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18 septembre 2016

Une somme sur le dandysme

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« Forme dégradée de l’ascèse », s’il faut en croire Albert Camus, le dandysme inspire et fascine pour le meilleur et pour le pire. Aux essais tantôt subtils (Kempf, Delbourg-Delphis, Carassus, Scaraffia…), tantôt aussi pédants que confus (no names), vient s’ajouter une somme, le Dictionnaire du dandysme, que publient les très-austères éditions Honoré Champion : plus de sept cents pages riches en références et en réflexions, au fil desquelles le lecteur retrouvera quelques grandes pointures, mêlées, hélas ! à l’un(e) ou l’autre cuistre – je pense e.a. à l’illisible auteur de la note consacrée au(x) Genre(s), cette faribole d’outre-Atlantique. Exception qui, je m’empresse de le souligner, confirme l’excellence de l’ensemble.

Libre ou corseté ? Impertinent ou vaniteux ? Original ou excentrique ? Ce Dictionnaire redéfinit la figure si complexe, si ambiguë du dandy, ainsi que la métaphysique qui sous-tend sa posture. Les grandes notions ont droit à leur note : d’Anglomanie à Oisiveté, de Boulevard à Mélancolie. Vampire fait l’objet d’une savante recherche qui me fait l’honneur, grâce à Vogelsang, de trôner aux côtés de Bram Stoker, Charles Nodier et Ann Rice. Parmi les personnes, une quarantaine, les inévitables Byron, Brummel et Barbey, côtoyés par Stendhal et Balzac, en effet essentiels. Et Cocteau, Lorrain, Drieu, Montherlant, Matzneff. A la bonne heure. Toutefois, en lieu et place de Duchamp et Gainsbourg, j’aurais préféré retrouver Aragon et Barrès, Praz et Fraigneau …  Ne boudons pourtant pas notre plaisir, qui est vif.

Erudit, rigoureux, l’ouvrage fera date ; ses références stimuleront la réflexion. Des entrées sont dédiées aux attributs du dandy, de la cravate (« Elle est à la toilette ce que la truffe est au dîner », Balzac) aux gants (« Beaucoup d’amis, beaucoup de gants, - de peur de la gale » Baudelaire). Enfin, les personnages : Des Esseintes, Messieurs de Phocas et de Bougrelon ...

Une somme, oui, pour mieux cerner la silhouette intemporelle d’un  rebelle sceptique, furieusement insulaire, qui lutte contre la douleur que suscite en lui une société en pleine régression.

 

Christopher Gérard

 

Alain Montandon dir., Dictionnaire du dandysme, Honoré Champion, 724 pages, 110 €

 

NB : Une regrettable erreur de syntaxe … à la première page.

 

Sur le même sujet, voir mon texte  de 2013 :

 

Dandysme ?

 

« Vivre sa propre contradiction fait de vous un personnage tragique »

Jean José Marchand, La Leçon du chat.

 

Deux ouvrages récents m’inspirent quelques réflexions sur le dandysme, que Roger Kempf, dans son bel essai Dandies. Baudelaire et Cie (1977),  définissait comme « un culte de la différence dans le siècle de l’uniformité ». Comme il le notait avec justesse, la question posée par le dandy - comment rêver sous le régime du divin Progrès ? - exacerbe chez ce dernier (et ce mot, « dernier », ne convient-il pas à la perfection tant le dandy se pose en vestige, dont la devise pourrait être Too late ?), en réponse, la passion de l’insularité, un irrédentisme absolu, poussé parfois jusqu’à la folie.

