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17 juin 2014

Un maître du Witz : Bernard du Boucheron

littérature, uchronie

 

Enarque, ancien haut responsable dans l’industrie aéronautique, Bernard du Boucheron a décroché à 76 ans le Grand Prix du roman de l’Académie française avec Court Serpent, son premier roman - style au couteau et cruel raffinement. Six romans tout aussi pessimistes, publiés chez Gallimard, ont confirmé qu’il s’agissait d’un écrivain de haut parage et à rebours des modes. Voilà que, pour son huitième roman, il change d’éditeurtant il semble que Le Cauchemar de Winston ait effarouché la grande maison. Il est vrai que, dans le genre - difficile - de l’utopie mal-pensante, Boucheron atteint un sommet.

Mai 1941, Hitler, alias le Conducteur, échappant aux manœuvres de son médecin (zigouillé par la police secrète), retrouve un semblant de lucidité et annule l’opération Barbarossa. C’est le Grand Tournant, quand Ribbentrop et Molotov se partagent le continent (hilarant dialogue entre les deux prédateurs) dans le cadre d’une paix « perpétuelle ». Londres feint de reconnaître la prédominance allemande sur l’Europe en attendant son heure. Quant aux foules grisâtres de France, prises d’une frénésie de dénonciations, elles subissent bon gré mal gré la férule du Maréchal dans un fumet d’ail et de pieds mal lavés, faute de savon : « ce peuple indomptable qui a toujours accepté la servitude si même il ne recherchait pas, ce peuple artiste qui chante faux et a voué un culte à la laideur, cette nation généreuse que ne vit que pour son bas de laine, ces universalistes qui ignorent tout du monde, ces amateurs de grandeur pour qui le mot « petit » est un suprême éloge ». Au nom du Parti, Aragon chante le génie de Staline et d’Hitler, pendant que ses camarades passent en masse au service de la Grande Allemagne, « tant est grand le prestige de la tyrannie dans la patrie de la liberté où l’aplatissement va de pair avec l’insurrection ». Vichy s’installe à Versailles et Laval se suicide ( ?) pour céder la place à l’Ambigu, un avocat pourri d’ambition, ancien élève des Maristes - le genre à se faire limer les canines pour offrir un sourire plus enjôleur.  Boucheron se surpasse dans la description de cet ambitieux qui « collabore sans ardeur et résiste sans conflits ». Avec Speer, l’Ambigu, que ses affidés surnomment Tonton, va négocier la Paix de Pantin, qui fait de la France, où renaissent des cultes naturistes, un modèle de décroissance. En 1951, rose à la main, l’Ambigu accueille la dépouille du Maréchal au Panthéon. Le même reçoit le Conducteur à Paris, sur la tombe du Soldat inconnu. Débarrassé d’une SS décidément encombrante, le Conducteur, dont Boucheron imagine une interview délirante avec un journaliste étrusque (en fait : albanais), prépare son triomphe dans une débauche de grands travaux tandis que la perfide Albion concocte sa terrible revanche. Du grand œuvre, qui laisse pantois.

 

Christopher Gérard

 

Bernard du Boucheron, Le Cauchemar de Winston, Editions du Rocher, 190 pages, 17€

 

PS: B. du Boucheron est l'un des 122 auteurs présentés dans mon Journal de lectures 

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Écrit par Archaïon dans Lectures | Lien permanent | Tags : littérature, uchronie |  Facebook | |  Imprimer |

24 avril 2014

Lazaret

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Auteur d’un Manuel de résistance à l’art contemporain, des Carnets d’un obsédé et d’une trentaine d’autres romans et pamphlets, Alain Paucard (XIVème arrondissement) est aussi le président à vie du Club des Ronchons, dont firent partie Pierre Gripari et Jean Dutourd. Ce chantre du Paris populaire et des filles de joie, cet admirateur de Guitry et d’Audiard s’était amusé naguère à composer une sorte d’uchronie, que réédite L’Age d’Homme  - louée soit Son infinie sagesse.

Sous les oripeaux de la série B transparaît le conte philosophique, pas vraiment rousseauiste, même si, dans une autre vie, l’auteur fut proche du Komintern (ou quelque chose d’approchant). Dans un Paris à peine futuriste où règne un strict apartheid spatial, le quartier de la Défense, qui symbolise l’enfer sur terre (Le Corbusier et consorts étant considérés par l’auteur comme des criminels de béton) est devenu une sorte de ghetto – le lazaret – réservé non aux lépreux mais aux héroïnomanes, parqués manu militari et livrés au pouvoir de kapos sans scrupules. Trois castes y coexistent ( ?) : les maîtres, qui contrôlent la poudre obligeamment fournie par le Ministère de la Santé ; les esclaves, qui travaillent et les larves, qui meurent. Le lecteur y suit à la trace trois nouveaux-venus, raflés par la police et transportés dans cette jungle urbaine où règne la force brute. C’est peu dire que Paucard jubile quand il décrit, dans une langue ferme et emplie d’un tranquille cynisme, les atroces jeux de pouvoir qui se déroulent dans ce lazaret. Pourtant, le destin veille et l’horrible pyramide vacille. Unhappy end garantie. Sacré Paucard !

 

Christopher Gérard

 

Alain Paucard, Lazaret, L’Age d’Homme, 15€.