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17 janvier 2023

Avec Marc Obregon

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« Encore un roman antimoderne ? » me suis-je demandé avec un léger soupir quand j’ai ouvert le paquet des éditions Nouvelle Marge que m’adressait le confrère Maximilien Friche. Je savais que son auteur, Marc Obregon, écrit (beaucoup) dans le très-catholique L’Incorrect comme dans le très-monarchiste Le Bien commun. Rien de mainstream donc, fort bien. J’ai vite compris qu’il est, comme son éditeur, un disciple de Maurice Dantec, dont j’ai naguère parlé sans tendresse excessive dans Quolibets. J’apprends aussi qu’il a étudié la sémiotique de l’image et qu’il a publié deux ou trois livres, dans la marge. Puis, j’ai lu une page de Mort au peuple, son roman… que j’ai terminé dans la nuit, crayon à la main, interloqué, agacé et séduit par cette prose violente, tantôt d’un poète, tantôt d’un activiste des profondeurs, pour citer le regretté Jean Parvulesco, qui aurait, je pense, aimé ce périple eschatologique. Entre Lovecraft et Abellio, Obregon nous dépeint la France de 2039, ou plutôt le mental d’un « terroriste » enfermé à vie dans une cellule de haute sécurité. Né dans les années 90, son héros farci de neuroleptiques (Dantec, encore) y moisit en raison de ses accointances avec un groupuscule mystico-guerrier dirigé par un couple de Persans shiites, les séduisants Ifiq et Zayneb, qui ont préparé un attentat au Palais de Tokyo. Ifiq a rencontré le jeune prolo gaulois dans une entreprise de nettoyage, où il vivote, et a rapidement décelé les failles de son poulain : « Regarde… regarde ta France, ce qu’elle est devenue. Voilà l’héritage de Mérovée, l’héritage de la Sainte à l’épée… des pourceaux qui ont le groin dans leurs téléphones, à faire défiler des images prédigérées… des néo-prolétaires zombifiés, qui ont troqué leur foi et leurs valeurs pour des écrans plats, pour des stérilets connectés… (…)  Si la France pue, c’est parce qu’on y bâfre encore la charogne des Rois ».

Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir en qui consiste l’opération en elle-même, machiavélique au suprême. L’essentiel est dans la description clinique d’un jeune conspirationniste du proche avenir, révulsé par le remplacement de toute expérience sensible du monde par le simulacre global. Gavé de sous-culture numérique, ce jeune orphelin entend lutter les armes à la main contre les nouvelles formes d’esclavage fondées sur l’organisation scientifique d’une  diversion de tous les instants, l’omniprésente pornographie, les faux combats « sociétaux », sans oublier le triomphe d’une laideur sans rien d’accidentel : « Je n’avais pas souvenir  d’une époque plus délétère en matière de mode, aussi vomitive de couleurs, , aussi pétrie de mauvaises manières. » Tour à tour sympathique et odieux, notre jeune croisé de l’Âge de fer fera l’expérience de la manipulation ultime.

Obregon ? À surveiller, Monsieur le Commissaire.

 

Christopher Gérard

 

Marc Obregon, Mort au peuple, Nouvelle Marge, 200 pages, 22€

Il est question de Marc Obregon dans Les Nobles Voyageurs

 

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Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent | Tags : nouvelle marge |  Facebook | |  Imprimer |

10 janvier 2023

Bruno Lafourcade, janséniste de Gascogne

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J’ai déjà parlé de Bruno Lafourcade, romancier et critique, fin lettré au physique de rugbyman, homme du Sud-Ouest (qui parle l’occitan), révulsé par le triomphe des cacographes et des impostures de l’époque, lui qui s’obstine, en probe artisan, à user d’une langue précise, ponctuée à la perfection et au style percutant.

Ainsi, par exemple, dans Derniers feux. Conseils à un jeune écrivain, essai sur la condition de l’écrivain, il évoque la fécondité en art des entraves comme du remords - et même de l’humiliation : tout ce qui tanne le cuir de l’impétrant en lui faisant prendre conscience de sa petitesse : « Il n’y a pas de littérature sans filiation, sans goût du passé, sans tombeaux à fleurir ; il n’y a pas d’art sans morts à bercer ».

Je viens de lire Le Portement de la Croix, roman qui vient d’être réédité. Dans l’un de nos échanges épistolaires, il m’écrivait que ce livre n’était pas pour moi, car trop chrétien. Il avait tort : je l’ai lu d’une traite et le considère comme une œuvre magistrale, digne de Bernanos (Lafourcade a d’ailleurs consacré une belle étude à Monsieur Ouine).

Le titre fait allusion à une sculpture en bois découverte dans une grange de Saint-Marsan, œuvre probablement due à des cagots, cette caste de parias censés descendre de lépreux, de cathares ou de Sarrasins, forcés de vivre à l’écart et de ne pratiquer que les métiers du bois. Un ancien calvaire noyé dans la broussaille joue aussi un rôle dans le roman. Double découverte, double crime atroce - dont les démoniaques prémices sont décrites successivement par un étudiant en théologie, par un jeune abbé et par le surveillant du collège oratorien de la Croix-Juguet, théâtre de l’un des meurtres. Envoûtante, l’atmosphère du récit doit beaucoup au jansénisme comme à la sorcellerie paysanne. Je ne sais si Lafourcade est vraiment catholique (il se prétend « plus pharisien que samaritain »), mais il « parle » catholique de façon troublante, et profonde se révèle sa culture théologique. Ses réflexions sur la laideur comme signe de l’absence de Dieu, sur le libre-arbitre et la grâce, sur la foi, cette démence (« La foi ne rend pas fou, elle est une folie ») s’inscrivent à la perfection dans la trame de cette tragédie, menée, oui, de main de maître.

 

Christopher Gérard

  

Bruno Lafourcade, Le Portement de la Croix, 202 pages, 17€ .

A commander à jeandezert.editeur@gmail.com

 

Lire entre autres sur ce site ma chronique du 8 juin 2021 :

http://archaion.hautetfort.com/archive/2021/06/08/bruno-lafourcade-conseiller-litteraire-6320824.html

 

 Il est question de Bruno Lafourcade dans Les Nobles Voyageurs

 

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Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |