31 décembre 2017
Souvenirs d’un gandin lettré
Amis lecteurs, vous connaissez tous par cœur ce mot de Baudelaire, qui définit l’esprit dandy comme « le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences » et celui de Jünger pour qui « le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important ».
En porte-à-faux par rapport à une modernité qu’il méprise souverainement, le dandy, nous le savons, oscille entre rébellion aristocratique et mystification narcissique, entre discipline d’airain et alanguissement fin de race. A sa manière, il incarne, parfois aux lisières du ridicule, l’antimoderne, celui qui, sous le masque de la froideur, tente de surmonter la douleur suscitée par notre bel aujourd’hui. Impertinent (ce qui lui est reproché, même par des hommes proches de lui), subversif avec panache, le dandy se révèle avant tout un dégoûté, hanté par la déchéance, qui exalte sa différence au milieu des termites.
Voilà que, par le truchement du cher Patrick Wagner, qui d’une poigne de fer dirige la si précieuse revue Livr’Arbitres, je reçois un curieux opuscule édité au détriment du Bretteur, « près les anciennes Halles de Paris » et qui a pour titre, Mes Tailleurs. Souvenirs d’un gandin lettré. Comment ne pas être séduit ? L’auteur, Bernard Baritaud, m’est inconnu… mais je sais l’estime que lui porte Marc Laudelout – impeccable passeport. Plus que courtois, l’envoi évoque un commun dédain pour les « mièvreries contemporaines ». Hésiter plus longtemps ? Les quatre-vingt-cinq pages se lisent d’une traite ; elles illustrent ces réflexions sur le dandysme tant l’auteur, né à l’extrême fin des années 30, se révèle tout sauf futile lorsqu’il se souvient d’un tailleur de Poitiers, de Dakar, de Bruxelles (Ah, l’Union des Drapiers, avenue Louise puis rue de Namur !) ou de Venise – car l’homme, diplomate ou espion, a beaucoup voyagé, et même vécu outremer. La tête bien faite, car formée par de saines lectures (Stendhal et Morand, Cendrars et Léautaud), Bernard Baritaud a compris que l’élégance vestimentaire, si elle témoigne du maintien en « ce monde de sagouins » d’un type d’homme, est aussi un jeu littéraire : les vrais élégants, au moment de choisir le veston, la chemise et la cravate du jour (de l’heure), se souviennent des hésitations de Maurice Ronet dans Le Feu-follet de Louis Malle, des culottes blanches de Stendhal à la Scala de Milan ou des tweeds de Morand (que feu Marcel Schneider reçut en héritage). Je ne suivrai pas Bernard Baritaud dans tous ses anathèmes (sa condamnation de la pochette, sauf, celle, churchillienne, de sa robe de chambre, ne me convainc guère) ; je puis déplorer certains oublis (il semble ignorer l’existence du chemisier romain Battistoni, à deux pas du Greco, comme celle du jeune tailleur Scavini, à deux pas des Invalides), mais je me réjouis de rencontrer bientôt un habitué de Savile Row, et donc un camarade de combat contre le néant qui tout emporte.
Christopher Gérard
Bernard Baritaud, Mes Tailleurs. Souvenirs d’un gandin lettré, Editions Le Bretteur (lebretteur@free.fr), tiré à cent exemplaires, 11€. La même maison a réédité l’Eloge du duel de Marcel Boulenger et America felix, les poèmes américains du cher Marc Hanrez.
Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent | Tags : littérature, dandysme | Facebook | | Imprimer |
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