13 février 2023
De Gaulle et l'Irlande
Il y a près de vingt-cinq ans, les éditions Artus, maison bretonne de haute tenue, me faisaient parvenir un curieux essai de l’écrivain franco-irlandais Pierre Joannon consacré au court exil irlandais du général de Gaulle après le référendum de 1969. Voici que ce livre splendide est réédité, prétexte à une relecture qui ne m’a en rien déçu. De Gaulle descendait par sa mère d’une antique lignée irlandaise, les Mac Cartan, qui, du XIIème au XVIIIème siècle batailla contre l’Anglais. Après une ultime défaite, le dernier Mac Cartan s’exila en France pour servir le Roy au sein de la glorieuse Brigade irlandaise. L’un de ses descendants servait d’ailleurs en juillet 1789, quand il proposa à Louis XVI de balayer la populace qui le conspuait, proposition déclinée par l’intéressé avec les conséquences que nous savons. Après sa dramatique démission, de Gaulle voulut se ressourcer au pays de ses ancêtres, vu comme une sorte de citadelle au large du monde moderne. Sa sympathie pour l’Irlande était ancienne ; il fut d’ailleurs le seul chef allié à ne pas critiquer, en 1945, le président De Valera pour sa politique de neutralité militaire (mais non politique, ce qui est souvent oublié). Ce dernier ne l’oublia pas. Les deux vieux proscrits, tour à tour rebelles et chefs d’état, se ressemblaient de façon hallucinante, comme des jumeaux. Une commune vision plus qu’hautaine de leur destin, une même passion pour la souveraineté nationale, une même foi les réunissaient. Pour paraphraser Malraux, tous deux appartenaient à l’histoire, et donc à la haine. De Gaulle passa quelques semaines en Irlande, dans le Connemara notamment, à ruminer sa défaite tout en relisant Chateaubriand et en rédigeant ses mémoires. Son accueil à Dublin par De Valera fut triomphal, et les Irlandais n’oublièrent jamais son toast « à l’Irlande toute entière », ce clair appel au peuple d’Irlande à s’affirmer et à rester lui-même – en gaélique, Sinn Fein. L’essai de Pierre Joannon est fluide comme un roman, passionné autant que rigoureux - un splendide exemple d’érudition sauvage.
Christopher Gérard
Pierre Joannon, L’Hiver du Connétable. Charles de Gaulle et l’Irlande, Ed. Regain de lecture, 110 pages, 18€.
Voir aussi ma précédente chronique :
http://archaion.hautetfort.com/archive/2019/03/18/avec-pierre-joannon-6137000.html
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22 novembre 2022
Olivier Maulin, écrivain sauvage
Auteur d’une dizaine de romans picaresques, Olivier Maulin est, je l’ai dit naguère, un drôle de pistolet, dont la découverte de la littérature est passée par la farce médiévale. Ses romans, pleins d’une truculente poésie, font songer aux livres d’Henri Vincenot et son style peut parfois se révéler célinien. Il y a chez lui, dans les œuvres comme dans sa manière d’être, un je-ne-sais-quoi de féodal et de déjanté qui suscite une immédiate sympathie. Maulin aime Léautaud, ce qui est toujours bon signe. Et, par-dessus le marché, il est devenu royaliste le jour où il a serré la main de Baudouin, le roi des Belges en visite officielle à Paris.
C’est dire ma joie quand j’ai reçu Le Temps des loups, son dernier roman que publie le Cherche-Midi dans sa nouvelle collection Borderline, qui allie (sous des couvertures kitsch) mauvais esprit et totale liberté de ton.
D’emblée, Maulin tape fort pour éloigner les mauvais lecteurs, les lappeurs de soupe, les perroquets qui ânonnent les catéchismes des bulletins paroissiaux de l’actuelle bien-pensance : « vieilles biques, coureuses d’expositions, fieffées salopes culturelles responsables du désastre ».
Sa chanson de geste débute lors d’un salon du livre dans un bled des Vosges, où se retrouve l’habituel gibier littéraire : écrivains hyper-subventionnés vagabondant aux frais du contribuable d’ateliers pédagogiques en résidences d’auteur (et d’autrice), romanciers alcooliques, polardeux humanitaires, pseudo-prodiges de moins de trente ans (« je suis une putain libérée, mais toujours soumise ») et, cerise sur le gâteau, Samantha Sun Lopez, illustre star américaine aux sept millions d’exemplaires vendus. C’est justement cette dinde que trois crétins hypersoniques du coin, les frères Grosdidier, veulent chloroformer et kidnapper pour toucher le gros lot. Heureusement pour nous, ils se trompent de proie et n’enlèvent que Blanche, la barmaid de la buvette. La suite dans ce désopilant roman.
L’un des écrivains de ce salon, Yvon Pottard, joue un rôle dans le déclenchement des opérations. Victime d’un commando de « féministes intersectionnelles » (sic), il prendra sa revanche en devenant l’historien officiel du royaume néo-médiéval et pagano-chrétien des Vosges qui surgira du chaos dans laquelle sombre la République, dont la devise pourrait être : « réhabiliter l’obscurantisme, revenir aux forêts hantées, aux prières collectives à la Vierge Marie et aux ballets des fées sur les landes embrumées ». Outre une sympathique société secrète de francs-bûcherons, le lecteur croisera un jeune chevelu aux mains trouées qui tente de rallier les loups à sa croisade - Jésus en personne, plutôt lucide sur son image contemporaine (« aujourd’hui, je passe pour un petit plaisantin amateur de table rase, apôtre du chaos et du déracinement qui ne sait que laver des pieds et tendre l’autre joue ») et un tantinet critique à l’égard de l’actuel pape : « grand dadais des pampas, mangeur de foin de la Patagonie, jésuite bipolaire ahuri à calotte, guanaco mitré aux dents de lapin qui vend l’Europe pour trente deniers ». Je ne résiste pas au plaisir coupable de citer cette charge contre l’abstraction : « Ce sont les morts qui nous gouvernent (…) On n’est pas des petits individus partis de rien, capables de tout. On appartient à une histoire qui nous dépasse, qui a fixé nos conduites dans ses grandes lignes sans qu’on le réalise, qui nous fait agir « naturellement » alors qu’on est pétris par les siècles ! ».
Une fois de plus, Olivier Maulin réenchante le monde avec ses chevaliers et ses loups-garous.
Christopher Gérard
Olivier Maulin, Le Temps des loups, Cherche-Midi, 322 pages, 15€
Voir aussi sur ARCHAION
ma note du 1er août 2018
http://archaion.hautetfort.com/archive/2018/08/01/avec-olivier-maulin-6070064.html
Il est question d'Olivier Maulin dans Les Nobles Voyageurs
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06 octobre 2022
Le retour de Michel Mourlet
Le nouveau livre de Michel Mourlet,
cinquième volume de ses fulminations
contre la bêtise contemporaine
Chronique à venir
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Michel Mourlet, au milieu de quelques amis (Christian Dedet, Christian Brosio, CG et Gabriel Matzneff) au Café Renard, établissement des Tuileries aujourd'hui disparu et qui fut un temps le rendez-vous des non-conformistes.
Lors d’un de nos nombreux entretiens qui ont commencé en quatre-vingt-treize, Michel Mourlet s’est un jour défini comme un homme aux curiosités multiples, adepte de l’école buissonnière, et aussi comme un écrivain secret - ceux qui fascinent une pléiade d’irréguliers.
Avec Une Vie en liberté, sans doute un de ses meilleurs essais avec Ecrivains de France et L’Ecran éblouissant, Michel Mourlet s’est amusé à baisser le masque, un tant soit peu, et à évoquer les « heureuses rencontres » d’une vie bien remplie. Auteur à vingt-cinq ans du manifeste des mac-mahoniens, phalange de cinéphiles en rupture avec la bien-pensance de l’époque (ces jeunes gens adulaient Lang, Losey, Preminger et Walsh), Michel Mourlet est aussi romancier, salué à 25 ans par Fraigneau et Morand. Et homme de théâtre, critique, spécialiste de la télévision, éditeur indépendant de livres et de revues (Matulu !), défenseur de la langue française, militant souverainiste, acteur de cinéma (dans A bout de souffle)…
Surtout, il incarne d’une manière éminemment française celui qui refuse de marcher en file indienne – pour paraphraser le poète surréaliste Achille Chavée. Il rejoint, en toute liberté, les non-conformistes de son temps (et du nôtre) : « un considérable potentiel de littérature ludique et désenchantée, grave et désinvolte »… avec, en plus, une densité issue d’un incessant questionnement philosophique sans rien d’académique et qui trouve sa source dans Parménide.
Grâce au masochisme d’un écrivain à peu près inconnu, belge comme Achille Chavée (mais peut-être inventé de toutes pièces ?), Mourlet nous livre aujourd’hui 450 pages de souvenirs subtils et de réflexions impertinentes. S’étant très jeune soustrait aux pesanteurs de la culture officielle, et en fait de la « culture » tout court, l’homme se révèle vite apte à former seul son jugement, sans tenir compte des oukases et des doxas. N’ayant pour seul vrai maître que Valéry (et Nietzsche, et La Bruyère), Michel Mourlet rue dans les brancards depuis soixante printemps. Un pionnier de certaine reconquista intellectuelle et morale, en somme. Un corsaire. Toujours avec élégance, toujours empli de reconnaissance, toujours fidèle. Ses pages si claires sur Fraigneau, dont le style l’a foudroyé, sur les peintres Mathieu et Chapelain-Midy, sur Sagan avec qui il dîne au whisky, sur Montherlant et Laudenbach, sur Vandromme et Déon, sur le cher Eibel, enchantent. Comment ne pas être séduit par un écrivain qui « préfère le murmure sacré de nos vieux chênes et le chuchotement des ruisseaux aux mornes sables du désert » ? Lisez Mourlet et goûtez ce parfum unique d’amitié.
Christopher Gérard
Michel Mourlet, Une Vie en liberté, Séguier, 450 pages, 22€
PS : Amusante coquille, page 53, où il est question du maître livre de M. Heidegger, Sun und Zeit.
PPS : Un exemple de sa redoutable lucidité : "Christopher Gérard appartient à la petite tribu des réenchanteurs dans le désert de notre modernité".
Entretien avec Michel Mourlet
Propos recueillis en 2008 par Christopher Gérard
Depuis votre premier livre, D’Exil et de mort (1963), roman salué par Paul Morand, vous n’avez cessé d’écrire. Quel genre d’écrivain êtes-vous ?
Quelqu’un, me semble-t-il, qui a des curiosités multiples, répugne à la spécialisation et n’est jamais là où on l’attend. J’ai au moins cinq catégories de lecteurs : ceux qui pensent que je suis un théoricien du cinéma ; ceux qui pensent que je suis un écrivain de fiction, accessoirement essayiste de droite ; ceux qui me prennent pour un journaliste ; ceux qui ne me connaissent que pour mes activités théâtrales, pièces et critiques ; ceux enfin pour qui je suis un militant souverainiste anti-« franglais », administrateur de Défense de la langue française. Peu de gens de chaque catégorie savent que je m’occupe d’autre chose. Ces cloisons m’amusent beaucoup. En fait je crois surtout être un écrivain secret qui a horreur des gesticulations publicitaires et se ferait du souci pour l’avenir s’il avait, dans l’immédiat, une trop large audience. Dans ce sens précis, Paul-Jean Toulet ou Vialatte demeurent pour moi des modèles.
Quels ont été vos maîtres en littérature, ceux du passé et ceux que vous avez eu la chance de côtoyer ?
J’ai envie de répondre : Ni Dieu ni maître ! Je crois n’avoir eu que d’intimes admirations. Dans le passé et le désordre, quelques noms me viennent à l’esprit : Hugo, Valéry, Nietzsche, Racine, Vigny, La Bruyère, Stendhal, Barrès… Côtoyés : Fraigneau, Montherlant. En vérité j’ai lu ou connu personnellement – et infiniment goûté – beaucoup plus d’écrivains que cela et chacun a pu déposer en moi quelque chose de lui. Mais, comme je l’avais expliqué dans Le Figaro en réponse à un questionnaire des années 60, je suis le dernier à pouvoir identifier de manière objective les lectures qui m’ont influencé. Au moins deux commentaires sur mes Chroniques de Patrice Dumby, l’un de Michel Déon, l’autre de Jean-Marie Drot, m’ont attribué Larbaud comme ancêtre. Or il se trouve que j’ai peu lu Larbaud. N’est-ce pas curieux ? Il y a quelque chose que je peux ajouter néanmoins, concernant la formation des talents : les échanges d’idées, de brouillons et de remarques sur ces premiers jets entre amis du même âge, si les jeunes gens en question sont suffisamment ouverts, peuvent être féconds. Flaubert et Bouilhet en fournissent la preuve ; de même Valéry, Gide et Pierre Louÿs. J’ai expérimenté cela avec deux camarades de lycée : le futur écrivain Jacques Serguine, le futur cinéaste et producteur Pierre Rissient.
Vous avez aussi fréquenté de grands peintres. Quelles ont été les rencontres les plus décisives ?
Je n’ai pas assez côtoyé Salvat, qui avait créé la couverture de mon premier roman à la Table Ronde (et, par la suite, offert à mon magazine Matulu une très belle illustration de notre dossier sur Déon), pour dire que mes rencontres avec lui furent décisives. Elles étaient plutôt une conséquence de notre commune amitié pour André Fraigneau et Roland Laudenbach. J’en profite pour dire que Laudenbach, à mon avis, fut le dernier grand éditeur parisien, un éditeur de la trempe des Bernard Grasset, Robert Denoël ou Gaston Gallimard, pour qui « littérature » signifiait quelque chose de plus que la commercialisation d’un produit. Fermons la parenthèse. En revanche, j’ai très bien connu Savignac, qui n’était pas un grand peintre mais un immense affichiste. Il avait un sens extraordinaire du gag visuel et m’enchantait par ses propos réactionnaires d’une savoureuse virulence, qui frappaient toujours juste. Je possède de lui plusieurs gouaches grand format, notamment les illustrations originales des premières éditions de mes Maux de la langue, ainsi que l’affiche destinée à l’Illusionniste de Sacha Guitry, qui orne la couverture d’Écrivains de France. J’ai entretenu aussi, surtout à l’époque de Matulu, des contacts assez réguliers avec Mathieu, qui m’écrivait de superbes lettres, de son écriture de « seul calligraphe occidental », comme disait Malraux. J’en ai même conservé les enveloppes, qui mériteraient d’être encadrées. Mais le peintre dont j’ai été le plus proche, c’est sans nul doute Chapelain-Midy, dont la hauteur de vue, l’exigence esthétique, la profondeur de jugement, l’élégance morale et la complète indifférence aux modes intellectuelles correspondaient tout à fait à ce que j’attendais d’un artiste. C’est lui qui a peint l’admirable scène qui illustre la couverture de ma Chanson de Maguelonne, rééditée il y a trois ans. Avec les épîtres qu’il m’a envoyées, on pourrait presque composer un traité de l’Art… A contrario, et sans vouloir choquer personne, j’ai rencontré une fois le sculpteur César à Monte-Carlo et ne me suis pas attardé : il m’est apparu comme l’« artiste contemporain » par excellence, un faiseur.
Le cinéma occupe une place importante dans votre vie comme dans votre œuvre. Vous apparaissez dans A bout de souffle et vous passez même pour le législateur d’un courant. Qu’en est-il ?
Effectivement, j’ai une très grande carrière d’acteur derrière moi : dans l’obscurité de la salle du Mac-Mahon où se déroule une scène d’À bout de souffle, j’étais un des spectateurs. J’incarne également un consommateur attablé à la terrasse d’un café dans le Signe du Lion de Rohmer, un passant dans la foule de Vu du pont, et j’ai joué deux fois mon propre rôle : dans le premier film en Cinérama, comme rapin anonyme préparant les Arts Déco à l’Académie Cola Rossi de Montparnasse, et comme auteur dramatique dans l’Ordre vert, docufiction de la jeune et combien douée Corinne Garfin ! Plus sérieusement : j’ai participe au mouvement d’agit-prop cinématographique dit « mac-mahonien », en tant que « théoricien », comme disent les auteurs de mes notices biographiques, et bien que je n’aime guère ce mot. Ainsi que je l’ai confié récemment aux Inrockuptibles et au Choc du mois, je préfère être considéré comme l’analyste passionné d’une « expérience limite » du cinéma. (…)
J’ai rencontré Otto Preminger, de qui j’ai appris la fascination cinématographique, grâce à Laura, Angel Face, le Mystérieux Dr Korvo et Sainte Jeanne. J’ai rencontré mon ennemi intime le scénariste Cesare Zavattini, à Rome, et j’ai même enregistré avec lui un long entretien qui doit dormir dans un de mes tiroirs. Il avait tout compris de la nécessité du réalisme et rien de la nécessité du choix. J’ai bavardé maintes fois avec Losey, à Londres, avant qu’il ne laissât quelque peu corrompre son esthétique brutalement rigoureuse par des enjolivures compliquées. Et Lang, bien sûr ! Dans mon prochain livre sur le cinéma, je raconterai mon dernier déjeuner avec lui. Et Tati, et Deville, et Sautet, et Astruc, et le cher Vittorio Cottafavi, que j’ai visité pour la dernière fois en 1995 à Rome où je m’étais rendu une fois de plus, pour cause de Centenaire du cinéma.
