Avec Gérard Guégan (05 avril 2019)

 

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Un bolchevik amoureux ?

C’est le camarade Thierry Marignac qui, lors d’une de nos activités politico-culturelles (Duvel & chinon), m’a tendu ce court roman d’un ancien journaliste des Lettres françaises et même, horresco referens, de L’Humanité, dont j’avais lu naguère la passionnante biographie de Jean Fontenoy, l’auteur de Shangaï secret (1938), écrivain opiomane, ex-cadre du Parti communiste français, engagé volontaire en Finlande contre les Soviets, collaborateur proche de Drieu la Rochelle, qui se suicide dans les ruines de Berlin en mai 1945.

Ce Gérard Guégan semble en effet fasciné par les destins hors norme, comme celui de Drieu justement, à qui il a consacré un bref roman… un tantinet bavard (comme Drieu et son frère Malraux pouvaient l’être à l’époque). Ou comme, aujourd’hui, celui du révolutionnaire professionnel Nicolas Boukharine (1888-1938), chef de l’Internationale communiste, rédacteur en chef de la Pravda et théoricien de ce que les marxistes russes surnommaient diamat – le matérialisme dialectique. Boukharine fut le successeur désigné de Lénine avant de se rallier sans illusion à Staline jusqu’à sa prévisible élimination. Deux ans avant son procès et son exécution, en 1936 donc, Boukharine est envoyé par le Vojd, le Guide, à Paris pour y négocier l’achat aux mencheviks des archives de Marx et d’Engels. C’est ce voyage que Guégan romance avec un doigté et un sens du rythme d’une redoutable efficacité, au point que l’idée m’effleure d’un scénario de film.

Boukharine comprend très bien que Staline, ce félin, joue avec lui et tente de le piéger. S’il émigre, il trahit ; s’il rentre, ce sera comme espion ou comme saboteur… Le bolchevik parvient à faire sortir sa jeune épouse, qui est enceinte – subtile habilité du Vojd, alias le Grand Equarrisseur (lequel fait songer à l’abject tyran de Sur les falaises de marbre, d’Ernst Jünger), qui tend sous les pieds de sa proie le tapis mortel. Dans ses conversations avec Aragon (grotesque, quand il décrète que Dostoïevski « n’est pas réaliste-socialiste »), Malraux, Renoir ou Nizan, Boukharine ruse et feinte. Jusqu’à la pirouette finale, où Guégan se révèle de première force.

 

Christopher Gérard

Gérard Guégan, Nikolaï, le bolchevik amoureux, Vagabonde, 172 pages, 13.50 €.

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Écrit par Archaïon | Lien permanent | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer |