23 février 2017
La Morsure des Dieux
Née dans la Drôme en 1976 de parents kabyles qui l’abandonnent immédiatement, Cheyenne-Marie Carron est adoptée par une famille catholique, d’où l’importance dans toute son œuvre du patriotisme français à l’ancienne et de la foi chrétienne, qu’elle défend et illustre avec l’enthousiasme des convertis. Je parle d’œuvre, car, lentement mais sûrement, Cheyenne-Marie Carron trace son sillon dans le monde du cinéma français, univers étique au sein duquel elle tranche par la vigueur de convictions parfois naïves, mais toujours sincères – exprimées, Dieux merci, sans langue de bois. Scénariste, réalisatrice et productrice indépendante, Cheyenne-Marie est au four et au moulin, en authentique femme-orchestre qui n’est pas passée par ces écoles qui exténuent les talents et domestiquent les esprits.
Parmi ses créations, citons L’Apôtre (2014), qui narre la conversion au catholicisme d’un mahométan, film déprogrammé à la demande du Ministère de l’Intérieur à la suite des attentats de 2015.
Passionnée (cette épithète n’a rien de convenu), et pour cause, par le thème de l’identité, qu’elle soit nationale, culturelle ou spirituelle, Cheyenne-Marie s’intéresse depuis quelque temps aux sources païennes de notre imaginaire, à ce soubassement trop souvent occulté. Le résultat de ses méditations s’intitule La Morsure des Dieux ; la cinéaste y développe le thème délicat du conflit entre monothéisme et héritage plurimillénaire, entre paganisme et christianisme. Qu’une catholique, convertie de surcroît, aborde ce sujet épineux (et, disons-le, casse-cou), mérite d'être salué. Le moyen, d’ailleurs, de ne pas saluer cette dame qui clame son amour pour la vieille Europe… et porte très haut La 317ème section de Schoendorffer ?
Tourné près de Bayonne, La Morsure des Dieux met en scène un couple formé de Sébastien (François Pouron, un bloc d’énergie), paysan basque et loyal païen, et Juliette (exquise Fleur Geffrier - qui fera soupirer plus d’un spectateur), aide-soignante pour qui charité n’est pas qu’un mot, mais bien une manière de vivre. Deux êtres entiers, d’une grande beauté physique et surtout intérieure, se heurtent et s’aiment dans ce magnifique Pays basque filmé avec une grâce, une simplicité qui n’empêchent jamais l’intensité. Ce mixte, comme la ferme direction des acteurs, évoque le jeune Eric Rohmer. De sublimes chants traditionnels viennent scander le film qui, en réalité, aborde trois thèmes : l’amour naissant entre deux jeunes gens prédestinés, le conflit entre l’ancienne religion qui revient et les dogmes qui s’effacent, et, sans doute le plus poignant, la mort de la paysannerie.
Je dois en effet faire cette confidence : dans La Morsure des Dieux, la querelle entre paganisme et christianisme est le thème … qui me touche le moins, sans doute en raison du caractère parfois didactique du propos, trop explicatif à mon goût, malgré de belles images, comme ce feu solsticial, ces danses traditionnelles basques et la vision, un peu rapide, d’un bel autel polythéiste dans la chambre du paganus. Les échanges de ce dernier avec son ami le prêtre (en soutane, s’il vous plaît !) comme avec son amie de cœur m’ont paru quelque peu cérébraux. Heureusement, il y a ce dialogue avec le vent et les arbres dans la montagne ; et ces troublantes noces de juin...
En revanche, le portrait de ces paysans acculés au désespoir et qui se battent dos au mur (l’entretien avec le banquier, lui-même fils honteux de paysans ruinés) m’a pris à la gorge, tant la mort de l’ancienne France transparaît dans ce conte des collines basques.
Parmi tous ces films pervers ou niais, au milieu du naufrage subventionné de la création cinématographique, La Morsure des Dieux témoigne du talent d’une artiste courageuse.
Chapeau bas !
Christopher Gérard
La Morsure des Dieux, un film de Cheyenne-Marie Carron.
Pour soutenir l’artiste, qui travaille sans subventions,
commander le film via son site
http://www.cheyennecarron.com/
16 février 2017
Un peu tard dans la saison
Chez Richard, au Sablon
Comment qualifier Un peu tard dans la saison, le dernier opus de Jérôme Leroy, livre extravagant que l’on déguste jusqu’à la dernière ligne ? A force de me creuser les méninges, j’ai fini par trouver : un conte œdipien. Un conte plus qu’un roman, oui, sur le crépuscule d’une civilisation, la nôtre, qui se délite et implose quand, subissant ce que la police secrète de la République appelle l’Eclipse, les citoyens, par milliers, disparaissent d’un coup, lâchant compagnes et smartfaunes, missions et prébendes. Au clou les ordinatoires, à la poubelle les badges magnétiques et les cartes en plastique. Les citoyens s’en vont sans tambours ni trompettes, happés par la fascination du vide. Ni barricades ni guerre ethnique (islam, invisible), ni krach boursier ni dictature fasciste, mais la fuite générale au désert, comme ces anachorètes de l’Antiquité tardive qui abandonnaient les villes pour se réfugier dans les déserts et les montagnes… et céder la place aux barbares, par définition peu portés à la mélancolie. Pour ce qui est d’Oedipe, les lecteurs sont priés de lire le livre.
Je retrouve dans ce roman bien des obsessions de Jérôme Leroy, annoncées dans ses précédents livres, de Monnaie bleue à Big Sister : la décadence, les nostalgies d’adolescent, Ostende et Rouen, les officines de l’état profond et leurs nettoyeurs, la violence donc, les poèmes de Toulet et les romans de Déon, les vins non trafiqués et les Weston lustrées à la perfection…
Une fois de plus, Leroy met en scène ses personnages fétiches, la barbouze et l’écrivain. Ici Agnès la féroce et Guillaume le faible. Une capitaine des services spéciaux, spécialiste des « affaires mouillées », comme disent les Russes (identification, localisation, neutralisation – davaï), qui échappe au contrôle de son colonel-amant. Un écrivain vieillissant, entretenu par une psychanalyste parisienne (nous sommes dans un roman français), souffrant d’hypertension et plein de sentiments rose bonbon (migrants & zadistes), amateur de livres rares et propriétaire, vers 2015, d’une Peugeot 504 cabriolet. L’une traque l’autre, au mépris des règles de sécurité et donc pour des raisons qui échappent à ses maîtres. La rencontre aura lieu quelque part dans le Sud, sous l’égide d’Eros et de Thanatos. Chassez le tragique…
L’essentiel : une histoire abracadabrantesque racontée depuis le futur, où règne la Douceur, nouvel ( ?) Age d’or qui ignore la violence et l’avidité – une sorte de Flower Power réalisé par des phalanstères anarcho-végétariens (mais pas végans, tout de même ) vivant au quotidien (sans nuages) un communisme balnéaire (sans bureaucratie ni goulag - transats et pléiades de Morand pour tout le monde). Cela ne tient pas debout, cette histoire d’effacement généralisé et de paradis bio… mais qu’importe, puisque Jérôme Leroy est un écrivain de race, à la langue limpide, au style élégant – un musicien que l’on écoute jusqu’au bout en se disant que, décidément, le bougre a du talent.
Christopher Gérard
Jérôme Leroy, Un peu tard dans la saison, La Table ronde, 18€
Sur Jérôme Leroy, voir mon Journal de lectures
Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent | Tags : littérature, hussards | Facebook | |
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