28 janvier 2014
Vogelsang ou la mélancolie du vampire : la beauté, l'amour et la mort.
Un prédateur lettré
Pour aborder la littérature fantastique, Christopher Gérard a choisi la difficulté. Il a jeté son dévolu sur un personnage classique, tellement exploité par les auteurs les plus divers que cette créature est devenue pour le lecteur une sorte de monstre familier. Comment, avec un tel sujet, échapper aux poncifs et aux lieux communs ? Notre romancier par ailleurs brillant va-t-il nous faire regretter son audace ou son inconscience ? « Vogelsang est un conte d’amour et de mort », m’écrit Christopher Gérard, dans sa dédicace (1). Mais encore ? Vogelsang, est-ce le souvenir du château du même nom, situé au Nord d’Hasselt, en Belgique, un manoir perdu au milieu d’un bois ? Ou serait-ce le chant des oiseaux ? Vogel et Sang : traduits du néerlandais ? Quoi qu’il en soit, on s’aperçoit vite que Christopher Gérard a réussi une gageure, que son roman requiert une attention spéciale, car il est tissé d’un réseau de liens secrets, de références littéraires singulières, en sorte que le lecteur va de surprise en surprise, il passe d’un étonnement à l’autre.
Au départ, l’idée de Christopher Gérard est aussi simple qu’astucieuse : dès le début de son histoire, il dédramatise la littérature vampirique en l’actualisant à l’extrême. De la sorte, il parvient à renouveler un genre littéraire usé jusqu’à la corde . Laissant courir à sa guise une imagination subversive, l’auteur poursuit avec ironie et élégance un récit ludique qui se déploie dans un décor étonnant : Le modernisme high tech de la résidence du vampire fait en effet penser davantage aux hôtels de luxe de James Bond plutôt qu’au sombre repaire montagnard, choisi par Bram Stoker pour son Dracula. Ceci dit, les lecteurs pressés, avides de sensations fortes, seront servis : tous les ingrédients de l’histoire traditionnelle de vampire sont conservés ; il y a en abondance, du sang, de la violence et des crimes. Mais les lecteurs plus subtils n’en resteront pas là, car ce roman possède un double fond, ou pour prendre une image plus concrète, c’est un roman à tiroirs. Sous le récit d’horreur, on trouve un roman historique. Christopher Gérard a le goût du panache, des grandes fresques épiques, des personnages, des lieux, des événements prestigieux : on apprend donc que Laszlo Vogelsang a 240 ans, qu’il a connu Le Paris de Louis-Philippe, La Vienne impériale, Moscou, à l’époque des Tsars… Comme tous les êtres de sa race, ce vampire est en effet soumis à de longues périodes de dormition, il possède d’innombrables souvenirs, il est sujet à d’irrépressibles et profondes nostalgies, notamment celle de la culture raffinée qu’il a connue autrefois à Paris, à Vienne, à Moscou, une culture qui a sombré dans l’oubli le plus profond, en ce Bruxelles du vingt et unième siècle où il est forcé, bon gré mal gré, de vivre et de poursuivre sa carrière de prédateur lettré.
La mélancolie et la musique
Ces nostalgies de Vogelsang nous amènent à découvrir le contenu du second tiroir du livre où se cache le récit le plus précieux, celui, à vrai dire, que je préfère, car j’ai longtemps fréquenté la littérature romantique allemande. Or, on ne peut s’y méprendre, le souffle lyrique et dramatique qui soulève la seconde partie de ce roman est bien celui du romantisme allemand, ce grand tumulte du Sturm und Drang, cette tempête poétique qui donna naissance à un des plus splendides mouvements littéraires qu’ait connu l’Europe. Christopher Gérard, en romancier prévenant, a parsemé son histoire d’indices révélateurs, pour que le lecteur attentif reconnaisse la route dangereuse qu’il va lui faire prendre. Dans cette seconde partie du roman, plus question d’ironie et de divertissement. Le ton change, se fait plus confidentiel, plus intime, parsemé de citations littéraires très révélatrices.
L’auteur poursuit la quête intérieure de son héros. Et c’est ici que se déploient la musique et la mélancolie, deux thèmes omniprésents dans Vogelsang : ils sont aussi les sources mêmes du romantisme, mais encore une fois, il faut saisir le sens profond que l’auteur donne aux mots . En parlant de mélancolie, il ne décrit pas cette dépression ordinaire dont souffrent tant de nos contemporains, victimes consentantes d’une société de consommation effrénée, mais bien cette vague de tristesse étrange que Goethe appela la « maladie noire de l’âme », ce dégoût de vivre qui s’empara, en Europe et outre-Atlantique, de tout le XIXe siècle littéraire, et qui se confondit avec une quête existentielle : tant de génies connurent ce soleil noir de l’esprit. En Allemagne, Goethe, Novalis, Brentano, Hoffmann, Eichendorff…En France, Chateaubriand et Baudelaire, Lamartine et Musset, Rousseau et Nerval, pour ne citer que ceux-là. A la même époque, en Amérique, Poe écrivait : « La mélancolie est le plus légitime de tous les tons poétiques ».
Oui,Vogelsang appartient bien à cette famille-là : et pour mieux nous en convaincre, Christopher a fait de lui un mélomane, la musique étant l’autre thème qui habite tout le romantisme, surtout le romantisme allemand qui fit du roman musical son apothéose : je pense notamment à l’œuvre d’un des plus grands, Hoffmann qui fut compositeur et chef d’orchestre à Bamberg. Replacé dans ce contexte familier, le livre de Christopher Gérard apparaît, lui aussi, comme un de ces romans musicaux, la musique révélant le sens occulte de cette histoire à double fond, dévoilant au lecteur les aspirations secrètes et l’identité cachée de ce vampire extraordinaire. Car Laszlo le délicat aime Bach et Scarlatti par-dessus tout, il les chante pour lui à ses moments perdus, il les joue au piano presque tous les soirs , dans la solitude de sa demeure, le piano l’aidant, « à voguer sur les flots du temps qui tout dévore… »
Et c’est ainsi qu’opère le pouvoir cathartique de l’art, cette musique merveilleuse donnant à une aventure aux débuts sanglants une dimension poétique et intemporelle. Laszlo est littéralement transformé par le piano « qui lui fait découvrir l’humanité ». Il arrive un moment où le docteur Vogelsang n’a plus soif de sang mais bien de compassion et de tendresse. On apprend, in fine, qu’il est passionnément épris d’une femme et qu’il est en outre fils d’un homme, d’où sa sensibilité esthétique, sa vulnérabilité et sa mystérieuse nostalgie. Si nous relisons dans cet esprit le livre, nous découvrons, dès les premières pages, l’amorce du thème musical. Comment débute en effet cette première partie sanglante du récit ? De façon très inattendue, par l’évocation du chant des oiseaux.
Désirer, déchirer
La musique qui s’inscrit d’abord légèrement dans le début de la narration va se développer peu à peu, s’amplifier à travers le roman, pour finalement occuper la place centrale, mais entre ces intermèdes mélodieux, Vogelsang rode dans la nuit, cherchant ses terrains de chasse dans les endroits les plus glauques de la bonne ville de Bruxelles : un ancien bar à filles de la rue du Pépin, à la Porte de Namur, les alentours de la Barrière de Saint-Gilles, la route d’Anvers ou les environs de la Gare du Midi…Dans cette histoire pleine de bruit, de fureur et d’accents célestes, les extrêmes se rejoignent : la violence et la barbarie le disputent à une tendresse rêveuse et comme désincarnée. La férocité la plus sordide côtoie constamment le sublime, dans une proximité étonnante qu’on retrouve dans l’oeuvre d’un grand romantique allemand auquel Christopher Gérard fait plusieurs fois référence. C’est Heinrich von Kleist. Or, toute l’œuvre de Kleist, comme Vogelsang, est placée sous le signe d’une mystérieuse complicité entre la beauté, l’amour et la mort. Les références faites à Kleist dans le livre de Christopher Gérard, sont des clés qui éclairent le sens véritable du drame. Ainsi, la femme aimée par le vampire s’appelle Penthésilée ; dans le drame éponyme de Kleist, Penthésilée est l’héroïne, une guerrière foudroyée par l’amour, c’est la Reine des Amazones, et pour insister sur ces ressemblances, la Penthésilée de Christopher cite elle-même un extrait du drame de Kleist, une réflexion cruelle et lucide:« Désirer…Déchirer » dit-elle. « Cela rime. Qui aime d’amour songe à l’un et fait l’autre. » Terrible logique de la passion. Autrement et moins bien dit : qui aime blesse et même tue sans le vouloir.
J’ouvre ici une parenthèse, en rappelant que la réalité a rejoint la fiction, dans la vie et l’œuvre de Kleist : comme pour signer son œuvre de son propre sang, l’écrivain s’est donné la mort, en compagnie de sa fiancée, sur les bords du lac Wannsee, à Berlin. On trouve des traces de ce comportement suicidaire chez Vogelsang dont les tristes amours finissent dans un bain de sang mais pour terminer en beauté, je voudrais citer, en écho à cette réflexion de Kleist, un passage du discours de Phèdre, dans Le Banquet de Platon. Pourquoi Platon et pourquoi Phèdre ? C’est que durant une nuit d’insomnie, Vogelsang, alias Christopher Gérard, lit Le Banquet de Platon et voici les commentaires du romancier : je crois qu’avec ces paroles-là, nous atteignons le cœur de son livre et même le cœur de la problématique humaine.
« De la dague à poignée d’argent que m’offrit jadis un prince au visage oublié, je coupe les pages jaunies, toutes craquelées, pour me plonger dans ce texte que j’entends encore me lire la voix mélodieuse de ma mère : Eros, une grande et merveilleuse divinité pour les hommes comme pour les Dieux », déclare Phèdre dans son discours. Et pour nous, Seigneurs, qui n’appartenons ni à l’une ni à l’autre de ces races ? Nous qui tenons les hommes pour nos inférieurs, qui nous interdisons de les fréquenter – sans doute parce qu’ils nous ressemblent trop - et qui vivons cachés parmi eux comme d’insatiables sangsues ?
Phèdre poursuit : Mourir pour autrui, ceux-là seuls le veulent, qui aiment. Cette phrase prononcée il y a vingt-cinq siècles me serre le cœur. Nous qui ne quittons nos repaires que pour semer la mort funeste, éprouvons-nous quelque chose qui ressemble à l’enlaçant amour ? Aimons-nous ? Pour qui accepterions-nous de mourir ? »
Ainsi se termine Vogelsang ou la nostalgie du vampire, cette œuvre singulière qui commence comme un divertissement élégant et se termine en roman initiatique, dans la tradition du héros ténébreux à la recherche de lui-même.
Ainsi va Christopher Gérard, de Bram Stoker à Platon.
Anne RICHTER
(1) Christopher Gérard, Vogelsang ou la mélancolie du vampire, collection La Petite Belgique, L’Age d’Homme, Lausanne 2012
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27 janvier 2014
Le retour de Camille Lemonnier
Tour à tour qualifié par ses jeunes confrères de Maréchal des Lettres et de « macaque flamboyant », le très prolifique Camille Lemonnier (1844-1913) se morfond depuis son trépas, juste avant le grand cataclysme, dans un purgatoire immérité. Celui que Flaubert, Huysmans et Zola saluèrent comme un maître passe encore pour un épigone. Paie-t-il, lui qui fut le premier écrivain belge à vivre de sa plume, une fécondité - plus de septante volumes de contes, de romans et d’essais - qui, dans une contrée étriquée, évoque l’ogre plutôt que le sacristain ? Est-il victime, l’auteur du scandaleux Un Mâle, de la cabale des spécialistes, ce colosse qui incarna successivement - quelle audace ! - le naturalisme le plus brut, l’exquise décadence et le primitivisme ? Sa sensualité sans fards, qui lui valut l’ire des puritains de son temps (au pouvoir avec le Parti catholique), a-t-elle laissé des traces dans l’inconscient belge ? Son style baroquisant, ce fameux belgimatias que dénonçait Jean Lorrain, son goût de l’excès agacent-ils nos délicats palais ? Mystère. Le fait est là : il existe un gisement Lemonnier, hélas ! ignoré du public lettré.
Deux livres remarquables de probité fêtent le centenaire de sa mort et annoncent peut-être son retour. Tout d’abord l’imposante biographie, d’une précision maniaque, que lui consacre le romaniste Philippe Roy après vingt ans de recherches - un travail de bénédictin. L’auteur, qui a dépouillé des tonnes d’archives souvent inédites, y suit pas à pas Camille Lemonnier, depuis ses premiers articles dans la presse bruxelloise jusqu’à sa production parisienne. Il étudie par le menu ses relations avec les artistes de son temps, qui fut aussi l’âge d’argent des Lettres belges, quand Bruxelles constituait en Europe un pôle de création dans tous les domaines. Car Lemonnier a connu tout le monde, de Victor Hugo (qui était à ses yeux un mixte de Pan, de Jéhovah et de Bouddha) à Emile Verhaeren.
Ensuite un recueil de 124 nouvelles (sur les 558 recensées), généralement publiées dans la presse parisienne et dont l’action se déroule à Paris, dans les Ardennes et les Flandres. Ces courtes fictions, très variées, où Lemonnier fait preuve d’un sens aigu de l’observation et d’une belle fantaisie, font songer à un Maupassant belge. Voilà peut-être la formule à retenir : Lemonnier ou le Maupassant belge.
Christopher Gérard
Philippe Roy, Camille Lemonnier, maréchal des lettres, préface de Jean de palacio, Académie royale, 370 p., 22€
Camille Lemonnier, La Minute du bonheur, textes réunis par Jacques Detemerman et Gilbert Stevens, préface d’André Guyaux, Académie royale, 430 p., 22€
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25 janvier 2014
Friedrich Glauser : mystère et clarté
Singulière figure que celle de Friedrich Glauser (1896-1938), écrivain suisse allemand parfaitement francophone qui passe sa courte vie à errer dans l’Europe de l’Interbellum. Né à Vienne, il perd tout de suite sa mère ; il fréquente les collèges chic et l’Université de Zurich, où il participe au mouvement dada. Très tôt, les démons du chaos lui dictent la marche à suivre : conflits avec l’autorité, vols, toxicomanie (morphine, opium). Il fait l’expérience de l’enfermement, psychiatrique pour « démence précoce », judiciaire pour des larcins. En 1922, Glauser signe pour cinq ans à la Légion, mais au bout de deux ans, le voilà réformé et casserolier dans un grand hôtel parisien. Puis mineur de fond à Charleroi. Malaria, alcool, taule à nouveau, psychanalyse, amours : tout est convulsif et tourmenté chez lui, y compris sa fin, rocambolesque : à la suite d’une fracture du crâne, il tombe dans le coma la veille de son mariage pour mourir le surlendemain. Un météore. Ses errances n’empêchent pas Glauser de noircir du papier pour des revues littéraires suisses, et même de composer des romans policiers. Grâce au travail aussi fervent que soigné de son traducteur, Claude Haenggli, cet étrange personnage nous revient du monde des morts avec un recueil de quinze nouvelles au style épuré, d’une surprenante sobriété. Tous ces textes baignent dans une atmosphère de mystère, et même de réalisme magique. Magie noire avec La Sorcière d’Endor, qui donne son titre à l’ensemble, maisons hantées et fantômes, alternent avec des souvenirs de la Légion, chez les Berbères avec des Russes blancs, ou de la mine, dans des galeries de 60 cm de haut. Glauser : un regard acéré ; une ligne claire - le talent.
Christopher Gérard
Friedrich Glauser, La Sorcière d’Endor et autres récits, L’Age d’Homme, 162 p., 17€
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26 mai 2013
Midi à la source
Biographe de Nietzsche et grand lecteur de Cioran, Hamsun et Matzneff (l’un des rares écrivains français contemporains qui le comble), Bruno Favrit est l’auteur d’une œuvre encore secrète, qu’il dissimule avec une coquetterie hautaine. Non sans panache, il se livre aujourd’hui par le biais de ses Carnets des années 1990-2011, où il évoque ses amitiés stellaires (un olibrius surnommé L’Ours y occupe une place importante), ses lectures, sa diététique (vins et fromages bannis, à l’instar des poètes dans la Cité de Platon), ses randonnées, ses feux solsticiaux, ses doutes et ses détestations.
Ses sources ? La haute montagne, des Causses à l’Engadine, qu’il arpente, sac au dos, en alpiniste chevronné, et qui lui inspire des pages empreintes d’un puissant panthéisme. Comme l’homme est un professionnel, il use du vocabulaire propre à cette rude discipline : vires, ressauts et festons scandent le texte de ces Carnets. Comment ne pas regretter, d’ailleurs, que Bruno Favrit ne nous ait pas encore livré le beau roman de montagne, à la Ramuz, qu’il porte en lui ? Qui aujourd’hui, en France, parle avec autant de compétence et de passion des joies et des peines de l’alpiniste ? Mais Bruno Favrit feint de mépriser la fiction pour de mauvaises raisons, liées au sentiment d’urgence qui l’étreint, face aux fléaux qui l’ulcèrent : la suralimentation et ses catastrophiques conséquences, le triomphe de la marchandise, le remplacement de population et la mutation anthropologique des mégapoles, le règne de l’éphémère et de l’argent-roi… Il a bien entendu tort : le rôle de l’artiste est de créer la beauté, non de consigner des arguments ou, pis, de composer des slogans qu’ânonneront tôt ou tard des démagogues sans âme.
La nature en général, la phusis des Grecs, lui est une compagne de chaque instant, à ce rebelle résolu qui fuit les villes… sauf pour partager le vin et le fromage avec les amis (voir supra), car ce païen a fait sienne la sentence de Luther : « qui n’aime le vin, les femmes ni les chants, restera sot toute sa vie durant ».
Les leitmotive de ces Carnets ? Un refus passionné de toute médiocrité, même cachée au plus profond de soi ; une quête permanente de l’art de s’élever sur les parois de calcaire comme sur celles d’une âme de glace et de feu. Il y a du Cathare chez Favrit, qui d’une part étonne par ses exigences et ses tourments, et de l’autre agace par des vitupérations qui, si elles sont rarement infondées, ne laissent pas d’être naïves tant il oublie le conseil, qu’il cite pourtant, de Spinoza : « non lugere neque detestari, sed intellegere » : ne pas déplorer ni vitupérer, mais comprendre. Sa hantise de toute lourdeur, qui est le propre d’une âme noble, « anarcho-spartiate », lui fait parfois manquer… de pondération. Reste le résistant, blessé par l’avachissement général, « l’écorché froid » comme le définit bien la dame de sa vie.
L’essentiel : la vision de ce marcheur solitaire qui, du haut des cimes, récite Hamsun ou la Baghavad Gîta pour nourrir de roboratives méditations.
Christopher Gérard
Bruno Favrit, Midi à la source. Carnets 1990-2011, Editions Auda Isarn, 402 p., 23€
Il est longuement question de Bruno Favrit
dans mon Journal de lectures
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27 février 2013
Qui se souvient d'Albert Cossery ? Frédéric Andrau.
Qui se souvient d’Albert Cossery (1913-2008), cet écrivain égyptien de langue française qui vécut 56 ans dans une chambre d’hôtel à Saint-Germain-des-Prés ? Un jeune écrivain au moins, Frédéric Andrau, qui lui adresse, d’homme à homme, un émouvant salut où il retrace une vie sédentaire à l’extrême, car bornée par le Café de Flore, la brasserie Lipp, la rue de Buci et les jardins du Luxembourg. Né au Caire dans la bourgeoisie copte, Albert Cossery se découvre très jeune une vocation d’écrivain à laquelle il sacrifie tout : à part les huit livres qu’il publie en soixante-cinq ans, il refusera toute forme de travail et, non sans cohérence, tout statut social, toute propriété matérielle, puisque, à sa mort, ses biens - cravates, pochettes, chaussettes de luxe et vieilles photographies - seront empaquetés dans trois cartons. Après avoir fréquenté le Lycée français et les cercles surréalistes du Caire, Cossery s’installe à Paris en 1945, où, grâce au soutien précoce d’Henry Miller et d’Albert Camus, il se fait rapidement un nom. Noceur infatigable, séducteur aux yeux de braise, il choisit l’oisiveté absolue comme art de vivre et le bronzage comme discipline, pareil aux chats des temples de l’Egypte ancienne. Indifférent à la politique, il lit Stendhal, Céline et Gorki en menant une vie essentiellement nocturne, aux côtés de Genet et de Nimier, de Piccoli et de Greco. Pique-assiette, gigolo et écrivain des bas-fonds du Caire, qui inspirent tous ses romans, car par un plaisant paradoxe, cette légende du microcosme germanopratin n’écrit que des histoires égyptiennes ! Pas une ligne sur les boîtes existentialistes ! Pas un mot sur Sartre et consorts ! Une figure singulière du milieu littéraire, qu’il ignorait superbement. Une sorte de sybarite fasciné par la torpeur, adonné au culte - horizontal - du soleil. Un rêveur à l’élégance voyante, que l’on suit pas à pas, charmé par la musique lancinante de son fidèle biographe.
Christopher Gérard
Frédéric Andrau, Monsieur Albert. Cossery, une vie, Editions de Corlevour, 20€
PS : Deux erreurs à corriger dans le deuxième tirage: Le Grand d'Espagne, de Roger Nimier, n'est pas un roman; et Lipp ne sert heureusement pas de sodas.
PPS : Bravo à l'attachée de presse, Guilaine Depis, pour son enthousiasme communicatif !
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