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17 janvier 2019

L'Apocalypse selon Denis Cheynet.

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Magistral premier roman, que nous offre Denis Cheynet avec    Tu crèveras comme les autres, sous la casaque noire des éditions rue Fromentin et avec une éclairante préface de Patrice Jean, auteur de la maison*, qui parle à bon droit de « grand roman sur les impasses technologiques et philosophiques du monde moderne ».

Le coup de génie réside dans l’usage quasi hypnotique de la deuxième personne du singulier, comme dans les Dix Commandements, qui donne au roman cet air incantatoire et prophétique, mais aussi de l’indicatif - mode de la réalité - futur simple. Le romancier vaticine ; il décrit ce qui adviendra : la terrifiante descente aux Enfers d’un cadre moyen de la région parisienne, et en fait de toute une civilisation, happés par l’effondrement subit du monde techno-marchand.

En quelques mois à peine, le petit-bourgeois post-moderne, insignifiant rouage d’une firme d’informatique (l’un de ces nouveaux métiers auxquels les diplodocus de mon âge ne comprennent rien), gavé de séries politiquement correctes et de week-ends cucul-la-praline, se trouve projeté dans l’univers nettement moins policé de The Road : finis l’appartement propret doté de l’écran extra-plat, le zoning industriel et sa cantine bio, le bolide de fonction et les cartes en plastique ! Place au struggle for life le plus féroce, décrit avec une minutie quasi sadique, non sans une once d’humour noir soigneusement celée (le ton macronien du Président qui, alors que tout flambe, en appelle encore, avant de prendre la fuite, à « aider tous les citoyens du monde »).

Tu crèveras comme les autres est bien un conte philosophique, en ce sens que l’auteur force son lecteur à prendre conscience de l’insondable vacuité, de l’égoïsme obscène et de la terrifiante dépendance de l’Occidental, soumis à son smarfaune, asservi par l’usure, crétinisé par d’ineptes obligations professionnelles : « Le travail t’absorbera au début de la semaine, te malaxera et te digérera pour te rejeter comme un excrément le vendredi soir ».

Au fil des pages, le lecteur passe ainsi d’une barbarie l’autre, tiède et aseptisée quand « tout va bien », fétide et glaçante quand tout se dérègle. Car tout part en fumée, et vite : firmes, magasins, approvisionnements, hôpitaux et pompiers, blocages mentaux en tout genre… puisque le ci-devant cadre finira, comme les autres, par se repaître de chair humaine. Clinique, la description de cette descente, qui est aussi une sorte de libération, est servie par un style d’une précision parfaite – pas un mot de trop. « Après avoir essayé de rivaliser avec les astres, les hommes seront désormais aveugles et trembleront de peur », « les défenseurs des droits de l’homme dépèceront des criminels afin de se nourrir de leur chair » : tel est le cruel destin de ces derniers hommes qui, malgré de pitoyables tentatives de résistance (sectes millénaristes, milices hollywoodiennes, sororités féministes, et tutti quanti), sombrent dans la guerre de tous contre chacun.

D’hommes, ils sont devenus moins que des chiens – « un instant insignifiant dans l’immensité du temps, un fragment de matière organique minuscule dans l’immensité de l’univers ».

Une apocalypse au sens premier de révélation – d’un écrivain de race comme d’une vision d’ampleur quasi cosmique.

Christopher Gérard

 

Denis Cheynet, Tu crèveras comme les autres, Editions rue Fromentin, 246 pages, 18€.

 

*Patrice Jean est l’auteur de L’Homme surnuméraire, un grand roman dont j’ai parlé naguère.

 

 

 

 

 

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26 septembre 2018

Zenith

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Un extrait de "Zenith",

le chapitre XIX de mon roman Le Prince d'Aquitaine.

 

"Avec l'âge me venait un respect de soi, tardif certes, qui commençait à compenser bien des blessures anciennes et qui, surtout, joua le rôle de garde-fou contre ma vieille fascination pour l'autodestruction, cette vérole que tu m'avais transmise.

C'est à cette époque qu je me mis à collectionner les cravates, les pochettes et les costumes, en prêt-à-porter et en seconde main, sur mesure enfin. Ayant lu dans Balzac que "la cravate est à la toilette ce que la truffe est à un dîner", je me mis à déguster ces truffes, sans complexe et avec d'autant plus de jubilation que l'époque était au débraillé. 

Vulgaire et désenchanté, le monde contemporain m'était, je le savais depuis toujours, un exil : je choisis d'en contester les dogmes par l'affirmation de ma singularité ; je décidai de résister consciemment à une mise au pas générale que ma qualité de déclassé me permettait d'analyser avec une lucidité que ne posséderont jamais les adaptés.

De fils inconsolé et ténébreux, je me fis insulaire, donc souverain.

Finies les langueurs à la noix et la culpabilité, place à l'ironie et au détachement ! Le tweed, si possible irlandais, du Donegal, me servait d'armure dans ma croisade contre le déclin."

 

A paraître le 30 août aux éditions Pierre-Guillaume de Roux

 

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24 septembre 2018

Chambolle-Musigny

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Un extrait de "Chambolle-Musigny",

le chapitre XX de mon roman Le Prince d'Aquitaine 

 

"Le vin que tu m’avais fait connaître malgré toi, je l’apprivoisai, en digne suivant de Dionysos, dont j’étudiai le mythe et les rites. Ce Dieu du vin, de la vigne et de l’extase, issu d’une mortelle, à la fois hellène et thrace, ce Dieu errant et un temps pourchassé, me fascinait. N’avait-il pas gagné les Indes ? N’était-il pas suivi de Bacchantes en délire ? N’est-il pas, encore aujourd’hui, source d’inspiration ?

Le vin qui libère et asservit, je le bois, parfois sans mesure excessive, mais toujours dans la joie, par amour de la vie plutôt que du morne plaisir, avec l’Aimée, avec les amis, sans une once de tristesse."

 

A paraître le 30 août chez Pierre-Guillaume de Roux

 

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11 septembre 2018

Un Homme dans l'Empire

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L’honneur d’un lieutenant

 

Pénaliste reconnu, auteur aux PUF de savants traités sur l’erreur et l’innocence judiciaires, Dominique Inchauspé se révèle aussi romancier de haut parage avec Un Homme dans l’Empire, élégant récit qui, sous la forme de lettres écrites par un officier à la femme qu’il a quittée, nous entraîne dans un empire imaginaire, mixte d’Imperium Romanum et de IIIème République. Comment, dès les premières pages, ne pas penser au Désert des Tartares, au Crabe Tambour ? Hautaine méditation sur la res militaris, sur l’honneur de servir au mépris des mesquines stratégies personnelles, cet envoûtant roman, anachronique à souhait, nous fait partager la vie d’un Impérial, le lieutenant Lertère Varlien. À elle seule, l’onomastique de M. Inchauspé est déjà un fascinant périple : Tamiena, Sarjagase, Silianques, Largethuse scandent ces pages inspirées.

Nous suivons donc un jeune lieutenant d’artillerie, depuis son instruction à l’Académie impériale jusqu’aux postes perdus des Provinces archaïques et du Pays verlare, sur ce limes qui subit la pression de tribus invaincues : Immuables, Kaliates et autres barbares des forêts et des steppes. Le soir, après le service, ce prétorien songe « à tous ces peuples qu’il faut contenir, à ces frontières qu’il faut fortifier, à ces immensités sur lesquelles s’étend notre règle, à ces postes perdus dans les confins hostiles où une poignée d’hommes autour de quelques enseignes, avec des armes solides, rappellent que nous fûmes promis à un destin exceptionnel, terrible et qui nous dépasse. » On pense à un proche cousin de Jünger, tout comme lui à la recherche d’un glorieux inconfort - qui n’est pas celui des tranchées, car il s’agit ici d’une guerre coloniale, atroce par définition. Faut-il tuer, torturer, ravager pour civiliser ? Quelle est la nature d’un empire ? Sa grandeur peut-elle reposer sur l’horreur, dépendre de canailles, profiter à des inconscients ? D. Inchauspé a créé là une magnifique figure de mainteneur, antimoderne en diable, qui nous accompagnera longtemps dans nos rêveries.

 

Christopher Gérard

 

Dominique Inchauspé,  Un Homme dans l’Empire, L’Age d’Homme, 242 p., 19€

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20 août 2018

L'Estacade

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Un extrait du chapitre III, L'Estacade

 

"Par quel paradoxe une ville aussi décatie qu’Ostende m’a-t-elle laissé l’un des rares beaux souvenirs de mon enfance ?

(...)

 

De ce long séjour à la côte, je garde une vision qui m’accompagne depuis toutes ces décennies. J’ai longtemps cru qu’il existait des photos de ce moment particulier, mais j’ai dû rêver, ou alors, les photos ont disparu avec le reste à la mort de Grand-Mère, lors du pillage de son appartement. Nous nous promenons, elle et moi, sur la plage qui donne sur l’estacade. Moi je gambade, le cœur dilaté comme jamais plus. Lors de ce qu’elle appelait « les commissions », elle m’a offert un avion en carton avec, pour le projeter dans les airs, une sorte de catapulte. Elle tire et moi, infatigable, je galope à perdre haleine derrière l’avion qui virevolte dans le vent de novembre pour le lui rapporter, fier comme Artaban. Tel est le tableau : Grand-Mère et moi, sur cette plage déserte d’Ostende, le sable crissant sous nos pas, les mouettes qui nous surveillent du coin de l’œil - et cette joie inouïe, unique, qu’elle semble partager. Nous parvenons à l’estacade et, bien que le soleil soit fort bas, elle accepte que nous fassions, en vitesse, la promenade jusqu’au bout, jusqu’au petit phare au pied duquel se rassemblent quelques pêcheurs. La mer, grise et froide, une toile que nous contemplons sous une fine pluie, la main dans la main. Jamais, je ne t’ai parlé de ce moment, ni à toi ni à ma mère, encore moins à Grand-Mère avec qui je l’ai vécu, ce moment qui aura été l’un de ces talismans qui aident à vivre. Ostende m’a appris que le bonheur se compose de rares instants que l’esprit peine à saisir, si vite à jamais évanouis."

 

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 En librairie le 30 août 

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