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12 février 2021

Entretien sur Maugis II

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Vous ne semblez pas très moderne, Christopher Gérard. Vous êtes en effet fidèle à des héritages et vous vous reconnaissez des maîtres. Vous ne croyez certainement pas qu'un style et une sensibilité littéraires sont de génération spontanée. Qu'est ce qui donc a fait de vous un lecteur et un écrivain ?  Quels ont été vos premiers initiateurs ?

Tout jeune encore, avant même l’adolescence, j’ai perçu, sans réfléchir, ce que Péguy décrit à la perfection dans Situation IV : « Le monde moderne avilit. Il avilit la cité ; il avilit l’homme. Il avilit l’amour ; il avilit la femme. Il avilit la race ; il avilit l’enfant. » Dès ces affreuses années 70, j’ai eu une conscience aiguë de vivre aux temps de la décadence et de l’avilissement, car la modernité, avec sa marchandisation et sa standardisation effrénées des corps, des âmes et des esprits est aussi brutale que laide. En voulez-vous une preuve irréfutable ? Regardez avec attention des photographies ou des films antérieurs à la fin des années 60. Vous y verrez des visages humains, encore nobles, même chez les gens les plus humbles, qui passeraient aujourd’hui pour des membres de l’aristocratie, tant leur maintien, le contrôle de leurs gestes, leurs vêtements, leur langage traduisent un mode d’être aux antipodes du nôtre. J’ai douloureusement pressenti que le monde allait être défiguré, peut-être pour toujours. Voilà la source, le déclic qui fondent, oui, une fidélité à des héritages multiples, posture avant tout esthétique.

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Comment donc, après aussi cruelle prise de conscience, croire encore à la fable d’un progrès moral exponentiel, à l’illusion d’une amélioration infinie des conditions de vie - à la table rase et à l’amnésie qui en seraient les conditions sine qua non de réussite ?

Très tôt, cette conscience, suraiguë je l’ai dit, de vivre une fin de cycle m’a de manière assez logique poussé à m’intéresser à nos origines, et ce avec d’autant plus de passion que, à moitié américain par ma mère, je me sentais européen de tout mon être, sur-européen, si j’ose dire. L’insécurité culturelle, je l’ai connue très jeune ; elle a joué un rôle majeur dans mon parcours.

J’ai compris par l’expérience vécue, et non dans les livres, que l’homme est avant tout un héritier, le maillon d’une chaîne pluriséculaire, le locataire d’un domaine dont il hérite et qu’il transmet, avec un mélange d’humilité et d’orgueil. Mon roman Le Prince d’Aquitaine livre quelques réflexions sur ce thème fondamental.

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Vous me demandez ce qui m’a fait lecteur et écrivain ? Le destin ! Lecteur, je l’ai été grâce à mes professeurs de l’école publique, aux livres offerts par ma grand-mère, à ces instituteurs qui nous emmenaient à la bibliothèque municipale.

Ecrivain, je le suis devenu sur le tard, à trente ans passés, le temps d’oser à mon tour prendre ma (minuscule) place aux côtés des aînés.

La première initiation ? Je peux la dater au jour près ! C’est en effet le 6 décembre 1972 qu’un livre a changé ma vie. A peine âgé de dix ans, j’ai reçu de ma grand-mère un album illustré qui, malgré déménagements & pérégrinations, ne m’a jamais quitté : Légendes de la Grèce ancienne. Le monde merveilleux des dieux, des déesses, des nymphes et des héros, aux Editions des Deux Coqs d’Or. Comment ne pas rêver, toute une vie d’homme et d’artiste, aux noms d’Ouranos  et de Gaïa, dont naquirent Océan, Chronos (le Temps, au centre de toute vie d’écrivain ?), le géant Antée (lequel donna son nom à une prestigieuse revue symboliste belge du début du XXème siècle, où l’on lisait André Gide et Rémy de Gourmont) ? Combien d’heures solitaires passées à rêver à Mnémosyne, qui de Zeus enfanta neuf filles, les Muses ? A Phaéton et au char du Soleil, à l’imprudent Icare, à cette fascinante Toison d’Or (qui parle au cœur de tous les Bourguignons), au courageux Thésée ? D’autres invoqueront Proust ou Kafka. Moi, ce sont les  dieux et les déesses, les nymphes et les héros qui, à jamais, ont peuplé mon imaginaire.

Le reste a suivi, de Stendhal à Céline, de Nerval à Léautaud, de Morand à mon cher Jacques Laurent et au regretté Michel Déon, sans oublier Hermann Hesse, tant d’autres. D’Eliade, de Borges et de Jünger, j’ai entre autres retenu que la littérature constitue une forme d’expérience du sacré.

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La défense et l'illustration du paganisme, auquel vous préférez je crois le terme polythéisme, sont l'un des cœurs battants de votre œuvre. Comment peut-on être païen ? s’interrogeait Alain de Benoist en 1982. De nombreux lecteurs d’Éléments savent sans doute répondre à cette question. Mais comment devient-on païen ?

 

Dans mon essai La Source pérenne comme dans mon premier roman Le Songe d’Empédocle, j’ai évoqué quelques pistes, quelques moments, quelques images. N’ayant guère l’âme théoricienne, je ne puis vous dire comment « on » devient païen (ou polythéiste). Evitons les généralisations hâtives.

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Païen, je l’ai toujours été – anima naturaliter pagana. Simplement, appartenant à une famille déchristianisée depuis la Révolution industrielle en réaction contre les connivences entre l’Eglise et la bourgeoisie, je n’ai pas subi le lavage de cerveau galiléen, à peine quelques cours de religion catholique où j’avais été inscrit par erreur, car dans la Belgique de 1970, le chef de famille devait choisir pour ses enfants entre les cours de religion (catholique, protestante, orthodoxe, israélite) ou de morale laïque. Grâce à cette erreur providentielle, j’ai appris des prières, en français malheureusement (d’où leur total oubli), et j’ai été sommé de prier pour le repos du Général de Gaulle – ce que j’ai fait avec émotion, ma première émotion politique. Je vous dis cela parce que la « prof de reli » utilisait un manuel dont les illustrations de type seventies m’ont illico presto vacciné contre la Bonne Nouvelle. Ces chamailleries sur les rives du Jourdain n’appartenaient pas à mon univers, celui du ciel étoilé, que j’admirais le soir à Bruxelles, celui des dunes de la Mer du Nord et de la forêt des Ardennes, où m’emmenait marcher mon père. Dès que j’ai commencé à apprendre le latin, j’ai pris ouvertement le parti de Rome – les thermes et les temples, les légions et les aqueducs, les consuls et les étendards. Aucune place pour un supplicié nazaréen, ni pour quelque prophète que ce soit.

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En revanche, la forêt et les vestiges de l’Imperium Romanum, de l’Ecosse à la Pannonie, du Limes germanique aux frontières parthes, tout l’héritage gréco-romain (les Celtes sont (re)venus plus tard dans ma conscience, pour ne plus la quitter) ont enflammé mon imagination. Mon expérience d’archéologue amateur m’a donné le goût, l’obsession même, de déchiffrer les paysages – traces de fossés ou de sépultures, vestiges de villas avec leurs tuiles et leurs tessons de céramique… La longue mémoire, je l’ai acquise à l’air libre, lors de prospections dans la pluie et le vent. Le goût de l’orage, que je salue encore et toujours, l’hommage au soleil et à la lune, la lecture des textes, la réflexion solitaire ont suivi, naturellement et sans intervention extérieure.

Comment vivez-vous votre fidélité aux Dieux, à « l'Ancienne Religion » ? Est-elle essentiellement intellectuelle ou implique-t-elle des pratiques et des rites particuliers ? Votre quotidien est-il raciné dans votre paganisme ?

 Peu de rites, je suis le contraire d’un dévot. Horreur de l’occultisme, des trucs de magie,  des « mystères des runes » & «  secrets des druides ». Méfiance profonde pour les groupes et leurs rivalités dérisoires. Aucun goût pour les trips régressifs de type néo-viking tatoué ou sorcière-qui-parle-aux-abeilles. Dégoût absolu pour l’infra-musique industrielle comme pour le kitsch fantasy.

Le paganisme est pour moi une voie sévère, à la fois poétique et spartiate, une colonne vertébrale et un souffle – le pneuma des Anciens Grecs. Pensez au Zarathoustra de Nietzsche, l’un de mes éveilleurs.

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Le salut au soleil, le sacrifice de fleurs, de fruits et d’encens sur mes autels, quelques formules, mes mantras, me suffisent… quand j’en ressens le besoin ou l’envie. Je ne suis pas l’homme des groupes, je fuis donc les rituels collectifs, dont je ne critique nullement l’utilité – je pense au patient travail de redécouverte des Baltes et des Grecs par exemple.

Il s’agit plutôt pour moi d’une poétique et d’une vue du monde, où l’acceptation stoïcienne du destin, la quête de l’harmonie dans le sens d’une conformité avec l’ordre de l’univers (que je désire comprendre et non « changer »), l’approfondissement (j’espère) de la connaissance de soi, la contemplation des beautés terrestres et célestes, la conscience du jeu éternel des Puissances prennent toute leur place. Vous aurez compris que je suis avant tout un contemplatif, davantage qu’un intellectuel, et que cette contemplation nourrit mon travail d’artiste.

 

« Depuis toujours ce polythéiste sacrifiait à Notre-Dame chez les Catholiques, à la Théotokos chez les Orthodoxes : n'était-ce pas l'avatar de la Grande Déesse qu'il honorait ainsi ? » écrivez-vous de Maugis. Voilà qui n'est pas une attitude de néopaïen sectaire. Charles Péguy affirmait en 1912 dans Notre Jeunesse :  « Le monde moderne ne s'oppose pas seulement à l'ancien régime français, il s'oppose, il se contrarie à toutes les anciennes cultures ensemble, à tous les anciens régimes ensemble, à toutes les anciennes cités ensemble, à tout ce qui est culture, à tout ce qui est cité. C'est la première fois dans l'histoire du monde que tout un monde vit et prospère contre toute culture. » Face au nihilisme moderne chrétiens et païens ne sont-ils pas sur la même ligne de front ?

L’esprit de secte, fût-elle païenne, m’est étranger, car incompatible avec le cheminement vers l’éveil et la libération des conditionnements. Il est surtout aux antipodes de la lucidité tragique ; il trahit une déplorable absence d’humour en tant qu’exemple même de faux sérieux.

Notre présent avilissement, cette chute dans la matière et cette amnésie programmée, la mutation anthropologique que nous subissons sans toujours la comprendre imposent une réaction de tous les éléments sains, quelle que soit leur sensibilité. Catholiques et orthodoxes, juifs et mahométans, athées et protestants y ont leur place. (...)

Pour constituer pareille ligne de front, il faut pouvoir compter sur ses camarades, car si l’un flanche, la ligne sera enfoncée. Pour ma part, je ne compte pas sur l’Eglise catholique, qui a la trahison et le double jeu dans ses gènes. En revanche, les églises orthodoxes et orientales me paraissent constituer des conservatoires, fût-ce à un niveau inconscient.

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Si j’étais chrétien, je me ferais d’ailleurs orthodoxe, pour la liturgie, pour la continuité, pour la figure virile du Pantokratôr à laquelle répond celle, sublime, de la Théotokos. Il faudrait croire, évidemment, et espérer – ce qui me paraît indigne d’un homme libre.

Vous avez publié en 2013 Quolibets, un journal de lectures où sont évoqués des auteurs aussi différents que Luc-Olivier d'Algange, Bruno Favrit, Michel Déon, Michel Mohrt, Gabriel Matzneff ou Guy Dupré.

Archaïon, le blog qui rassemble vos critiques littéraires, témoigne de la grande diversité de vos goûts et de vos admirations. Olivier Maulin et Thierry Marignac y cohabitent avec Dominique Venner, Jean Mabire, Jean Raspail, Jérôme Leroy ou Jean Parvulesco... Qu'est-ce qui réunit, en profondeur, ces écrivains ?

L’intérêt que je leur porte en raison de leur talent, de l’originalité de leur pensée et de la qualité de leur style. J’aime leur caractère irrégulier, réfractaire, insoumis – leur liberté.

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Archaion, mon blog depuis une quinzaine d’années, me permet, sans passer par le moindre directeur de publication, en contournant jeux de pouvoir et conflits d’ego, de publier dans l’heure notes de lecture et hommages, études et entretiens – en toute liberté. La critique littéraire est aujourd’hui moribonde, en tout cas dans la presse mainstream, où elle est tombée au niveau d’un infra-journalisme prostitutionnel, puisque y règnent copinage, conformisme et autocensure. Un ton plus haut que l’autre, et c’est la panique. Un pas de côté, et c’est la vertueuse indignation. Avec Archaion, dont les notes sont reprises ici ou là, je m’amuse, j’affûte mon regard, je salue les esprits indépendants et je bâtis, lentement mais sûrement, une sorte d’arche.

 

Votre confrère Thierry Marignac évoque votre virtuosité à combiner dans vos romans "l'immémorial" et "l'Histoire en marche." Qu'est-ce que les deux ont à se dire ?

Mon ami Thierry Marignac rejoint le cher Luc-Olivier d’Algange, qui parle, pour Maugis, de roman historial, au sens que le récit, clairement inspiré des chansons de geste, inclut l’invisible, et donc le mythe et les archétypes. Les aventures de mes héros servent de canevas pour illustrer l’évolution intérieure des personnages, la modification de leur état de conscience. J’apprécie au demeurant le roman historique quand il est parfaitement documenté, comme par exemple les thrillers de Philipp Kerr et d’Alan Furst, qui reconstituent de manière extraordinaire l’atmosphère des années 30 et 40. Ou encore Robert Harris, qui avec son uchronie Fatherland ou avec Enigma, réussit à me passionner. Je suis un fan de John le Carré, qui à mon sens mérite le Nobel. Mais quand il s’agit d’écrire mes propres livres, je ne puis résister, je dois, oui, ouvrir la porte à l’immémorial.

 

Balzac voulait, avec sa Comédie Humaine, faire "concurrence à l'état civil". Vos romans dénoncent par leur plénitude la platitude de notre époque. Quel rôle assignez-vous à votre œuvre dans le moment culturel que nous traversons ?

Un confrère et ami aujourd’hui disparu, auteur à L’Age d’Homme, Jacques d’Arribehaude, personnage haut en couleurs qui avait traversé les Pyrénées à dix-sept ans en 1943 pour rejoindre la France libre (il était d’ailleurs Compagnon de la Libération), me disait en substance : « nous devons écrire pour laisser à la postérité une preuve que nous, au moins, nous n’étions pas des crétins ». J’écris pour mon plaisir certes, mais je suis en effet conscient d’avoir un rôle dans ce tournant de civilisation : saluer les aînés comme Vladimir Volkoff, Dominique Venner ou Jean Mabire, témoigner d’une résistance opiniâtre au règne de la marchandise et du néant, illustrer une sensibilité de première fonction au sens dumézilien, transmettre une flamme aux cadets. Un livre est un signal lancé dans l’espace, un salut adressé urbi et orbi. Chaque réponse, même la plus humble, même la plus maladroite, fait bondir mon cœur.

Christopher Gérard

 

Propos recueillis en août MMXX

par Olivier François et Thibaut Cassel

pour la revue Eléments.

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20 mai 2020

Le Prince d'Aquitaine - vu par les confrères.

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Un très grand livre.

Jacques De Decker, de l'Académie royale

 

*

Si Le Prince d’Aquitaine relève de l’exorcisme, et même d’une certaine revanche posthume, c’est par le brassage de la vie et par l’exceptionnel relief de ses observations, traduites par une écriture claire et cinglante, bien accordée au défi de l’ «Inconsolé», que ce livre nous atteint et nous touche. 

Jean-Louis Kuffer

 

*

C'est la pérennité de la nature humaine à travers les aléas de l'Histoire, ainsi qu'une manière de se fortifier contre les obstacles que nous aimons chez Christopher Gérard ; à quoi il convient, pour la bonne bouche, d'ajouter l'impertinence de son attachement aux racines gréco-romaines de l'Europe, et un goût fort peu démocratique des raffinements vestimentaires !

Michel Mourlet

 

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Une grande pudeur doublée d'une lucidité désenchantée, le tout servi par un style d'une élégance rare.

Olivier Maulin

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Ce texte qui a l'impassible et admirable vibrato du vécu (...). Livre concis, écrit à la cravache, terrifiant !

Christian Dedet

 

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Une âme sensible, écorchée vive, mais simultanément courageuse, prête - pour reprendre la formule finale - à s'élancer hors de la tranchée.

Gabriel Matzneff

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Une lecture éprouvante et plaisante (plaisante puisque éprouvante), comme le sont les lectures qui comptent, lecture où l’on pénètre dans les zones de l’existence que tout écrivain digne de ce nom se doit d’arpenter : la honte, le ressentiment, la rancœur, la violence, la solitude.

Patrice Jean

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L'élégance de n'en pas trop dire, de savoir s'arrêter où il convient.

Arnaud Bordes

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Une maïeutique princière d’Aquitaine, certes, mais aussi de Danemark, selon les voies sinueuses et droites de la géographie poétique, et les moyens impériaux de la puissante brevitas ; un récit d’initiations, une renaissance cathartique - donnée pour telle - dont la petite musique, douloureuse et gaie, emporte.

Rémi Soulié

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Une valeur sûre de la rentrée. (...) Son  style pénétrant, son érudition latine, ses vestes en tweed et ce détachement quasi-aristocratique font (de C.G.) un auteur précieux car inclassable".

Thomas Morales

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Un livre nervalien où Drieu la Rochelle, celui du Feu-follet et de Récit secret, aurait trouvé sa part. Un grand livre.

François Bousquet

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Avec Le Prince d'Aquitaine, référence obligée au poème de Nerval, il livre un étonnant portrait de son père - flambeur, flambant & flambé -, et explique, au gré de souvenirs d'enfance qui restituent à la perfection ce qu'il faut déjà appeler une "fin de siècle", sa propre "difficulté d'être". L'ensemble est beau et sobre. Christopher Gérard émeut par une sincérité contenue qui ne fait pas abstraction du style. On est dans La Lettre au père de Kafka, revue et corrigée par Drieu la Rochelle. Emotion garantie.

Stéphane Barsacq

 *

Dans ce qui restera, comme une œuvre marquante, sa version de La Fêlure, Christopher Gérard — par son évocation d’un  père essentiellement absent, occupé à la dilapidation des ressources et au saccage de la filiation — nous parle de tout autre chose : l’hébétude des fils que nous étions, devant la génération la plus narcissique du monde connu, sans vergogne et sans amour. Des brumes d’Ostende, où une grand-mère lui transmet, gamin naïf et affectueux, au soleil de Capri, dans des réceptions capiteuses dont le gamin narrateur s'émerveille en dépit des querelles qui éclatent au petit bonheur des égarements du père à la dérive, Dolce Vita — actrices, ambassadeurs, vieux dignitaires mussoliniens — jusqu’aux aux aubes glaciales de Bruxelles hivernale, où le père flambeur, débauché et sans scrupules, compromet sa famille, entouré des truands, mercenaires et demi-mondaines du Bruxelles de la grande époque, Christopher Gérard dessine en effet un destin et une révolte — (...) — nous étions réfugiés politiques au pays du dandysme et de la politesse du désespoir. Cracher, seulement cracher, mais mettre tout le Niagara dans cette salivation,  disait notre cher Drieu à propos de Céline. C’était notre mission, Christopher Gérard la remplit ici avec éclat et mélancolie. Son règlement de comptes avec le père n’en est pas un, juste un compte-rendu d’amour absent. (...) 

Non, Christopher Gérard  a écrit un roman, un drame de mots construit sur la tension entre ses personnages, illuminé par les fulgurances d’un style limpide — la pureté de la langue de Christopher !… —  dans lequel, quoiqu’ayant horreur des récits d’enfance, je me reconnais.

À lire sans délai.

Thierry Marignac

 

*

A travers les confidences d’un Européen à son père, la déchéance et la renaissance de notre civilisation nous apparaissent fugitivement, comme à la lumière d’un éclair. Car le récit tout entier est une figure de style : une synecdoque, du drame familial à la tragédie d’un peuple. Le descendant, s’exprimant à la première personne, parle pour les enfants du siècle, et l’écho de sa plainte aiguë et contenue tremble comme le manifeste implacable de l’Europe éternelle contre la modernité vaincue, un père failli et pourtant omniprésent.

Les ressources du style romanesque offrent à cette poignante catilinaire un tour élégant et l’enrichissent de détails qui chacun invite à la rêverie ou à la réflexion. Le narrateur s’avère bien un émule du Desdichado de Gérard de Nerval, auquel fait référence le titre du roman. Sa traversée de l’Achéron vers la rive de Vénus et du Soleil invaincu, c’est le cheminement incertain d’Europe au-delà du siècle maudit, au-delà de ses mutilations et de ses intoxications. (...)