Vies et mort d’un dandy, du très-prolifique Michel Onfray, déconstruit non sans une trouble jubilation le mythe littéraire du Beau Brummell, favori du Prince de Galles, le futur Georges IV. Onfray souligne le caractère quasi faustien du dandy, dont le sang, loin d’être bleu, se révèle banalement carmin : en un mot comme en cent, le dandy doit lutter pour imposer sa différence et devenir roi de soi-même. Dans le cas de Brummell, le paradoxe tient dans l’arrogance du personnage, suffisant et vaniteux (comme nombre de ses émules postérieurs)… qui invente une religion de l’élégance. Lucide, Onfray voit bien, sans jamais être dupe mais avec un soupçon bien jacobin de ressentiment, que Brummell, en fin de compte, sert de bouffon au monarque. Un bouffon pathétique, surtout après la fuite en Normandie, où l’attend une fin misérable.

En réalité, le mythe du dandy, nous le devons à Barbey, le génial Barbey, écrivain majeur comme  son compatriote Gobineau, qui métamorphose le fat en modèle et, de ce fait, l’invente, l’instrumentalise et donne naissance à un nouveau modèle d’aristocratie, qui ne se fonde ni sur la naissance, ni sur l’argent ni,horresco referens, sur le travail. Baudelaire s’inspirera de Barbey pour mieux cerner encore la figure du rebelle à la massification et à l’égalitarisme bourgeois - « le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences ».

Justement, le deuxième ouvrage, I am Dandy, superbe album de clichés dus au talent de l’Américaine Rose Callahan et dont le texte, très moyen, est l’œuvre d’un thésard, américain lui aussi (quoi de plus anti-dandy, by Jove, qu’un thésard… yankee de surcroît ?), montre par ses limites toutes les ambiguïtés contenues dans le terme dandy. Plus évocateur, le sous-titre en est The Return of the Elegant Gentleman : la galerie de portraits rassemble des hommes considérés par les auteurs comme élégants, ce qui ne laisse pas de surprendre le lecteur européen. Ils auraient bien fait de méditer la sentence de messire Barbey d’Aurevilly : « Tout dandy est un oseur, mais un oseur qui a du tact, qui s’arrête à temps et qui trouve, entre l’originalité et l’excentricité, le fameux point d’intersection de Pascal ». Comment dire, mieux, l’essentiel ?

I am Dandy présente, dans un savant désordre, une phalange d’excentriques et de lunatiques, de dégénérés complets et d’authentiques gentlemen, d’exhibitionnistes, tous unis par la passion du vêtement, le refus de la massification… mais pas de la vulgarité, car, pour citer un aristocrate old school, le cher Ghislain de Diesbach, « l’esthétisme et la recherche à tout prix de la Beauté conduisent en général au ridicule et presque inéluctablement à la vulgarité ». Le tact invoqué par Barbey manque en effet à nombre de ces dandies photographiés avec grâce par Rose Callahan, plus proches en vérité de l’hystérie (masculine) - donc du mauvais goût -, de la névrose obsessionnelle - donc malsaine - et de la mystification (souvent amusante il est vrai, notamment par la création de bulles temporelles) et loin, très loin, de la virilité spirituelle, ascétique et guerrière du rebelle antimoderne.

Amusons-nous à évoquer certains, mes préférés, pour la joie du lecteur : l’Anglo-Irlandais Sean Crowley, chantre du tweed vintage et franc-buveur de cocktails (au gin), collectionneur maniaque de cravates (3000 pièces ?), anglomane sans complexe et qui clame haut et fort son désir de n’être ni sexy ni, Dieux merci, cool. Un New-Yorkais, lui aussi d’origine hibernienne, Peter Mac Gough (ses tweeds !!!), qui vend la mèche : « I’ve seen the future, and I’m not going ». Un autre zinzin de tweed, Gustav Temple, le théoricien du Chapism, doctrine et style de vie « anarcho-dandy », étonnante figure de situationniste conservateur, adepte d’une révolution par l’humour et le tweed.

Les Français Michael Loir, Hugo Jacomet, Marc Guyot (auxquels les auteurs auraient dû ajouter l’orfèvre délicat, le savantissime Julien Scavini) incarnent chacun avec autant de panache que d’exigence le gentilhomme parisien. Quelques Britanniques d’un goût quasi parfait, authentiques gentlemen, tels que l’écrivain Nicholas Foulkes, le pianiste Winston Chesterfield et, last but not least, sans doute l’archétype de l’élégant Londonien, l’historien de Savile Row, James Sherwood.

Une figure étonnante, qui orne d’ailleurs la couverture, celle d’un marquis italien, Mocchia di Coggiola, qui, dans son appartement du XXème arrondissement, à un jet de pierre (précieuse) de la tombe d’Oscar Wilde, prend la pose avec une sorte de génie - le génie du déguisement « from classic Jacobean to gender-bending fascist ».

C’est là précisément que le bât blesse : le dandy se déguise-t-il ? Sa quête de l’excellence, son refus de la médiocrité, la construction de soi doivent-ils le transformer en travesti anachronique ? Imiter le style des 30’, s’habiller en rentier victorien, why not… mais n’est-ce pas un peu court ? Le dandy est-il voué à la mimésis, au voyage dans le temps ?

Même si le dédain pour l’opinion commune fonde depuis toujours, depuis Alcibiade et Catilina, l’attitude dandy, faut-il pour autant exhiber qui un délirant narcissisme, qui un infantilisme stérile ?

Dans une époque de confusion et d’inversion des valeurs, le désir de se singulariser, de surplomber la société et de constituer une Sternenfreundschaft au sens nietzschéen - la fraternité sidérale des Insulaires - et en fait une aristocratie, celles des Pléiades, ne peut, sous peine d’être insignifiant, se réduire au comportement tapageur du pitre de boudoir. Ni au déguisement pathologique, fût-il savant.

Mélancolique, car souffrant de la déréliction et du désenchantement modernes, le dandy assume son décalage (contrairement au snob et au mondain, qui tremblent à l’idée de ne pas être inclus), mais avec tact et mesure, en stratège d’une guerre culturelle, d’une métapolitique en actes. Ses modèles ? Jünger, l’anarque. Nimier, l’officier perdu. Et mon cher Drieu, qui, dans Récit secret, nous livre son secret, celui de « l’homme rigoureusement non-conformiste, qui se refuse à toutes les sottises courantes dans un sens et dans l’autre et qui manifeste discrètement mais fermement une sacrilège indifférence ».

En fin de compte, j’en viens à me demander si, au dandy, terme ambigu, voire frelaté à force de parodies, il ne faudrait pas préférer celui de gentleman, plus en nuances et en sobriété. Tâcher d’incarner le gentilhomme comme idéal d’excellence et d’autonomie, comme rébellion aristocratique contre la barbarie moderne, tel me semble le défi pour les Insulaires d’aujourd’hui et de demain.

 

Christopher Gérard

 

Michel Onfray, Vies & mort d’un dandy, Editions Galilée, 16€.

Nathaniel Adams & Rose Callahan, I am Dandy. The Return of the Elegant Gentleman, Editions Gestalten, Berlin, 45€.

Pour les amateurs, deux titres rares: Eugène Marsan, Quelques portraits de dandys, L’Editeur singulier, 2009 et le Petit Dictionnaire du dandy de Giuseppe Scaraffia, Sand, 1988.

 

 

13 septembre 2016

Avec Arnaud Bordes

 

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Editeur se mouvant avec grâce dans une clandestinité supérieure (voir http://alexipharmaque.net), Arnaud Bordes est avant tout écrivain, et l’un des plus fins connaisseurs de la Décadence et de l’esthétique fin-de-siècle. Des textes rares tels que Pop conspiration ou La Matière mutilée avaient attiré l’attention des amateurs de livres denses et cryptés, parfois jusqu’au vertige, et qui semblent constituer les prémisses d’un grand roman antimoderne. Notre Des Esseintes récidive aujourd’hui avec un double opuscule, mi-récit d’anticipation, mi-journal musical et littéraire.

