Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12 mars 2024

Omegatown

Omegatown.jpg

 

 

Du précédent roman de Marc Obregon, Mort au peuple, je disais avoir été agacé et séduit par la prose violente, où visible était l’influence de Dantec.  Dans ce  périple eschatologique, Obregon dépeignait, dans la France de 2039, un terroriste, victime d’une vicieuse manipulation, enfermé à vie dans une cellule de haute sécurité. Il s’agissait là de la description clinique d’un jeune conspirationniste, gavé de sous-culture numérique et révulsé par le remplacement de toute expérience sensible du monde par le simulacre global.

 

276744515.png

 

Avec Omegatown, nous restons dans la même atmosphère vénéneuse et cauchemardesque : quelques années après le Grand Champignon de 2035, une guerre nucléaire en Mer de Chine, Victor rentre à Paris après des années de prison pour son engagement comme mercenaire dans une guerre perdue d’Asie centrale. L’ancien taulard, ravagé par divers traumatismes, auxquels s’ajoute le poids d’une longue détention sous neuroleptiques, découvre un Paris métamorphosé en parc d’attractions et soumis à de redoutables intelligences artificielles : quartiers gentrifiés, fermes verticales, trottinettes solaires pour élites aussi névrosées que technolâtres, logements interconnectés où absolu est le contrôle de l’habitant (jusque dans ses victuailles), naissante épidémie de peste…

Pour se racheter, Victor a dû céder ses données mémorielles à la Direction du Renseignement, qui va l’utiliser comme agent clandestin d’une opération de surveillance, dont la cible est un ingénieur, Becker, un ténor de l’IA soupçonné d’espionnage. Pour son bien, et aussi pour le surveiller, l’État lui adjoint le Doc, une IA omnisciente qui prend la forme d’un hologramme hyper-réaliste d’Anna Karina. Nous le suivons dans ses premières investigations (Omegatown n’est qu’un premier volume) dans ce monde dystopique et cyberpunk. Le titre, Omegatown, fait explicitement référence, sur un mode parodique,  au film Alphaville, de Jean-Luc Godard, avec Anna Karina justement. Obregon place sa ville de la fin (oméga) sur notre vieille terre et non dans l’espace. La suite du roman nous apprendra si, comme dans le film, une sorte d’évasion, l’amour par exemple, est possible…  Les céliniens reconnaîtront un morceau de bravoure à la fin de ce roman souvent profus et bavard, mais diablement efficace.

 

 Christopher Gérard

 

Marc Obregon, Omegatown, Éditions du Verbe haut, 140 pages, 18€

 

Il est question de Marc Obregon dans

 

littérature,editions du verbe haut

 

 

Écrit par Archaïon dans Lectures | Lien permanent | Tags : littérature, editions du verbe haut |  Facebook | |  Imprimer |

23 février 2024

Exit Alfred Eibel

alfred-eibel-souvenirs-viennois.jpg

 

Triste nouvelle, Alfred Eibel est mort. Né à Vienne en 1932 - il se souvenait de l'Anschluss  et de l'entrée d'Adolf Hitler dans sa ville - il avait vécu en Belgique, où il avait étudié au prestigieux Collège Cardinal Mercier. L'homme était charmant, immensément cultivé et d'une merveilleuse bienveillance pour ses cadets - j'en sais quelque chose pour avoir lu quelques lignes généreuses sur certains de mes livres. Je l'avais rencontré à une signature de Radio Courtoisie : j'avais été présenté par Michel Mourlet, sésame parfait, et nous avions immédiatement noué un lien. Il avait fréquenté Ernst Jünger et Fritz Lang, Arno Breker et Leni Riefenstahl (ce qu'il disait avec un sourire délicieusement ambigu), Gregor von Rezzori. Un temps éditeur à Lausanne (il dilapida ainsi un semblant de fortune), il publia Fernando Pessoa (le premier, me dit Jérôme Leroy, qui m'apprend sa mort), Jean-Pierre Martinet, Kenneth White... 

