01 décembre 2014
Avec Romain Slocombe
Mission accomplie pour le camarade Slocombe : son dernier roman, Avis à mon exécuteur, se place très haut dans le gotha du roman noir politique. Le sujet ? Les confessions posthumes d’un bolchevik de la première heure, un Juif polonais entré au service du Parti et qui, dix-sept ans durant, dans l’ombre, sert la Révolution… ou plutôt les idoles sanguinaires créées par cette nouvelle religion. Avec autant de maestria que de fine érudition, Romain Slocombe reconstitue l’atmosphère d’une époque, le climat mental d’une caste : l’URSS des années 30, les réseaux du Komintern et du NKVD – le bras armé de Staline. On songe au roman de J. Boyd, Restless, mais un Boyd autrement plus dense, plus ample, plus dur aussi. Et quelle tension, quel rythme, de la première à la dernière ligne !
Un manuscrit trouvé à Vevey chez un ancien du Vlast - les services soviétiques - livre au lecteur les confessions d’un officier supérieur de l’appareil clandestin du Parti, que nous suivons dans ses opérations, tour à tour cruelles et tortueuses, jusqu’à la dernière : la liquidation (ou liternoïe delo, « lettre spéciale » en code), sous peine de voir femme et enfant assassinés, de son ami d’enfance, un autre tchékiste, écœuré comme lui par la Terreur qui s’abat sur l’URSS. Slocombe s’est inspiré de la vie de Walter Krivitsky, l’un des premiers grands défecteurs, retrouvé suicidé dans une chambre d’hôtel de Washington en 1941 (vendu par Philby ?). L’homme avait choisi la liberté pour protester e.a. contre le massacre systématique des communistes russes par Iagoda et Iéjov, les âmes damnées du tyran (avant leur liquidation dans le cadre de ce que le NKVD appelait non sans humour la rotation des cadres), mais aussi contre le pacte Molotov-Ribbentrop.
Slocombe décrit à la perfection la perte progressive des illusions de ces hommes qui ont tout donné à un mythe, le salut par la révolution prolétarienne, et qui pour faire triompher une religion fondée sur le mensonge, en viennent à trahir tout ce qui fait d’eux des hommes de qualité : esprit critique, scrupules moraux, amitiés, fidélité … Dans le système instauré par Lénine, ne survivent, avec un peu de chance, que les cyniques et les dociles.
La description des crimes commis en Espagne, transformée en charnier par les tueurs du NKVD et leurs supplétifs (notamment français : Marty), glace le lecteur, qui pousse la porte des sinistres checas de Barcelone, où l’on extermine des milliers de pauvres types sous prétexte qu’ils appartiennent au POUM, à la CNT ou parce que, même encartés au PC, ils déplaisent aux cerbères de Moscou. De même, Slocombe reconstitue avec un joli sens de la mise en scène des réunions d’officiers supérieurs à la Loubianka, pressés de faire subir à l’URSS une saignée aux allures de cyclone.
L’Affaire Toukhatchevsky, de même que les Procès de Moscou (bruyamment approuvés par tant de progressistes occidentaux) et la grande terreur de 1938 sont interprétées comme une titanesque guerre interne entre l’Armée rouge, corps sain de l’empire soviétique, et le NKVD, la garde rapprochée du tyran. L’enjeu ? Un pouvoir qui risque d’échapper à Staline, qu’un dossier retrouvé dans un coffre de l’Okhrana, la Sûreté tsariste, accuse, preuves à l’appui, d’avoir été, de 1906 à 1913 un agent provocateur - nom de code Vassili - chargé de surveiller Lénine et le Comité central. L’Etat-Major de l’Armée rouge, mis au courant du passé sordide de Staline, conspire contre le tyran, mais se fait doubler par le NKVD… à la plus grande joie des services allemands, qui eux aussi jouent leur partie. Krivitsky fait défection avec femme et enfant, désespéré de voir souillée la cause d’une vie, et sans illusion aucune sur Trotsky et ses hommes, présentés dans le roman comme des monuments de naïveté. Interrogé à ce sujet, Slocombe m’a répondu n’avoir rien inventé à leur sujet : toutes les preuves de leur aveuglement se trouvent noir sur blanc dans les mémoires de J. Rosenthal, d’E. Poretski et même d’un certain Victor Serge, décidément bien maladroit face aux menées du NKVD.
Un excellent roman, subtil, à la langue ferme et charpentée, fondé sur une analyse approfondie de la psyché révolutionnaire, que l’auteur a connue de près, ayant milité très jeune au sein d’une secte progressiste.
Christopher Gérard
Romain Slocombe, Avis à mon exécuteur, Robert Laffont.
Voir aussi :
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03 novembre 2014
Désuet, Christopher Gérard ?
Désuet ?
Dans sa note Osbert & autres historiettes, Loïc Di Stefano, du Salon littéraire, (http://salon-litteraire.com/fr/christopher-gerard/review/...) évoque, non sans gentillesse, le caractère désuet de ce livre, voire de mon style.
Désuet est introuvable dans Littré, car le mot n’apparaît qu’à la fin du XIXème, formé sur le participe du verbe latin desuesco : « je me déshabitue » (merci Gaffiot). Mais c’est tout moi, cela : déshabitué ! Je dirais même plus : décontaminé. J’assume, je persiste et signe : désuet, jusqu’au bout des ongles. Et même suranné, voire archaïque, que dis-je ? attardé. Car je m’attarde (en bonne compagnie) loin des blandices du siècle, je musarde tout en gardant à l’esprit que Littré disait des mots tombés en désuétude qu’ils peuvent difficilement être rayés de la langue vivante. Désuet peut-être, mais coriace.
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23 octobre 2014
Présence de Thierry Maulnier
Itinéraire singulier que celui de Jacques Talagrand (1909-1988), mieux connu sous son pseudonyme de L’Action française, Thierry Maulnier. Normalien brillantissime, condisciple de Brasillach, de Bardèche et de Vailland, Maulnier fut l’un des penseurs les plus originaux de sa génération, celle des fameux non conformistes des années 30, avant de devenir l’un des grands critiques dramatiques de l’après-guerre, ainsi qu’un essayiste influent, un chroniqueur fort lu du Figaro, et un académicien assidu. Un sympathique essai tente aujourd’hui de sortir Maulnier d’un injuste purgatoire, moins complet bien sûr que la savante biographie qu’E. de Montety a publiée naguère, puisque l’auteur, Georges Feltin-Tracol, a surtout puisé à des sources de seconde main. Moins consensuel aussi, car ce dernier rappelle à juste titre le rôle métapolitique de Thierry Maulnier, actif dans la critique du communisme en un temps où cette idéologie liberticide crétinisait une large part de l’intelligentsia, mais aussi du libéralisme, parfait destructeur des héritages séculaires. Car Maulnier, en lecteur attentif des Classiques, savait que l’homme, dans la cité, doit demeurer la mesure de toutes choses sous peine de se voir avili et asservi comme il le fut sous Staline, comme il l’est dans notre bel aujourd’hui. Feltin-Tracol souligne par exemple le fait que, peu après mai 68, Maulnier s’impliqua aux côtés d’un jeune reître au crâne ras, qui avait tâté de la paille des cachots républicains, dans l’animation d’un Institut d’Etudes occidentales qui influença la toute jeune nouvelle droite. L’activiste en question s’appelait Dominique Venner, futur écrivain et directeur de la Nouvelle Revue d’Histoire…
Le digne académicien, le ponte du Figaro, n’avait pas oublié sa jeunesse d’orage, quand, exaltant Nietzsche et Racine dans deux essais mémorables, il critiquait les mythes socialistes ou nationalistes, et analysait cette crise de l’homme européen dont nous ne sommes pas sortis, en tout cas par le haut. Héritier de Maurras, mais de manière critique et sans servilité aucune (posture moins courante qu’on ne le croit chez les intellectuels français, si friands d’obédiences et de chapelles, si perinde ac cadaver ), Maulnier prôna dans des brûlots tels que L’Insurgé (dangereusement proche de la Cagoule, comme me le dit un jour le délicieux Pierre Monnier, salué comme il se doit dans la jolie préface de Philippe d’Hugues) ou Combat une révolte spirituelle (et agnostique), aristocratique (et libertaire), conservatrice (et personnaliste), aux antipodes des mises au pas rouges ou brunes. Son credo peut se résumer par une phrase de son vieux maître provençal : « un ordre qui est une tendresse tutélaire pour la chair et l’âme des hommes et des choses, à qui il permet de naître, de grandir, et de continuer d’être ». En un mot comme en cent, la subversion classique, celle-là même qu’illustra l’écrivain Jacques Laurent.
Penseur lucide et inquiet, sensible au déclin d’une Europe fracturée, Maulnier ne cessa jamais de réfléchir au destin de notre civilisation, notamment en faisant l’éloge de Cette Grèce où nous sommes nés, qui « a donné un sens bimillénaire à l’avenir par la création d’une dialectique du sacré et de l’action, de l’intelligence héroïque et de la fatalité ». Ces simples mots, aussi bien choisis qu’agencés, montrent que Maulnier ne fut jamais chrétien, mais bien stoïcien à l’antique – ce qui le rapproche de la Jeune droite des années 60.
Insulté par la gauche idéologique, calomnié par la droite fanatique, tenu pour suspect par les bien-pensants (un sportif qui lisait Nietzsche !), Maulnier fut un homme relativement isolé, qui n’adouba nul disciple. Voilà une raison de plus pour lire Maulnier, ses Vaches sacrées, sa lumineuse Introduction à la poésie française, qu’il composa avec son amie de cœur, la future Pauline Réage.
Christopher Gérard
Georges Feltin-Tracol, Thierry Maulnier. Un itinéraire singulier, Ed. Auda Isarn, 106 p., 18€
Voir aussi Etienne de Montety, Thierry Maulnier, Julliard.
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07 octobre 2014
L'Abondance et le rêve
Sous ce titre révélateur, L’Abondance et le rêve, Christian Dedet publie la suite de son Journal des années 60, qui avait débuté par Sacrée jeunesse. Nous y suivions les premiers pas de ce jeune Occitan, futur médecin passionné de littérature, à Montpellier, où il collabora à la revue La Licorne, à Paris, où il publia au Seuil son premier roman, Le plus grand des taureaux, tout en fréquentant Montherlant, Dominique de Roux, Jean-René Huguenin et Michel Déon. Nous l’accompagnions même à Meudon, quand, pris d’un pressentiment, Christian Dedet rendit visite à Céline quelques jours à peine avant sa mort (« le regard peureux », « le ricanement de faune débusqué »).
Entre deux stages de médecine, entre deux bonnes fortunes ou deux récitals de piano (pages lumineuses sur le génial Lipatti), Christian Dedet dressait le portrait d’un fils de famille choyé, d’un rebelle bien élevé - le feu cathare en complet gris.
Aujourd’hui, il nous livre la suite, attendue, de ces mémoires d’un veinard. Le jeune toubib découvre les joies du service militaire, à Perpignan au 11ème Choc, en lisant Drieu et Montherlant. Bien que publié dans une maison classée à gauche, le romancier semble davantage trouver son miel au sein de la droite « buissonnière » – pour citer le regretté Pol Vandromme, l’un des premiers critiques à avoir fait amitié avec lui, et avec quelle générosité, comme en témoignent ces lignes : « Nous ne sommes pas beaucoup à penser ce que nous pensons, à sentir ce que nous sentons ; il faudrait que notre amitié s’affirmât davantage. Nous avons besoin de nous sentir entourés dans un monde où la bêtise et la bassesse me désespèrent un peu plus chaque jour. »
Notre Languedocien se sent plus proche d’impertinents tels que Dominique de Roux, Gabriel Matzneff ou Jacques d’Arribehaude que des bonzes de Tel Quel, ces « théoriciens du vide », dont il repère tout de suite les tendances inquisitoriales. Nourri de Rabelais comme de Sénèque, Dedet se révèle moraliste au détour de plus d’une page de ce précieux Journal : « ne pas vouloir disparaître avec ce qui disparaît ; ni se sentir trop coupable en acceptant ce qui naît ». En quelques mots, un type d’homme se trouve dépeint. Un moraliste proche des Romains, un peu sec donc, mais avec cette touche de sybaritisme méditerranéen. Un égotiste élégant, en même temps profond, car lucide et adepte de la posture tragique : point de refuge en Dieu chez lui, mais une sorte de paganisme romantique et hautain.
Pour un cadet, la lecture de ce Journal a parfois un arrière-goût amer : les lettres d’éditeurs, l’attention des critiques, les visites aux confrères, les voyages qui dépaysent, l’infinité des possibles, bref : l’abondance et le rêve, aujourd’hui révolus…
Parmi les portraits d’écrivains, je retiendrai ceux de Roland Cailleux, le dandy dépressif ; de Jean-René Huguenin, son « air invincible et meurtri » ; et Delteil, et encore Vandromme, le généreux Vandromme, qui lui écrit cette phrase essentielle, d’une telle justesse : « Les livres que nous écrivons doivent nous être donnés de surcroît – en récompense de la fantaisie de notre paresse et de notre humeur vagabonde. »
Outre l’amusante faune des villes thermales (où officie cinq mois par an le bon docteur Dedet), le Journal présente aussi quelques belles jeunes femmes, jusqu’à la rencontre qui change une vie, celle d’une artiste catalane que Christian Dedet n’a plus quittée.
Christopher Gérard
Christian Dedet, L’Abondance et le rêve. Journal 1963-1966, Les Editions de Paris, 408 pages, 18€.
Voir aussi, sur Christian Dedet
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06 octobre 2014
Une Maison à Passy
Paru dans Service littéraire, mensuel exclusivement rédigé par des écrivains.
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