29 septembre 2022
Avec Rémi Soulié
A la fin du XIXème siècle, le jeune Maurice Barrès proclame dans La Terre et les Morts que « la terre nous donne une discipline, et (que) nous sommes le prolongement des ancêtres. » Son confrère Paul Léautaud rétorque : « Philosophie d’esclave ! L’enseignement des morts ! N’est-ce pas assez de les subir en soi forcément, sans encore se plier volontairement à eux ? »
Essentiel débat que reprend Rémi Soulié, Cathare de Toulouse, disciple du philosophe Pierre Boutang, spécialiste de Nietzsche et de Péguy. Depuis une vingtaine d’années, Rémi Soulié a publié des livres rares et recherchés où il dévoile par étapes aux happy few un paysage mental des plus singuliers. Justement son dernier essai d’inspiration barrésienne, Racination, est dédié au sanglier – porcus singularis. A rebours du siècle et de sa doxa infectée de néant et de confusion, l’Occitan Soulié part sur les traces de ses aïeux, paysans du Rouergue qui n’apprirent le français qu’au début du siècle vingtième.
Convoquant Homère et Hölderlin, Heidegger et Mistral, tant d’autres poètes et voyants, tous singuliers au suprême, Soulié remonte gaillardement le torrent et fait retour à la racine pour conjurer le grand naufrage moderne, exaltant « l’amitié originelle et émerveillée avec le monde, le dévoilement de l’universelle sympathie analogique ».
Au fil des pages de Racination, essai d’une densité souvent vertigineuse (par la hauteur de la pensée, mais aussi, à certaines pages, par un déluge d’allusions et de références), le cher Soulié, dont le patronyme évoque le soleil du Rouergue (on songe à Soulès, le vrai nom d’Abellio), nous balade parmi les arbres, les fleurs et les pierres, parfois tombales – la terre et les morts, toujours. Ses leitmotive ? « L’émerveillement du naïf et du natif », l’exaltation du lieu comme des liens, la méfiance à l’égard de l’abstraction, qui détache sans pour autant résoudre l’énigme du monde, l’exil intérieur…
A l’identité, trop abstraite à ses yeux, l’indigène Soulié préfère la racination en tant que « conscience d’un héritage à faire fructifier », que « mémoire d’une dette à l’endroit de ceux qui nous ont précédés ». Bref, il se pose, non sans une altière humilité, en débiteur, « homme de devoirs avant d’être un sujet de droits ». Un livre intempestif, d’Athènes et du Grand Midi, où rôdent les figures de Dionysos et de Simone Weil.
Christopher Gérard
Rémi Soulié, Racination, La Nouvelle Librairie, 216 pages, 21€. L'essai avait paru en 2018 chez le regretté Pierre-Guillaume de Roux.
Il est question de Rémi Soulié dans Les Nobles Voyageurs
Écrit par Archaïon dans Mythes et Dieux | Lien permanent | Tags : littérature, philosophie, nouvelle librairie | Facebook | | Imprimer |
26 septembre 2022
Exit Marc Danval
Homme de théâtre, doyen de la radio belge (plus de soixante ans de présence), collectionneur acharné, noceur impénitent, Marc Danval était - cet imparfait est bien pénible à tracer - une sorte d’ogre, un ogre sympathique en diable, doté d’une mémoire prodigieuse et de ce zeste de mythomanie qui rendait sa conversation passionnante. Né en 1937, il avait croisé, disait-il, Hitler et Churchill ; il avait vidé des verres avec les plus grands noms du jazz et de la chanson française ; il avait en fait connu tout le monde depuis les années cinquante, de Nat King Cole à Paul Delvaux, de Pierre Fresnay à Orson Welles, d’Arletty à Michel Simon. Un phénomène !
Issu d’une famille d’artistes - son grand-père, José Sevenants, était pianiste et compositeur -, il avait fait ses débuts au théâtre et au cinéma (avec Gérard Philipe !) avant de bifurquer vers Radio-Luxembourg. La nuit bruxelloise d’un certain âge d’or n’avait aucun secret pour cet habitué de la Rose noire et du Pol’s Jazz Club. Il avait été reçu par Sacha Guitry, son idole de jeunesse ; il avait fréquenté Django Reinhardt, Toots Thielemans et Dizzy Gillespie - bref, il y avait chez lui une dimension quasi légendaire, dont il jouait à merveille : d’ailleurs, Thomas Owen, l’un des maîtres de la littérature fantastique belge le qualifiait de « monstre des lettres belges ».
Cet ami très proche de Robert Goffin était aussi poète, et gastronome, oenophile, chroniqueur littéraire – et aussi généreux donateur de sa collection de vingt mille disques de jazz à la Bibliothèque royale. Un fameux personnage donc, que j’ai été heureux de côtoyer.
Que la terre vous soit légère, Marc Danval !
Christopher Gérard
Vient de paraître : Michel Albas, Marc Danval l’Epicurieux, Ed. Jourdan – La Première.
Écrit par Archaïon dans Hommages | Lien permanent | Facebook | | Imprimer |
21 septembre 2022
In memoriam Henry de Montherlant
Le 21 septembre 1972,
Henry de Montherlant se donnait la mort.
Pensons à lui !
« Je vois qu’arrivé au terme de ma vie j’ai bouclé la boucle, je suis revenu à la foi de mon adolescence, c’est-à-dire à l’absence de foi ; mais sympathie pour la religion, mêlée à amour pour le Grand Pan ».
La Marée du soir (1972)
La voix de Montherlant :
http://www.montherlant.be/audio-32-montherlant-poeme-3.html
Écrit par Archaïon dans Hommages | Lien permanent | Facebook | | Imprimer |
19 septembre 2022
Présence de Max-Pol Fouchet
Exceptionnelle vente de livres rares - plus de 1200 lots - que celle qui se déroulera les 8 et 9 octobre prochains à l’Hôtel des ventes de Mayenne, puisqu’il s’agira de disperser la bibliothèque de Max-Pol Fouchet (1913-1980). Poète, fondateur en 1939 de la revue Fontaine, écrivain, critique, ethnologue, homme de radio et de télévision (Lectures pour tous), l’homme connut tout le monde depuis la fin des années 30 jusqu’à sa mort en 1980, soit pendant le dernier âge d’or de la littérature française. C’est le libraire de la rue Gay-Lussac, Alexis Chevalier, alias Le Pélican noir (http://www.pelican-noir.com/), un homme d’une érudition aussi fantastique que généreuse, qui a rédigé le catalogue de cette vente historique. Il a pu, l’heureux homme, pénétrer dans la maison de l’écrivain, située rue de Bièvre, et restée intacte depuis 1980, telle une bulle temporelle. Le rêve de tout bibliomane, des murs tapissés jusqu’au plafond de livres, souvent en édition originale…
Parmi les pièces remarquables, le manuscrit autographe du poème Liberté de Paul Eluard avec envoi, texte emblématique de la Résistance. Directeur à Alger de Fontaine, revue littéraire « dissidente », Max-Pol Fouchet correspondit avec Aragon, Char, Beckett, Michaux, Artaud, Cocteau – comme en témoignent nombre de lettres mises en vente. Gide et Giono, Montherlant ( deux lettres étonnantes de 1936 sur la guerre industrielle), Saint John Perse et Yourcenar… Et des SP en cascade ; de Butor à Jaccard, de Gary à Triolet, et même Blondin, Abellio, Cioran et Dominique de Roux. Splendides lettres de Georges Mathieu aussi. Bref, une vente historique.
https://www.librairiegaylussac.fr/le-catalogue/
Christopher Gérard
Écrit par Archaïon dans Lectures | Lien permanent | Facebook | | Imprimer |