de l’Education nationale aujourd’hui ambassadeur, spécialiste de Mérimée, d’Ovide et de Tacite, a, d’une plume fluide, rédigé cet attachant dictionnaire, subjectif et sans rien d’exhaustif. A chaque page transparaît la passion déjà ancienne qui unit le lettré et l’homme d’action à une romanité, vue comme « ce je ne sais quoi qui élève l’âme » (Rousseau). En lecteur attentif des Anciens, X. Darcos se révèle humaniste à la culture étendue, jamais convenue : ne se réfère-t-il pas autant aux poètes qui chantèrent Rome (de J. Du Bellay à P. Valéry) qu’à la passionnante série Rome, aux bandes dessinées Alix ou Murena, aux films Gladiator ou Caligula ? La peinture, l’opéra et même l’inframusique électronique sont aussi convoqués dans ce portrait kaléidoscopique du Romain : paysan superstitieux, ingénieur sans pareil, soldat infatigable, citoyen sourcilleux,… Parmi les multiples illustrations de l’expansionnisme romain, X. Darcos évoque ce petit village dont les habitants blonds aux yeux verts descendent d’une centaine de légionnaires romains qui désertèrent en 53 AC, traversèrent l’Iran, se firent mercenaires et s’établirent dans… l’ouest de la Chine ! L’auteur ne craint pas les allusions à notre époque, à ses mythes, vus cum grano salis : si, pour ne citer qu’un exemple, un certain brassage fut bénéfique à Rome, le multiculturalisme qui en résulta en sapa les fondements. D’Aqueduc à Thermes, d’Auctoritas à Virtus, d’Agrippine à Sénèque, ce dictionnaire nous promène dans l’immense espace romain où la Ville et le Monde ne faisaient qu’un.
Christopher Gérard
Xavier Darcos, Dictionnaire amoureux de la Rome antique, Plon, 720 pages, 26€
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La religion grecque archaïque et classique, vue par W. Burkert
Professeur émérite à l’Université de Zurich, Walter Burkert est l’un des tout grands noms de ce que les Allemands nomment Altertumwissenschaft, la philologie classique. Formé en Allemagne par des maîtres aussi prestigieux que W. F. Otto ou R. Merkelbach, cet érudit mondialement connu bat les records de publications novatrices : tous ses livres depuis 40 ans – rapidement traduits en de nombreuses langues… sauf en français - ont constitué des moments-clefs dans l’élucidation du miracle grec. Le nombrilisme pas toujours désintéressé de l’Université hexagonale, dont divers pontes médiatisés ont allègrement pillé son oeuvre, a retardé les traductions jusqu’au récent travail de dévoilement mené par Les Belles Lettres, qui permit au public francophone de découvrir son étude phénoménologique des cultes à mystères, ainsi que l’un de ses essais majeurs, Homo necans, sur la place de la biologie – de l’éthologie – dans la naissance des rituels et des mythes grecs. Sa thèse, iconoclaste, montre que l’hellénisme, et donc notre civilisation, son héritière de plus en plus oublieuse, plonge ses racines dans un passé paléolithique, celui de « l’homme qui tue » - le chasseur. Le meurtre comme sauvage origine de notre culture !
La méthode de W. Burkert démontre une éblouissante maîtrise des sources littéraires, des documents épigraphiques et archéologiques, de l’ethnologie… que le savant enrichit d’une connaissance désespérante de la pensée grecque, mais aussi des cultures orientales. En outre, ce pionnier de la transdisciplinarité n’ayant jamais été un adepte des dogmes structuralistes (« le panthéon grec ne peut pas être considéré comme un « système » harmonisé et clos »), on comprend mieux son relatif ostracisme par les tenants de systèmes abstraits, plus attentifs à la structure logique qu’aux réalités historiques.
Avec La Religion grecque à l’époque archaïque et classique, dont la première édition remonte à 1977, W. Burkert nous offre la somme sur le polythéisme hellénique de 800 à 300 avant notre ère.
Sacrifices (sanglants ou non) et offrandes, fêtes et sanctuaires, magie et divination sont présentés avec clarté. Le chapitre sur les dieux olympiens insiste sur l’importance accordée par les Grecs aux poètes Hésiode et surtout Homère pour démêler l’enchevêtrement divin : ce recours aux poètes fonda et préserva ainsi l’unité spirituelle de l’Hellade : « Était grec qui était éduqué, et toute éducation se fondait sur Homère ». Burkert définit aussi cette poésie épique comme « l’heureuse union de la liberté et de la forme, de la spontanéité et des règles ». Il étudie ensuite la place des morts, des héros et des divinités chtoniennes dans la polis grecque, le concept de sacré et les expressions de la piété. Les mystères et la tentation ascétique sont abordés avant la religion des philosophes, des Présocratiques à Aristote.
« Le » Burkert s’était imposé partout comme un classique : le voilà enfin accessible en français, traduit et actualisé de main de maître par le Québécois P. Bonnechère.
Christopher Gérard
Walter Burkert, La Religion grecque à l’époque archaïque et classique, Picard, 478 pages, 61€.
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21 novembre 2012
Polémiques entre païens et chrétiens
Spécialiste de l’Antiquité tardive, S. Ratti s’est penché sur les luttes religieuses et philosophiques du règne de l’empereur Théodose (379-395), moment clef dans l’histoire de l’empire romain, quand les chrétiens, au pouvoir, mènent aux païens une véritable guerre de religion. Dans ce recueil érudit, S. Ratti montre de manière concluante que les protagonistes – surtout les païens réduits à un prudent silence face par la police politique de Théodose, les très répressifs agentes in rebus - usent de la fiction littéraire dans d’impitoyables polémiques idéologiques et religieuses. Loin de se réduire à un banal divertissement pour lettrés coupés de leur temps, des textes tels L’Histoire Auguste ou Les Saturnales de Macrobe sont ainsi relus à travers le prisme d’allusions cryptées, qui trahissent le malaise païen, quand les tenants de la religion traditionnelle voient s’effondrer un cadre pluriséculaire et s’imposer, par la force politique, les dogmes de l’Eglise. Après le célèbre livre de Pierre de Labriolle, La Réaction païenne (1934), Ratti nous rappelle que les païens, encore majoritaires dans l’Empire, ont résisté à la mise au pas. Parmi ces résistants, se détache la singulière figure de Nicomaque Flavien Senior, haut fonctionnaire païen, qui travaille dans l’entourage de l’empereur, contre lequel il finit par prendre les armes au nom d’un patriotisme civique et religieux. Propagandiste de tendance néoplatonicienne, l’aristocrate Nicomaque Flavien Senior serait l’auteur de L’Histoire Auguste, texte longtemps considéré comme anonyme et sans doute sous-estimé par la recherche.
Christopher Gérard
Stéphane Ratti, Polémiques entre Païens et Chrétiens, Les Belles Lettres.
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