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16 février 2023

L’ancien calendrier d’un amour

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L’Ami arménien, le précédent roman d’Andreï Makine (1957), touchait juste par une nostalgie exempte de toute sensiblerie. Un autre roman, particulièrement réussi, L’Archipel d’une autre vie, mettait en scène la fuite éperdue d’un couple de proscrits, qui échappait à la tyrannie par le recours aux forêts. Avec L’ancien calendrier d’un amour, Makine opère une synthèse entre nostalgie et quête amoureuse.

Avec lui, nous traversons le terrible vingtième siècle russe en compagnie de Valdas Bataeff, fils d’un avocat libéral de la fin du tsarisme et d’une baronne balte. Poète, cadet de l’Armée impériale jeté dans la guerre civile et donc garde blanc de l’Armée Wrangel, il connaît les tueries révolutionnaires, l’exil à Constantinople puis à Paris, comme chauffeur de taxi, et enfin à Nice, comme bien des Russes blancs, dont il incarne, dans ce roman elliptique, la figure quasi archétypale.

Mais Valdas a un secret, double : celui d’amours rêvées d’une part, ou bien charnelles mais brisées net de l’autre. Soit l’exquise Kathleen, jeune fille de la grande bourgeoisie rencontrée dans le Yalta ensoleillé de l’été 1913, fiancée émigrée à Stockholm et perdue, qui fait songer à la Machenka de Nabokoff.

 

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Quelques années plus tard, juste avant le grand exode des Blancs quittant la Crimée, Taïa, contrebandière de tabac, qui se sacrifie pour son jeune amant pourchassé par les Rouges. Toute sa vie durant, Valdas vivra dans le souvenir fidèle de cette fille du peuple.

Sa courte histoire d’amour, qui lui permet de survivre à soixante-dix ans d’exil, dure quelques jours, dans une parenthèse temporelle enchantée, quasi onirique et dépeinte avec maestria. Plus ou moins au même moment, la Russie change de calendrier, passant du calendrier julien de l’époque impériale au grégorien de la nouvelle patrie des travailleurs. En exil, Valdas connaîtra quelques femmes, elles aussi des archétypes d’émigrées russes. Ce roman étrange et beau est pour Makine l’occasion de décrire la condition d’étranger absolu, nulle part à sa place mais survivant toutefois dans une patrie intérieure grâce à un amour partagé à l’écart du temps. Sa capacité à faire entendre par quelques notes la musique d’une vie fait de Makine l’un des grands compositeurs d’aujourd’hui.

 

 Christopher Gérard

 

Andreï Makine, L’ancien calendrier d’un amour, Grasset, 192 pages, 19.50€

 

Voir aussi :

 

http://archaion.hautetfort.com/archive/2021/01/22/avec-andrei-makine-6292606.html

 

Il est question d'Andreï Makine dans Les Nobles Voyageurs

 

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Écrit par Archaïon dans Sainte Russie | Lien permanent | Tags : makine, russie |  Facebook | |  Imprimer |

13 février 2023

De Gaulle et l'Irlande

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Il y a près de vingt-cinq ans, les éditions Artus, maison bretonne de haute tenue, me faisaient parvenir un curieux essai de l’écrivain franco-irlandais Pierre Joannon consacré au court exil irlandais du général de Gaulle après le référendum de 1969. Voici que ce livre splendide est réédité, prétexte à une relecture qui ne m’a en rien déçu. De Gaulle descendait par sa mère d’une antique lignée irlandaise, les Mac Cartan, qui, du XIIème au XVIIIème siècle batailla contre l’Anglais. Après une ultime défaite, le dernier Mac Cartan s’exila en France pour servir le Roy au sein de la glorieuse Brigade irlandaise. L’un de ses descendants servait d’ailleurs en juillet 1789, quand il proposa à Louis XVI de balayer la populace qui le conspuait, proposition déclinée par l’intéressé avec les conséquences que nous savons. Après sa dramatique démission, de Gaulle voulut se ressourcer au pays de ses ancêtres, vu comme une sorte de citadelle au large du monde moderne. Sa sympathie pour l’Irlande était ancienne ; il fut d’ailleurs le seul chef allié à ne pas critiquer, en 1945, le président De Valera pour sa politique de neutralité militaire (mais non politique, ce qui est souvent oublié). Ce dernier ne l’oublia pas. Les deux vieux proscrits, tour à tour rebelles et chefs d’état, se ressemblaient de façon hallucinante, comme des jumeaux. Une commune vision plus qu’hautaine de leur destin, une même passion pour la souveraineté nationale, une même foi les réunissaient. Pour paraphraser Malraux, tous deux appartenaient à l’histoire, et donc à la haine. De Gaulle passa quelques semaines en Irlande, dans le Connemara notamment, à ruminer sa défaite tout en relisant Chateaubriand et en rédigeant ses mémoires. Son accueil à Dublin par De Valera fut triomphal, et les Irlandais n’oublièrent jamais son toast « à l’Irlande toute entière », ce clair appel au peuple d’Irlande à s’affirmer et à rester lui-même – en gaélique, Sinn Fein. L’essai de Pierre Joannon est fluide comme un roman, passionné autant que rigoureux - un splendide exemple d’érudition sauvage.

 

Christopher Gérard

 

Pierre Joannon, L’Hiver du Connétable. Charles de Gaulle et l’Irlande, Ed. Regain de lecture, 110 pages, 18€.

 

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Voir aussi ma précédente chronique :

 

http://archaion.hautetfort.com/archive/2019/03/18/avec-pierre-joannon-6137000.html

 

Écrit par Archaïon dans Figures | Lien permanent | Tags : littérature, politique |  Facebook | |  Imprimer |