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27 février 2013

Qui se souvient d'Albert Cossery ? Frédéric Andrau.

Qui se souvient d’Albert Cossery (1913-2008), cet écrivain égyptien de langue française qui vécut 56 ans dans une chambre d’hôtel à Saint-Germain-des-Prés ? Un jeune écrivain au moins, Frédéric Andrau, qui lui adresse, d’homme à homme, un émouvant salut où il retrace une vie sédentaire à l’extrême, car bornée par le Café de Flore, la brasserie Lipp, la rue de Buci et les jardins du Luxembourg. Né au Caire d754279.jpgans la bourgeoisie copte, Albert Cossery se découvre très jeune une vocation d’écrivain à laquelle il sacrifie tout : à part les huit livres qu’il publie en soixante-cinq ans, il refusera toute forme de travail et, non sans cohérence, tout statut social, toute propriété matérielle, puisque, à sa mort, ses biens - cravates, pochettes, chaussettes de luxe et vieilles photographies - seront empaquetés dans trois cartons. Après avoir fréquenté le Lycée français et les cercles surréalistes du Caire, Cossery s’installe à Paris en 1945, où, grâce au soutien précoce d’Henry Miller et d’Albert Camus, il se fait rapidement un nom. Noceur infatigable, séducteur aux yeux de braise, il choisit l’oisiveté absolue comme art de vivre et le bronzage comme discipline, pareil aux chats des temples de l’Egypte ancienne. Indifférent à la politique, il lit Stendhal, Céline et Gorki en menant une vie essentiellement nocturne, aux côtés de Genet et de Nimier, de Piccoli et de Greco. Pique-assiette, gigolo et écrivain des bas-fonds du Caire, qui inspirent tous ses romans, car par un plaisant paradoxe, cette légende du microcosme germanopratin n’écrit que des histoires égyptiennes ! Pas une ligne sur les boîtes existentialistes ! Pas un mot sur Sartre et consorts ! Une figure singulière du milieu littéraire, qu’il ignorait superbement. Une sorte de sybarite fasciné par la torpeur, adonné au culte - horizontal - du soleil. Un rêveur à l’élégance voyante, que l’on suit pas à pas, charmé par la musique lancinante de son fidèle biographe.

 

Christopher Gérard

 

Frédéric Andrau, Monsieur Albert. Cossery, une vie, Editions de Corlevour, 20€

 

PS : Deux erreurs à corriger dans le deuxième tirage: Le Grand d'Espagne, de Roger Nimier, n'est pas un roman; et Lipp ne sert heureusement pas de sodas.

 

PPS : Bravo à l'attachée de presse, Guilaine Depis, pour son enthousiasme communicatif !

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25 février 2013

L'Homme sans bagages

Pol-Homme-sans-bagages.jpgAuteur discrète mais appréciée des amateurs exigeants, Emmanuelle Pol incarne un condensé d’Europe, puisque cette Milanaise de père français a passé son enfance en Suisse avant de se fixer à Bruxelles. Son dernier livre, L’Homme sans bagages, évoque  à mots couverts certain « petit pays maussade », ses charbonnages et ses curés, sa capitale de province. Pourtant, le sujet de ce roman réussi plane bien au-delà d’une peinture de la Patrie des Arts et de la Pensée, car Emmanuelle Pol s’est amusée, non sans cruauté, à dépeindre un orphelin au cœur sec, l’étrange S., nomade résolu qui croit choisir la voie que le destin lui impose. Le roman se double d’une réflexion sur les illusions de la liberté, les enchaînements de l’implacable nécessité. Ne cite-t-elle pas, en exergue, Sophocle et Rosset, experts ès tragédies ?

Un orphelin donc, rejeton d’un couple disparu dans un accident de voiture. Un adulte sans attaches, dur à la tâche et point trop sentimental. Un fuyard, qui efface (presque) toutes ses traces, un joueur aussi qui se rit des identités sociales. Après quarante ans de courses et de relatif oubli, le voilà qui revient dans la patrie de son père pour une absurde histoire d’homologation de diplôme - à soixante ans passés !

La rencontre avec la Petite, une juriste frais émoulue, servira de détonateur et, tel l’abeille contre la vitre, l’errant sans remords ni regrets va se disloquer, rattrapé par le rapide destin. Cet homme, qui croyait pouvoir se passer d’un masque, qui se glorifiait de n’appartenir à personne, part en charpie. Comme victime d’une malédiction antique, l’homme si fier de voyager sans valises n’est plus qu’un vagabond exténué ; l’égoïste forcené se repent d’avoir été lâche et ingrat. Un périple dans la Grèce de ses ancêtres rendra possibles d’ultimes retrouvailles.

Servie par un style ciselé au poignard et par un humour septentrional, Emmanuelle Pol nous propose, mine de rien, une tragédie grecque où se croisent Ulysse et Œdipe. Dense, tonique et truffé d’allusions subtiles, L’Homme sans bagages révèle une romancière de talent, qui est aussi une amante de la sagesse.

 

Christopher Gérard

 

Emmanuelle Pol, L’Homme sans bagages, Finitude, 15€

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19 février 2013

Homo eroticus

Professeur à la Sorbonne et l’un des principaux sociologues français, Michel Maffesoli livre dans Homo eroticus la synthèse de ses recherches sur l’essence de la postmodernité. Alors que les grands discours du XXème siècle se fondaient sur le mythe du progrès indéfini et sur un rationalisme souvent réducteur (voire totalitaire comme dans la cas du communisme), il perçoit le resurgissement, par une sorte d’effet du balancier et comme en réaction aux diverses formes d’utopies positivistes, de l’Eros, c’est-à-dire de l’affect, du plaisir et de l’émotion. Aux idéaux souvent abstraits se substitue la quête de communautés organiques et de nouveaux liens sociaux fondés sur des préférences  subjectives. Un nouveau polythéisme des valeurs refait surface, holistique et non dualiste, et qui dépasse les dichotomies de naguère : « C’est en oubliant le rôle de l’instinct dans notre espèce animale que le siècle précédent a connu les pires formes de barbarie », soutient-il non sans un brin de provocation, bienvenue tant nous avons oublié que le refus de notre animalité mène à la bestialité.

 

Christopher Gérard

 

Michel Maffesoli, Homo eroticus. Des communions émotionnelles, Editions du CNRS.

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