Vous venez de publier Les Maux de la langue, un impressionnant recueil de chroniques consacrées à la défense du français. Quelle en est la genèse ?
Tout est parti d’une conférence que j’ai prononcée en 1981 devant un parterre d’officiers de l’École supérieure de guerre qui planchaient sur le concept de « défense globale », celle-ci devant selon moi inclure la défense de notre principal instrument de communication, de notre plus visible repère d’identité et de son trésor patrimonial. À partir de là, je me suis rendu compte que la plupart des gens étaient inconscients des enjeux géopolitiques – et même simplement personnels – du langage, et qu’ils articulaient leur idiome à peu près comme un animal aboie, rugit ou hurle ; ce qui ouvre les vannes d’un darwinisme linguistique où le plus fort en muscles et en gueule fait la loi. La question aujourd’hui se résume à ceci : puisque N millions de producteurs de Coca-Cola font ensemble plus de bruit que les autres, doit-on pour autant embaumer Molière dans un sarcophage comme Plaute et Aristophane ? Si l’on ajoute à cette question la constatation qu’en France même, N millions d’irresponsables et d’illettrés (je pèse mes mots et use de litote) s’en fichent et même parfois s’en félicitent, n’y a-t-il pas de quoi foncer dans le tas, lance en avant ? Ce fut mon cas, à partir du Discours de la langue, dont même le Président Mitterrand, fin lettré et grand amateur de Chardonne, tint à me remercier.
(…)
Clichy, octobre 2008.
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On dit du mal de Michel Mourlet dans
Les Nobles Voyageurs
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19 mai 2022
Fils de prolétaire
Grâces en soient rendues à l’attachée de presse des éditions Arléa, qui, sans que je l’aie demandé, m’adresse Fils de prolétaire, joli petit volume dû à la plume d’un certain Philippe Herbet, un compatriote qui serait photographe et vaguement explorateur (Caucase, Brésil,…).
Je l’ai lu d’une traite tant le ton en est juste : pas une fausse note, l’émotion retenue avec un tact exemplaire, la densité d’un récit simple, le sens de l’image – l’auteur est photographe, et désormais authentique écrivain !
Né à Constantinople ( ?) en 1964, Philippe Herbet a grandi à Seraing, dans la banlieue de Liège, à l’ombre des usines sidérurgiques. Depuis vingt-cinq ans, il parcourt le monde, notamment le Caucase et la Biélorussie, peut-être à la recherche de lointaines origines slaves ; il expose ses photographies dans des galeries et se passionne pour la dromomanie. Un curieux pistolet, en somme.
Fils de prolétaire est une sorte de retour sur une enfance dans le monde d’avant, celui des petites gens - le père, mécano à l’usine sidérurgique et la mère, femme d’ouvrage. Qui dit Seraing, usine, pense immédiatement misérabilisme et sordide complaisance comme chez les frères Dardenne. Rien de tel chez Herbet, qui, en véritable aristocrate de cœur, se refuse au pathos.
D’une plume aiguisée, il décrit - ou invente, peu importe - un père qui fait partie des vaincus, timide et solitaire, dénué de la moindre surface sociale, effacé – un brave homme « humble et subalterne ». La mère, un tantinet plus rebelle, habillée de blanc, plus tourmentée. Et le fils, malingre et maladroit, « né avec l’œil gauche fermé », et donc futur photographe. Et ces grands-parents, taiseux et pudiques.
Nous sommes dans le monde évanoui d’avant la consommation de masse où un verre de rosé d’Anjou représente le comble du luxe, où l’on n’a pas de salle de bain (le père se douche à l’usine), où l’on ne part jamais en vacances et où les vêtements sont rapiécés jusqu’à la corde. Je le répète : on aurait pu craindre banalités & chromos prolétariens.
Eh bien non, pas une once de sensiblerie dans ce bouleversant récit, d’une totale maîtrise.
Christopher Gérard
Philippe Herbet, Fils de prolétaire, Arléa, 80 pages, 15€
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10 mars 2022
Ainsi parlait Maeterlinck
« Taciturne, mais faisant métier d’écrire. Flamand, écrivant en français. Homme de science et poète. Fuyant le théâtre, auteur dramatique. Goûtant peu la musique, lui devant une grande partie de sa gloire. Aimé par Paris, n’y vivant guère. Accueilli royalement aux États-Unis, ne s’y plaisant pas. Célébré en Belgique ; dès l’âge mûr n’y mettant plus les pieds. S’évanouissant comme une jeune fille, boxant avec Carpentier. Mystique, moquant les mystiques. Penseur, doutant de la pensée. Cherchant la science, rejeté par elle. Aimant les pauvres, ayant des palais. Tel est cet homme, qui craint la mort dès l’enfance, qui ne fait que parler d’elle, et qui passe quatre-vingt-sept années à l’attendre. »
Tel fut, si l’on en croit deux de ses confrères*, Maurice Maeterlinck (1862-1949), incarnation du Symbolisme, poète, dramaturge et essayiste - « un cosmonaute », dixit Jean Cocteau.
Il y a de l’homme baroque dans l’unique Prix Nobel de littérature que la Belgique ait eu, et dont les pièces sont encore jouées un peu partout dans le monde. Les éditions Arfuyen, dans leur élégante collection Ainsi parlait (Yeats, Leopardi, Bernanos, tant d’autres), ont eu la bonne idée de confier la mission de mieux faire connaître Maeterlinck au poète, éditeur et médecin Yves Namur.
Le résultat ? Quatre cent quarante-sept Dits & maximes tirés d’environ cinq mille pages de lecture attentive, quasi « bénédictine », et qui retracent le portrait d’un homme en qui coïncidaient les contraires. Maeterlinck se révèle très belge en ce sens que ce Gantois exprime en français - et quel français, d’une belle fermeté - un ancrage germanique, inspiré par Novalis et Ruysbroeck l’Admirable, qu’il traduisit. Jeune poète salué par Octave Mirbeau, il connut un succès phénoménal, surtout grâce à L’Oiseau bleu, pièce créée par Stanislavski à Moscou, à Pelléas et Mélisande, mis en musique par le génial Debussy (mais aussi par Fauré ou Sibelius).
Ce qui frappe à la lecture de ces Dits & maximes, c’est la fermeté de la langue et son extrême densité : « Je désire le Verbe, nu comme l’âme après la mort, pour dire l’Énigme dénuée de substance et de lumière dans sa splendeur intérieure. »
Novateur sur le plan esthétique et même précurseur de surréalisme (la brutalité en moins et la subtilité en plus), l’auteur se révèle quelque peu antimoderne : vitaliste, tenant d’une vision du monde intrinsèquement organique, tournant le dos au naturalisme, attiré par les Mystères, proche de l’hindouisme - une sorte d’animiste, attentif, tel un Grec de haute époque, à l’intelligence des fleurs et à la vie des abeilles. L’intuition, chez lui, précède le savoir pour le fonder. N’a-t-il pas fasciné Gracq et Rilke, Artaud et Pessoa, ce voyant qui plaignait « l’homme qui n’a pas de ténèbres en lui » ? L’obsession du silence (« la parole est du temps, le silence de l’éternité »), la passion du mystère (« Vivre à l’affût de son dieu, car Dieu se cache, mais ses ruses, une fois qu’on les a reconnues, semblent si souriantes et si simples ») caractérisent Maeterlinck, pour qui notre âme ne serait qu’une « chambre de Barbe-Bleue à ne pas ouvrir ». Un géant, qu’Yves Namur, dans une présentation aussi fine qu’érudite, offre à notre attention.
Christopher Gérard
Ainsi parlait Maeterlinck, Dits et maximes de vie choisis et présentés par Yves Namur, Arfuyen, 14€
*Le très-savant Paul Gorceix et Roger Bodart, tous deux membres de l’Académie royale.
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