 

ae 2.jpg

 

Critique littéraire, il écrivit dans Le Quotidien de Paris, les Nouvelles littéraires, les Lettres Françaises, le Figaro, Le Magazine littéraire,  et aussi dans Matulu, la Revue littéraire, Polar, Service littéraire

Voici ce que j'écrivais il y a deux ans à propos de ses Souvenirs viennois.

 

ae 3.jpg

 

Né en 1932 à Vienne d’un père officier tôt disparu et d’une mère austro-hongroise, Alfred Eibel est une figure attachante de la vie littéraire qui a traîné ses bottes de Bruxelles à Hollywood, de Prague à Zürich. L’homme a fréquenté bien du monde : Fritz Lang et Kenneth White, Léo Malet et Etiemble, Gregor von Rezzori et Gabriel Matzneff (qu’il a édité, avec quelques autres, dont Gérard Guégan et Pol Vandromme). Il connaît sur le bout des doigts le cinéma européen, la littérature chinoise et l’opéra autrichien. De père catholique, il a connu, après l’Anschluss, l’exil en Belgique avec son beau-père juif. Il est sans doute l’un des rares écrivains français d’aujourd’hui à avoir vu passer Hitler dans la Vienne de 1938 et à avoir entendu les stukas mitrailler les foules de l’exode en 1940. Alfred Eibel est un personnage de légende.

Voilà qu’il nous livre ses Souvenirs viennois par le truchement d’un joli ouvrage à la nostalgie ironique, car l’homme n’est jamais dupe. « En naissant à Vienne, écrit-il, j’ai vu le jour sur une zone sismique qui m’a fait penser à chaque instant à la disparition définitive du passé, à l’exemple de l’Atlantide ». C’est justement cette cité engloutie qu’il évoque par tableautins : la Vienne des années 50, qui lui sert de marchepied pour nous replonger, par fines allusions, dans celle de la Double Monarchie. Jonglant, non sans un zeste de perversité, entre kitsch et retour du refoulé, Alfred Eibel ressuscite la pension Operning, où il descendait naguère, avec ses naufragés de toutes sortes : rescapés des camps au sourire poli, émigrés revenus des Amériques et tous ces « accourus », Berlinois qui ont quitté leur ville rasée pour se faire oublier. Aux tables des grands cafés viennois, le Sacher, le Central ou le Mozart, il croise requins et margoulinsespions  (nous sommes bien dans la Vienne du Troisième Homme – der Dritte Mann), mélomanes et cinéastes. La Vienne d’Alfred Eibel se révèle une ville à l’insouciance surjouée, qui tente de refouler les horreurs d’un passé récent ; il en rend avec brio l’atmosphère ambiguë et parfois frelatée.

 

Que la terre vous soit légère, cher Alfred Eibel !

 

Christopher Gérard

 

 

Écrit par Archaïon dans Hommages | Lien permanent | Tags : eibel, littérature, cinéma |  Facebook | |  Imprimer |

21 décembre 2023

SOLSTITIUM

412787462_7057091674313545_4862501783995025557_n.jpg

OPTIMUM SOLSTITIUM TIBI OPTO

 

Joyeux solstice d'hiver

et

heureuse année MMXXIV

 

Pour rappel :

 

407831301_10224585442895814_8044649549939469779_n.jpg

 

https://nouvelle-librairie.com/boutique/a-paraitre/les-nobles-voyageurs/

Écrit par Archaïon dans Opera omnia | Lien permanent | Tags : nouvelle librairie, littérature |  Facebook | |  Imprimer |

11 septembre 2023

Sur une lecture de Barrès

Sparte.jpg

La relecture du Voyage de Sparte, de Maurice Barrès, m’inspire ces quelques lignes.

Tout jeune, Barrès, écrivain vitaliste, a voulu galvaniser la France abaissée d’après 1870 en la refondant sur la sensibilité et l’enthousiasme («  Je suis d’une race qui trouve ses dieux au plus profond des forêts ») et non sur la raison raisonnante (Kant !), en refusant la faiblesse.  

À cet égard, sa découverte de la Grèce, qu’il décrit dans Le Voyage de Sparte, est fondamentale. Ce qu’il dit de ce qu’il ressent à Athènes, lors de sa première visite à l’Acropole, permet de mieux comprendre cet homme complexe : « Qu’ai-je trouvé d’abord au milieu de cet horizon sublime et sur les rocailles de ce fameux rocher ? Quelque chose de ramassé, de farouche et de singulier, une dure perfection, sous laquelle je crus entendre des gémissements. »

Voilà qui éclaire sa vision de l’hellénisme : refus des enthousiasmes convenus du rhétoricien comme du carton-pâte romantique, exaltation d’une netteté archétypale et de la tenue des Grecs … malgré, hélas !, un zeste de sensiblerie nazaréenne (« je crus entendre des gémissements », « J'ai dans le sang un idéal différent et même ennemi. »). Pour ma part, pareille posture composite est impensable : le génie de Barrès consiste justement à exprimer cette nuance d’âme que je ne puis même imaginer.

Athènes le laisse encore à distance. S’il reconnaît les Grecs pour ses maîtres, il demeure lorrain, celte, chrétien ; la « dure perfection » lui inspire davantage d’admiration que d’émotion vraie.

À mesure de son avancée en Grèce, lorsqu’il parvient dans le Péloponnèse, et surtout à Sparte, il se libère : arrivé sur les rives du Taygète et de l’Eurotas, Barrès se souvient des héros de Lacédémone - « Léonidas ! », a-t-il envie de hurler aux quatre vents. « Un air de divine jeunesse enveloppe toujours les masses du Taygète. Sur ses neiges, je vois errer les Centaures primitifs. »

C'est ce Barrès que je préfère !

 

image_1635605_20211218_ob_960fe9_isadora-duncan-4.jpg

 

Écrit par Archaïon dans Mythes et Dieux | Lien permanent | Tags : barrès, littérature |  Facebook | |  Imprimer |

13 avril 2023

Fréquence Gracq

La-maison.jpg

 

 

Disparu en 2007, Julien Gracq nous revient par vagues successives, des Manuscrits de guerre aux Terres du Couchant, comme pour nous adresser un salut d’outre-tombe. Un étrange texte d’une quarantaine de pages sort ainsi de l’ombre, La Maison, qui ne fut, semble-t-il, jamais proposé à José Corti. Rédigé juste après la guerre, trop long pour figurer dans Liberté grande, ce texte aura probablement été rangé dans un tiroir par l’écrivain, qui s’attaquait alors à la rédaction du Rivage des Syrtes.

La Maison, dont l’éditeur nous offre aussi le manuscrit, est une nouvelle aboutie, ou plutôt un conte d’une limpidité toute gracquienne, un fragment ciselé.

Le narrateur, sans doute un professeur sous l’Occupation, y évoque le voyage régulier qu’il fait en autocar dans la province française. L’homme observe le paysage, plus en expert (serait-il géographe ?) qu’en rêveur inattentif - le regard rivé. Au milieu d’un nulle part crayeux, « une zone étroite, pareille au coup d’ongle d’un doigt mauvais au travers de campagnes banales et cossues ». Entre deux tristes futaies, une maison apparaît, que le narrateur voudra voir de près, un jour de pluie. Sa traversée du bois détrempé, aux mousses spongieuses, au milieu de cette « étendue miséreuse et maladive » prend un tour quasi mythologique, comme si l’homme pénétrait dans la gaste terre des Contes du Graal - la terre morte. Par un admirable crescendo d’une totale densité, Gracq nous guide vers cette demeure en apparence abandonnée. D’une fenêtre ouverte, une voix s’élève soudain, le chant d’une femme, une voix celtique (« je songe toujours à la langue gaélique dont le nom et le domaine géographique m’enchantent »). Récit d’un envoûtement, souvenir d’un périple initiatique, cette Maison capte nos regards, pareille à la fée qu’elle abrite peut-être.

 

Christopher Gérard

 

Julien Gracq, La Maison, Éditions  Corti, 76 pages, 15€

 

J gracq.jpg

 

 

Écrit par Archaïon dans Figures, Lectures | Lien permanent | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer |