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12 juin 2023

Dominique Venner, dix ans après

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Comme tant d’autres, je fus abasourdi d’apprendre, par la toile comme cela devenait déjà la règle, le suicide à Notre-Dame, le 21 mai 2013, de mon ami Dominique Venner. Né en 1935, l’ancien activiste de l’Algérie française puis d’une droite européiste et révolutionnaire jusqu’en 1968, année  de son retrait, était alors devenu un spécialiste des armes et de la chasse avant de publier une dizaine d’essais historiques d’une réelle profondeur et d’une parfaite limpidité.

Je songe, dans le désordre, à Le Cœur rebelle, splendide adieu à son incandescente jeunesse, à son magnifique Dictionnaire amoureux de la chasse ou encore à son Histoire critique de la Résistance…, qu’il me dédicaça comme suit : « à C.G., qui résiste depuis 2000 ans ». Comme autres livres à mon sens fondateurs, je citerais aussi son essai sur Ernst Jünger et Histoire et tradition des Européens. Je mentirais quant à ma totale objectivité pour évoquer cet homme dont je chroniquais les livres et qui me lisait, avec qui j’ai eu nombre d’échanges par écrit, par téléphone ou face à face. Dominique Venner - pourquoi le nier ? - m’en imposait, en raison certes de son refus de la décadence et de son espoir d’un réveil de l’Europe « en dormition », mais aussi à cause de la manière impeccable qu’il avait d’incarner une sensibilité anachronique au suprême. J’avais l’impression de rencontrer un stoïcien romain, un émule British de Caton d’Utique.

Voilà que ses amis de l’Institut Iliade, fondé à sa demande après son suicide, publient trois livres qui viennent rappeler que dix ans ont passé depuis ce coup de tonnerre. Tout d’abord, le volume III de ses Carnets rebelles, qui couvrent les années 1991 à 1996. Même si ce Samouraï d’Occident, pour citer son livre posthume, ne se livre pas vraiment à l’introspection, ces pages témoignent du labeur titanesque entrepris par Venner pour rédiger livres et articles. Prenant comme modèle Jacques Benoist-Méchin, qui, par exemple avec son Frédéric II ou A l’Épreuve du temps, ses passionnants Mémoires, exerça une influence discrète sur toute une génération, Venner entreprit de refonder, par l’étude acharnée, une pensée à son image, ascétique et chevaleresque, intempestive, que son retentissant suicide entendait authentifier. À chaque page, l’écrivain s’interroge et médite sur notre histoire vue de haut, toujours avec cette gravitas romaine qui fut sa marque : « Tout ce que nous construisons est fragile, menacé, l’amour, le couple, l’enfant, son éducation ». Évidentes sa solitude (« sentiment de vivre sur une planète morte où s’agitent de dérisoires pantins ») et son rejet absolu de la société bourgeoise (d’où sa tendresse pour un écrivain d’ultra-gauche comme Manchette) : d’une totale pudeur, l’homme se révélait profondément blessé par le saccage des forêts, paniqué même par l’enlaidissement du monde, écœuré par la vulgarité de ses contemporains (même, et surtout issus de la droite). Ce qui ne peut que me séduire : sa vision intrinsèquement païenne du monde, héritée d’Homère et d’Héraclite.

 

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Pour célébrer son souvenir, une trentaine d’auteurs se sont ligués pour livrer un  fort volume de 350 pages, où Venner est décrit, étudié, loué (sans  pour autant sombrer dans l’hagiographie) par des historiens, des philosophes et même deux loyaux adversaires, Benoît Rayski et Jean-Yves Camus. Parmi les contributions, je citerais celle de Sylvain Gougenheim, qui pointe bien les constantes chez Venner, « historien méditatif » : une saine méfiance pour les théoriciens tels que Spengler ou Guénon, la lecture approfondie d’auteurs tels que Jacqueline de Romilly, Lucien Jerphagnon ou Pierre Hadot (Venner me suggéra d’un ton catégorique la lecture du Voile d’Isis), une vision de l’histoire comme philosophie de vie… et un certain désintérêt pour la spatialité, et donc pour la géopolitique, tant Venner avait surtout une âme de moraliste et de réformateur.

Enfin, sa veuve publie un beau livre d’entretien avec mon compatriote Antoine Dresse, philosophe spécialiste de la pensée antimoderne. Venner y apparaît au quotidien, plus anglomane que germanolâtre, lecteur de Gracq et de Montherlant, élégant jusque dans la gestuelle et le choix de ses cravates (je l’ai vu signer ses livres debout), travaillant comme un forçat, stoïque malgré de violentes migraines, attelé à sculpter sa propre statue intérieure. Avec constance, Venner aura tout sacrifié à ses idées ; il aura jusqu’au bout incarné une éthique de la volonté. Dominique Venner, « porteur maudit des forces créatrices », aristocrate au sens le plus noble du terme.

 

Christopher Gérard

 

Dominique Venner, Carnets rebelles, volume III, La Nouvelle Librairie,

Solenn Marty éd., Dominique Venner. À l’aube de nos destins, La Nouvelle Librairie, 342 pages, 26€

Clotilde Venner & Antoine Dresse, À la rencontre d’un cœur rebelle. Entretiens sur Dominique Venner, La Nouvelle Librairie, 160 pages, 14.50€

 

Lire aussi :

http://archaion.hautetfort.com/archive/2013/06/24/venner-samourai-d-occident.html

et

http://archaion.hautetfort.com/archive/2014/05/20/avec-dominique-venner-5374042.html

 

 Il est question de Dominique Venner dans Les Nobles Voyageurs

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Écrit par Archaïon dans Hommages | Lien permanent | Tags : venner, nouvelle librairie |  Facebook | |  Imprimer |

08 juin 2023

Michel Lambert, dans les nuages

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Placé haut par les regrettés Pol Vandromme, Bernard de Fallois et Vladimir Dimitrijevic, trois orfèvres en matière littéraire, Michel Lambert est un nouvelliste maintes fois primé, doublé d’un romancier raffiné comme l’illustrait naguère L’Adaptation, un livre d’une vertigineuse complexité qui baignait dans une atmosphère de nostalgie, de déclin tant physique que sentimental, et de quête - celle du Chevalier médiéval à la poursuite d’une Dame inaccessible.

Virtuose du style, Michel Lambert y jouait avec les couleurs et les ciels, pareil à un peintre des anciens Pays-Bas, pour qui les nuages peuvent refléter des sentiments mouvants.

Dans Cinq jours de bonté, son dernier roman, ses pérégrinations le mènent à Ostende, la ville, ô combien nuageuse, du grand peintre James Ensor, station balnéaire décatie de la Mer du Nord, avec son monumental Kuursaal, le plus grand casino d’Europe, et son mythique Bal du rat mort, où se presse une faune cosmopolite. Curieusement, et sans doute à dessein, Kuursaal, qui se traduit en français par casino, signifie en réalité « salle de cure » - la cure que suit plus ou moins l’épouse du narrateur.

C’est donc là, à Ostende, qu’échoue le couple étrange que forme Thomas Noble ( !), le narrateur et Raya, son épouse, qui profite ainsi d’une permission de cinq petites journées, accordée par son psychiatre, qui soigne ( ?) ses troubles dépressifs, voire pire.

Les époux, qui ne sont plus amants depuis longtemps (une Charlotte a fait son apparition avant de plus ou moins disparaître), vont, non sans maladresse, tenter de réapprendre à se connaître. Tout le poids des non-dits (la maladie de Raya, les liaisons de Thomas et sa dégringolade sociale, etc.) les écrase tous deux. Les comparses du récit, un couple de nobliaux en déroute, un pilote alcoolique et sa maîtresse, incarnent, sous le ciel changeant de la côte belge, les masques d’une vie désaccordée, comme dans les toiles d’Ensor.

Disciple de Tchékhov, Michel Lambert se révèle une fois de plus, et à sa manière inimitable, l’un de nos peintres de race.

 

Christopher Gérard

 

Michel Lambert, Cinq jours de bonté, L’Herbier – Le beau jardin, 252 pages, 20€.

 

Voir aussi ma chronique antérieure :

http://archaion.hautetfort.com/archive/2018/08/03/avec-michel-lambert-6070353.html

 

Il est question de Michel Lambert dans Les Nobles Voyageurs

 

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07 juin 2023

Princesse Hoex

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J’ai parlé naguère de Corinne Hoex, dans mes Quolibets (L’Age d’Homme) comme dans diverses chroniques de Service littéraire ou de la Revue générale.
Corinne Hoex est l’auteur (l’autrice, si vous insistez) de romans, de nouvelles ; elle est aussi poète - une voix qui compte en notre bel aujourd’hui. Unique est son ton, tour à tour cruel et coquin, grave et loufoque. Comme je l’ai dit ailleurs d’un précédent titre : « 
Entre Bosch et Rabelais, car jamais la farce n’est loin, l’un de ces livres qui ne ressemblent à rien. »

 

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Avec Nos Princes charmants, un recueil de dix-huit nouvelles aux allures de roman tant les mêmes personnages (des mouches, par exemple), les mêmes éléments s’y retrouvent d’un chapitre à l’autre (comme dans les aventures de Tintin et Milou), elle récidive dans le genre ironique - et surtout vengeur - en dépeignant une belle galerie de mufles, casse-pieds & autres butors, victimes de revanches féminines. Qu’il soit collectionneur d’animaux empaillés, macho de synthèse, époux volage, cycliste obsessionnel  ou satrape d’appartement, le type (si j’ose dire) d’homme dépeint parmi ces mâles ô combien odieux reçoit la monnaie de sa pièce. Point n’est besoin d’être féministe, ni même masochiste, pour jubiler au fil des pages et pour se divertir de la riche cruauté de Dame Corinne, dont le porte-fantasme, Françoise, écrit des polars. La morale de ces Princes charmants ? Ne jamais, au grand jamais, exaspérer un écrivain, mâle ou femelle, en qui, avouons-le une fois pour toutes, sommeillent des instincts meurtriers qui ne demandent qu’à être, enfin, assouvis.

Christopher Gérard

 

Corinne Hoex, Nos Princes charmants, Les Impressions nouvelles, 128 pages, 14€

 

Voir aussi :

http://archaion.hautetfort.com/archive/2014/04/29/decollations-5358456.html

 

Il est question de Corinne Hoex dans Les Nobles Voyageurs

 

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05 juin 2023

French panache

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Dans un joli récit, Mon ami, cet inconnu, François Cérésa saluait un ami de toujours qui s’était pendu à 59 ans, un homme instable et délicat malgré sa dégaine d’hercule : « un petit garçon qui jouait à l’homme, égaré dans le monde des grands ». Le survivant s’interrogeait sur ce frère manqué, dragueur obsessionnel, artiste raté avec qui il avait fait les 400 coups : « Toi et moi, on était faits pour Waterloo, le Chemin des Dames et Dien Bien Phu ». A-t-il songé à cet ami disparu lorsqu’il a mis la dernière main à son Dictionnaire égoïste du panache français, qui vient de paraître ?

En quatre cents pages et cinquante-deux portraits rédigés à coups de cravache, François Cérésa, l’auteur de dizaines de livres et qui a reçu le Prix Michel Déon de l’Académie française, le directeur de Service littéraire, le seul mensuel entièrement rédigé par des écrivains (et où règne, je peux en témoigner, la plus totale liberté de ton), s’insurge contre ce qu’il appelle une « société d’eunuques ».

 

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L’homme abhorre euphémismes et prudences, en parfait disciple de ces trois figures littéraires qui incarnent le panache français : Athos, Cyrano de Bergerac et Arsène Lupin. On pourrait évoquer aussi Astérix et le capitaine de Boëldieu. Voire Antoine de Tounens, roi de Patagonie, que le cher Jean Raspail ressuscita naguère avec brio au point de créer un mythe patagon. En outre, Cérésa est tout sauf sectaire : au-delà de la droite et de la gauche, au-dessus de la mêlée.

Cérésa part du principe que « panache » est un vocable intraduisible, une création du génie français. Inexistant, d’après lui, chez les rosbifs et les ritals, qui en connaissent pourtant un bout sur l’élégance. Mais que signifie donc panache ? « Mélange de courage, d’audace, d’intempérance, d’honneur, d’élégance, mais aussi de suffisance, d’orgueil mal placé, d’indiscipline et de bêtise ». Très juste, car le panache peut faire perdre des batailles (Azincourt)… Cérésa y voit une « manière française de sublimer l’échec », un goût du beau geste et du bon mot : « Déplaire est mon plaisir. C’est mon vice » dixit Edmond Rostand, qui parlait aussi de « pudeur de l’héroïsme ». Il y a dans cette cambrure un côté libertaire, qui transcende les camps politiques (Jean Moulin et Robert Brasillach en firent chacun preuve), mais aussi sacrificiel, en raison de ce refus passionné, absurde même, de tout calcul, mesquin par essence.

Pour illustrer ce mal français, Cérésa en impose cinquante-deux incarnations, de Jeanne d’Arc à Georges Darien, de la sainte au bagnard. Jean Gabin et Louise Michel, Jean Rochefort et Romain Gary, le camarade Guy Môquet et Monsieur de Charette, Belmondo et Coco Chanel, Jean-Pierre Chevènement et Brigitte Bardot, y sont tous brossés en toute subjectivité, con brio.

 

Christopher Gérard

 

François Cérésa, Dictionnaire égoïste du panache français, Le Cherche-Midi, 400 p., 22€.

 

 Il est question de François Cérésa dans Les Nobles Voyageurs

 

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Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |