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16 juillet 2012

Avec Anne Richter

D’Anne Richter, qui a publié son premier livre à quinze ans, Vladimir Dimitrijevic, le directeur des éditions L’Age d’Homme, disait justement : « Vous habitez tout ce que vous écrivez ». Outre des essais littéraires sur Simenon et Milosz, des anthologies et des essais sur le fantastique féminin, Anne Richter a aussi publié des recueils de nouvelles, comme L’Ange hurleur, Le Chat Lucian, et, le dernier en date, La Promenade du Grand Canal, textes élaborés avec soin et dont le point commun semble bien « une adhésion au mystère qu’il faut essayer de décrypter sans le déflorer ».

La Promenade du Grand Canal se compose de neuf nouvelles, ancrées dans le rassurant quotidien de Bruxelles, et qui se rattachent au genre du réalisme fantastique. Nulle rencontre avec des créatures d’outre-monde comme chez Lovecraft, mais la lente découverte de la réalité extérieure qui reflète l’univers intime des personnages.

Un redoutable agresseur symbolise le profond malaise d’une femme qui peine à trouver son équilibre : c’est une peur de papier qui la poursuit. Dans la première nouvelle « Le feu rouge et les lunettes », la vue atrophiée de Frédéric Salmon (!) révèle la part animale enfouie en chacun de nous. Le regard de chair déficient aiguiserait-il le regard intérieur qui débusque chez l’être humain l’animal-totem qui l’habite ? La rencontre de Frédéric avec la femme-biche, la trouble ambiguïté de leurs relations, développent avec délicatesse un thème naguère traité dans La Truie par Thomas Owen, le maître du fantastique belge.

Dans les textes d’A. Richter, écrivain panthéiste, s’établit un dialogue entre l’âme individuelle et le cosmos : une femme qui rédige un livre sur son enfance est, dans la réalité, confrontée à cette époque par l’intermédiaire d’une étrange fillette. Fine lettrée, l’auteur pratique l’art de la mise en abîme: les affres du couple Mary Godwin, l’un de ses auteurs de prédilection, et de Percy Shelley font office de lointain miroir pour les déceptions amoureuses du narrateur. La peinture, dont elle a révélé ailleurs la magie insoupçonnée, joue également le rôle de fil d’Ariane entre les générations, entre un passé qui refuse d’être oublié et un présent à construire. Un portrait qui retrouve sa place dans une chambre contribue à rétablir l’harmonie dans la vie de la propriétaire des lieux.

Des chemins s’entrecroisent au gré d’un destin qui tisse entre les êtres des liens subtils, parfois facétieux : qui est réellement la femme nimbée de lumière qui attend le sombre Benoît ? Quel amant éveillera-t-il à la plénitude la pétillante Barbara : le trop lisse Dustin ou Thibaut le mélomane, drapé dans ses mensonges ? Margot qui collectionne avec ferveur – délicieuse trouvaille poétique – les « instants subtils », ceux qui ont l’odeur et la couleur des souvenirs d’autrui, trouvera la sérénité dans son propre instant présent, celui chanté par le sage Horace. L’accomplissement des destinées passe par des chemins étranges sur lesquels nous entraîne la langue fluide et raffinée de l’auteur. Si le vocabulaire, particulier à chaque nouvelle, lui confère son atmosphère unique, l’ensemble forme un chatoyant caléidoscope qui invite le lecteur à explorer les mille facettes du monde qui l’entoure.

 

Christopher Gérard

 

Anne Richter, La Promenade du Grand Canal, L’Age d’Homme, 110 pages, 15 €

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