On attendra Victoire ne peut se résumer : obscur et prophétique, le récit, présenté comme artificiel, date du monde d’après, celui des Barbares. Banlieues en flammes & charniers ou, pour citer Bordes : « villes noircissant dans les fumées d’incendies, pillages, populations déplacées, périphériques ravagés, unités auxiliaires errantes et radicalisées (sic) ». Tel est le tableau, sur fond d’officines occultes, de complots masqués aux yeux d’une opinion sidérée avec art. Pointilliste et avec un je-ne-sais-quoi de flamand, la peinture de cet après-monde contraste avec les souvenirs des divers narrateurs, tous plus ou moins liquidés à un moment ou un autre et qui se souviennent, qui d’une lecture d’Huysmans ou de Villiers de l’Isle-Adam, qui d’un air entêtant de Joy Division ou de Vogelsang.

Parce que l’automne est faux est le journal d’Arnaud Bordes (2004 – 2015), où son travail d’éditeur apparaît (trop) peu. Lectures (names, names, names !), musique (idem), jeunes femmes (anonymes). Paul Morand et Jules Verne (en effet grand romancier initiatique et géopolitique), Ernst Jünger et le regretté Jean Parvulesco, les chers David Mata et Bruno Favrit, et bien entendu Nerval, Eliade, tant d’autres, passent, parfois d’un pas trop rapide, comme si l’auteur avait la tête ailleurs. Fulgurantes, quelques formules claquent : « Tout est plaie depuis la mort des rois ».

Un bémol toutefois. L’avalanche de noms propres, bien que parfois poétique. Des coquilles, nombreuses (hendiadys, Libye…) et surtout la syntaxe, comme relâchée à dessein, par coquetterie « artiste ». Or, même en version décadente, l’écrivain ne doit-il pas, avec l’humilité du chevalier médiéval, vénérer la langue qu’il aime et sert ?

 

Christopher Gérard

 

Arnaud Bordes, On attendra Victoire. Suivi de Parce que l’automne est faux, Editions Auda Isarn, 156 pages, 17 piastres.

 

Voir aussi mes Quolibets

 

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Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer |

07 septembre 2016

Adios ou l'éloge du monde d'avant

littérature

 

Eloge du monde d’avant

 

Auteur d’un Dictionnaire élégant de l’automobile (Rue Fromentin), critique littéraire et de cinéma, Thomas Morales aime les actrices et les voitures des années 50, 60 et 70. Et les films d’Audiard, l’Italie d’avant Berlusconi, la BD et la télévision un peu nunuche de ces années-là. Une sorte de réactionnaire souriant à la mémoire d’éléphant, incollable sur les Alfa Roméo et Nathalie Delon, sur Michel Constantin et Claudia Cardinale, Pilote et de Playboy. Une encyclopédie du monde d’avant, dont il exalte la nostalgie dans Adios, recueil de chroniques parues dans Causeur, Valeurs actuelles ou Service littéraire. Sa devise ? In retro veritas. A le lire, on goûte cette sensibilité passéiste, nourrie d’une impressionnante culture : Ronet et Belmondo, les films de Philippe de Broca et de Michel Audiard, Paul Meurisse (alias Théobald Dromard), Blondin et Berthet, ADG et Malet, La Dame de Monsoreau et Les Brigades du Tigre, tels sont les personnages de ce roman antimoderne d’une France encore préservée de l’horreur techno-marchande, une France où le mot « identité » n’avait aucun sens, puisque tout le monde communiait dans la même liturgie.

Parfois forcée (les années 70 furent, quoi qu’il prétende, un modèle de kitsch aux antipodes d’un âge stylé), la mélancolie de Thomas Morales n’en demeure pas moins communicative, tant son talent d’évocation, qui est celui d’un artiste, fait oublier un instant de justes préventions. Philippe d’Hugues avait en son temps publié chez Bernard de Fallois une fort convaincante défense et illustration des 50’. Thomas Morales s’inscrit à sa manière dans cette filiation, une certaine naïveté en plus.

 

Christopher Gérard

 

Thomas Morales, Adios. Eloge du monde d’avant, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 172 pages, 17€

 

Voir aussi mon Journal de lectures :

 

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