Le Prince d’Aquitaine plaira sans doute aux esthètes, et non moins aux hommes d’action. Puisse-t-il inspirer les lecteurs à être l’un et l’autre ! C’est le mérite que l’on peut attendre d’un roman qui célèbre une paix profonde, obtenue par un noble combat : inviter chaque Européen à affronter son destin, et renouer avec lui.

Thibaud Cassel

 

*

D’une part, instruire le procès d’une génération désenchantée, qui a manqué au devoir de transmettre à la suivante le sens d’une certaine dignité, du tragique et, plus fort encore, du bonheur à être au monde. D’autre part, poser un acte littéraire, en affirmant que la construction d’un individu reste possible quand bien même celui qui l’a lancé dans l’existence lui dénierait toute qualité.

Frédéric Saenen

 

*

**

 

Un fils s’adresse à l'ombre de son père et, ce faisant, dresse un portrait cruel d'une génération tout en évoquant avec une certaine nostalgie le monde d’avant – celui des années 50 à 70. En chemin, il retrace un triple parcours spirituel, esthétique et moral étalé sur un siècle et qui prend sa source à l’automne 1914, quand un obus allemand fracasse le destin de sa lignée.

Méditation sur la résilience et sur les blessures transgénérationnelles comme sur la faillite d’une époque, Le Prince d’Aquitaine est un roman à la veine blasonnée et secrète, qui témoigne d'un cheminement douloureux et stoïque pour... le meilleur du talent.

Réflexion sur le dandysme et sur la vision tragique de l’existence, où le lecteur croisera Drieu, Stendhal et Léautaud, Le Prince d'Aquitaine est aussi un roman initiatique, fruit de réminiscences et d’observations.

 

*

 

 Incipit 

 

 

"Toi et moi, nous sommes le fruit des épousailles du sable et de l’acier.


En septembre 1914, sous les remparts d’Anvers, une salve d’artillerie décida de notre destin à tous les deux, quand, pulvérisant la tranchée où il se terrait avec son peloton, elle fit de Fernand Elysée ***, mon grand-père, ton géniteur, le héros de la famille, le Grand Invalide.

Enterré vivant, le beau Fernand ne dut son salut qu’à la présence d’esprit d’un brancardier qui, au passage, aperçut un bras émergeant encore tiède des décombres.

Au milieu des explosions, sous la mitraille, ce brancardier prit le risque de dégager le corps écrasé de ton père, assurant ainsi à notre lignée un répit d’un siècle. Fernand se réveilla à Londres après des semaines de coma ; quant à ses camarades, oubliés, ils dorment encore dans l’argile, aux pieds de l’ancienne citadelle.


Finies les charges contre les Allemands : le jeune aspirant, si fringant dans sa vareuse, n’était plus qu’un infirme disloqué, cloué sur un lit du King Albert Hospital de Highgate, puis affaissé dans sa chaise roulante, comme sur cette photo prise à la Villa Léopold, au Cap-Ferrat en février 1917.

Un jeune guerrier foudroyé, à la bouche amère et aux traits creusés par l’épreuve. Couvert de médailles, et des plus prestigieuses, mais condamné dix ans durant à une totale immobilité, puis aux béquilles, à la pitié des femmes, aux morsures d’un dos fracassé. Un jour, Grand-Mère m’a dit qu’il était parvenu à connaître le nombre exact des fleurs du papier peint de la chambre où il se morfondait en pratiquant un peu de vannerie pour ne pas sombrer. J’imagine ton père gisant sur son lit, comptant les fleurs une par une, attendant des soins inutiles.


J’ai là sous les yeux l’album que lui offrit à Londres une amie anglaise, truffé de messages de compassion et d’espoir destinés au courageux aspirant de la salle III, tracés avec élégance à l’encre violette par ses infirmières – la princesse Henriette de Ligne ; Agnes Ryckers, de Boston ; bien d’autres dames du temps jadis, qui citaient Lamartine et Musset pour adoucir sa peine. De lire, ici et maintenant, ces noms de femmes qui, elles aussi, dorment de leur dernier sommeil, m’émeut davantage que ton trépas à toi. Absurde, n’est-ce pas, cette humidité qui me brouille le regard ?"

 

Une tragédie antique en trois générations

 

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