Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10 octobre 2013

Le Monde de Charles Bertin

 

28001100018300M.jpg

Paradoxal Charles Bertin : écrivain secret (surtout en France, puisqu’il était belge et l’on connaît la condescendance de mise à l’égard des écrivains belges), pourtant couvert d’honneurs (prix en rafales, Académie royale, postes multiples), l’homme a laissé, outre des pièces de théâtre, des poèmes et des romans, deux bijoux à découvrir d’urgence : Le Voyage d’hiver * (L’Age d’Homme) et La petite dame en son jardin de Bruges (Actes Sud). Un roman d’amour, un récit de l’enfance, tous deux bouleversants et rédigés d’une plume ferme, adamantine. Deux classiques, appelés à durer, même si la critique universitaire, toujours aussi docile aux modes, semble les négliger - et n’est-ce pas mieux ainsi ?

Neveu de Charles Plisnier (le premier Goncourt belge, en 1937, avec Faux passeports), Charles Bertin (1919-2002) fréquenta dès son plus jeune âge les grands noms des Lettres belges : Roger Bodart, Dominique Rolin, Marcel Thiry, Suzanne Lilar, Georges Sion… Très tôt encouragé par Paul Valéry, Bertin fut donc une sorte de surdoué des Lettres, un enfant du sérail à qui tout réussit. Avocat, puis apparatchik du pilier socialiste bruxellois, militant de la cause francophone, l’homme dépassa par le haut tout ce qui aurait pu le réduire au rang de notable d’une certaine gauche caviar, comme en témoignent les deux chefs-d’œuvre évoqués plus haut. Bibliophile, il se disait écrivain français, ou plutôt picard, fidèle en cela au Manifeste du Groupe du Lundi (1937) selon lequel la Belgique faisait partie intégrante « de cette entité, indépendante de toutes les frontières, qu'est la France littéraire ». Vieux débat entre écrivains français de Belgique et belges de langue française. Le regrette Pol Vandromme, par exemple, se rattachait aux premiers. Mais peut-on qualifier Joyce d’écrivain anglais… même si Cioran, pour n’en citer qu’un, est clairement un écrivain de France ? Vaste problème, mon général. Ce qui est amusant, c’est de constater à quel point Bertin était, comme nombre de ses compatriotes, mêmes francolâtres, marqué par l’univers germanique : Le Voyage d’hiver ne fait-il pas référence au Winterreise de Schubert ?

L’élégant volume que lui consacrent les Archives et Musée de la Littérature, quoique scolaire et inégal, offre une belle occasion de mieux connaître cet écrivain de haut parage qui, toute sa vie, se mit en quête d’un au-delà poétique qui n’est pas celui des dévots.

 

Christopher Gérard

 

L. Pieropan dir., Le Monde de Charles Bertin, AML Editions, coll. Archives du futur.

 

*Amélie Nothomb (prononcer le b final) a, paraît-il, publié un roman sous le même titre. De même, La Souille, le chef-d’œuvre de l’incivique Paul Werrie, publié naguère au Mercure de France, a inspiré un géant des Lettres parisiennes, Franz von Giesbert.

Écrit par Archaïon dans XVII Provinces | Lien permanent | Tags : bertin, littérature belge |  Facebook | |  Imprimer |

07 octobre 2013

Tombeau pour Maurice Ronet

ronet

 

 

 

« Un officier de Stendhal, un cornette », disait de lui son ami Dominique de Roux. Comment mieux décrire le regretté, l’énigmatique Maurice Ronet, qui nous manque depuis trente ans ? « Un iceberg qui frissonne » est aussi très juste, pour citer Jean-Pierre Montal, l’auteur d’un péan en l’honneur de l’inoubliable interprète d’Alain, le suicidé du Feu-Follet. Ce film de Louis Malle ne constitue-t-il pas l’un des sommets du cinéma français, avec Le Samouraï, Le Trou, Le Cercle rouge… et quelques autres ? Lui-même fils d’acteur, Ronet (1927-1983) figura dans plus de quatre-vingts films, dont trop de navets. L’homme n’avait pas de plan de carrière… Qu’importe : sa seule apparition, sa voix blanche et son regard traqué, son maintien de dandy rongé par l’inquiétude - jusqu’au cancer - suffisent à le rendre inégalable. Son ami Nimier ne lui confia-t-il pas : « j’écrivais pour vous depuis longtemps, sans le savoir » ? Quel plus bel éloge que celui de l’auteur du Grand d’Espagne ?

L’émouvant livre de J.-P. Montal, qui se dévore d’une traite, rend bien présent cet homme raffiné, d’une classe intégrale, qui, en raison de sa fascination du vide, devait mal finir, sa trouble séduction, ô combien délicieuse. L’entretien avec l’écrivain Jean Parvulesco, en forme d’apothéose, dit à la perfection ce que Ronet incarna : un mystère, au milieu des crétins. Un prince. Parvulesco m’avait un jour dit que Ronet, parti filmer les rebelles du Mozambique avec Dominique de Roux, ne voulait plus rentrer. De la fascination du crapahut et du pistolet-mitrailleur… Mystique qui s’interrogea sur les sources mithriaques d’un certain catholicisme, lecteur de Céline et mécène de l’acteur Le Vigan (mort dans la misère en Argentine), Maurice Ronet fut un personnage de roman perdu dans une époque vouée à la plus veule médiocrité. Rendons grâce à J.-P. Montal de l’avoir invoqué avec talent et loyauté.

 

Christopher Gérard

 

Jean-Pierre Montal, Maurice Ronet. Les vies du feu-follet, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 20€.

Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent | Tags : ronet |  Facebook | |  Imprimer |