Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13 novembre 2019

De Somnio Empedoclis

 

 

 

10991357_867015083321266_7012773188789904630_n.jpg

A l'occasion de la réédition en MMXV de mon roman Le Songe d'Empédocle, rencontre avec le responsable du Salon littéraire.

 

Le Songe d’Empédocle a été initialement édité en 2003. D'où vous est venu le besoin de le reprendre ? 

 

Le Songe d’Empédocle a été publié en 2003 grâce au regretté Vladimir Dimitrijević, alias Dimitri, le fondateur de L’Age d’Homme. J’étais venu spécialement de Bruxelles pour le rencontrer à Paris dans sa librairie de la rue Férou, un dimanche soir ! Je lui avais tendu le manuscrit, volumineux. Le humant d’un air perplexe, il avait souri en disant : « cela ressemble à du Elémir Bourges » — dont j’avais adoré Le Crépuscule des Dieux. Un autre lecteur avait comparé le texte à du Petru Dumitriu, grand romancier roumain que je portais déjà très haut — L’Homme aux yeux gris ! Bref, le livre avait paru, de manière quasi miraculeuse, d’autant plus qu’un premier accident de voiture faillit, déjà, tuer l’éditeur au moment de sa parution…

cccccggggg.jpg

 

Livre pour happy fewLe Songe a été épuisé en quelques années, après avoir connu un joli succès d’estime. J’ai même reçu un prix de l’Association des Ecrivains Belges. Je l’ai retravaillé en me servant du rasoir d’Ockham pour retrancher les adjectifs, les adverbes et toutes ces précisions qu’un premier roman comporte. En tout, seize mille mots de moins. Le résultat me plaît, plus dense, plus magnétique encore.


Padraig, le  personnage principal de votre roman, suit un parcours initiatique essentiellement intellectuel, pourtant vous le faites beaucoup voyager. Vous n'envisagiez pas un récit de pur esprit ? 

Dans Le Songe d’Empédocle, Padraig devient Oribase au terme d’une série d’épreuves et d’expériences à la fois rituelles, intellectuelles, psychiques et même physiques. Son initiation ne se réduit pas à un parcours intellectuel stricto sensu. La pratique quotidienne de l’examen de conscience, la maîtrise grandissante du souffle, l’apprentissage du chant rythmé, la mémorisation des doctrines secrètes comme cela se faisait chez les Druides, et surtout le travail accompli sur lui-même pour mieux se connaître, lui et ses failles, tout cela n’a rien d’académique ni de livresque. Plus d’une fois, les larmes viennent noyer son regard…

Les quatre grands périples qu’il entreprend, de Brocéliande à la Rome souterraine, puis du sanctuaire de Delphes aux rives du Gange, ne se résument nullement à des « voyages », puisqu’il s’en trouve métamorphosé, comme révélé à lui-même et dépouillé, en partie, des oripeaux du « vieil homme » qu’il était au départ. Les rencontres avec des hommes et des femmes hors du commun qu’il fait durant cette odyssée scandée par la contemplation des quatre parties d’un polyptique dû à un peintre maudit le transforment aussi en modifiant son niveau de conscience. Padraig est tout sauf un pur esprit : plutôt un homme un tant soit peu éveillé, un homme qui chemine. Un pèlerin. En ce sens, Le Songe d’Empédocle est un roman initiatique, un Bildungsroman à l’allemande — d’ailleurs inspiré en droite ligne des grands maîtres, Hesse et Jünger.

10330228_727358320620277_181558874135693214_n.jpg

Vous parlez de Bildungsroman, mais le parcours de Padraig est loin de celui d'un Wilhem Meister ou d'un Frédéric Moreau. Il y a une épaisseur supplémentaire, comme chez Augiéras, une ouverture aux mystères... 

 

En effet, car le roman, en tant qu’œuvre d’art, doit avoir un effet sur le lecteur : il s’agit bien d’une entreprise de dévoilement, et d’un refus de cet oubli de l’être dans lequel nous pataugeons. Dans Le Songe d’Empédocle, j’ai tenté de témoigner de la présence du divin en y incluant le visible et l’invisible, l’horizontalité et la verticalité. Voyez comment le regard du héros se métamorphose au fur et à mesure de son parcours. Voyez comment l’assimilation du principe de coïncidence des contraires, comment les visions de l’harmonie cosmique parachèvent l’initiation de Padraig. Il s’agit bien de mystères au sens antique, et je m’inscris dans cette lignée qui débute avec Homère et les Antésocratiques. La différence avec le génial Augiéras, dont l’œuvre m’a fortement marqué - Domme est un chef-d’œuvre -, est que cet auteur foudroyé incarne l’initié sauvage. Plus apollinien, mon Padraig est l’héritier d’une chaîne initiatique remontant mythiquement à Empédocle : la Phratrie des Hellènes

Vous rendez un bel hommage au paganisme en l'opposant au mercantilisme d'une époque dévoyée. Pour vous la solution à nos maux passe par ce renouveau spirituel d'un retour aux sources ? 

 

Soumise au triomphe de la marchandise et au règne sans partage du marché, qui modèle (pour les défigurer) les corps, les âmes et les esprits, affaiblie par les termites de la déconstruction, par les pédocrates qui détruisent l’école en criminalisant le principe même de transmission, par les mercantis qui importent des pauvres diables comme des canards en plastique, l’Europe se cherche au bord du tombeau. Toute l’histoire de notre civilisation témoigne de la récurrence d’un retour aux sources, comme à la Renaissance. Ces sources sont polythéistes, gréco-romaines, mais aussi celtes et germaniques, et en tout cas antérieures aux « révélations » abrahamiques, des fables étrangères à notre mental, car porteuses d’intolérance en raison même de leur monolâtrie. Même l’Inde traditionnelle, en tant que société plurielle, peut nous inspirer pour enrayer notre déclin…

Toutefois, je ne crois pas un seul instant à une solution à tous les maux. Le messianisme sous toutes ses formes est le tombeau de la pensée, comme le dogme. Le caractère tragique de notre existence ne s’en trouvera pas modifié : nul salut à attendre d’un retour au paganisme ancestral, mais un autre épanouissement, une autre force vitale, une tout autre liberté que celle des ouailles attendant docilement les consignes d’un pape ou d’un ayatollah. Une autre sagesse, surtout, celle d’Empédocle ou d’Héraclite, de Lucrèce ou de Sénèque, née de l’éveil — aux antipodes de toute soumission.

Exhortation à l’éveil intérieur, défense d’une pensée polymorphe, illustration du lien consubstantiel entre la conscience humaine et les forces cosmiques, exaltation de l’équilibre et de l’harmonie, le roman de première fonction, sacerdotale et magique, Le Songe d’Empédocle peut être lu comme une défense et illustration du paganisme – comme Le Génie du paganisme.

 

Il y a dans votre roman un fond d'anti-américanisme. D'où vous vient ce sentiment et que représente-t-il ?

 

En « Bon Européen » au sens nietzschéen, Padraig n’est guère à son aise dans le monde moderne, au sein duquel il fait plutôt figure d’émigré de l’intérieur. Voyons-le plutôt comme un antimoderne, comme un rebelle à l’Age sombre, qui entend rester fidèle à l’héritage d’une civilisation brillante, celle de l’Europe classique. Son expérience du Grand Jeu (il a un peu fricoté dans le renseignement), sa culture historique et géopolitique lui ont enseigné l’art de lire une carte et de décoder les propagandes. Il voit donc assez clair dans le jeu de ce que j’appelle l’hyperpuissance, hostile par principe à l’avènement d’une Europe libre et indépendante. Padraig n’est pas un isolé, car il appartient à une mouvance, celle des Impériaux, qui refusent la balkanisation et la vassalisation du continent. En ce sens, bien qu’il soit partiellement uchronique, Le Songe d’Empédocle est aussi un roman politique.

 

Vous avez un style délicieusement désuet, non loin du "prurit du mot rare" dont Léon Bloy taxait Huysmans. Comment vous situez-vous dans le temps présent ? 

 

Désuet, mon style ? Vous l’avez déjà dit à propos d’un de mes précédents livres, Osbert & autres historiettes. Ce à quoi, je vous ai répondu ceci : désuet est introuvable dans Littré, car le mot n’apparaît qu’à la fin du XIXe, formé sur le participe du verbe latin desuesco : « je me déshabitue » (merci Gaffiot). Mais c’est tout moi, cela : déshabitué ! Je dirais même plus : décontaminé. J’assume, je persiste et signe : désuet, jusqu’au bout des ongles. Et même suranné, voire archaïque, que dis-je ? attardé. Car je m’attarde (en bonne compagnie) loin des blandices du siècle, je musarde tout en gardant à l’esprit que Littré disait des mots tombés en désuétude qu’ils peuvent difficilement être rayés de la langue vivante.  Désuet peut-être, mais coriace !

 

Propos recueillis par Loïc Di Stefano

 

lesonge-z.jpg

Écrit par Archaïon dans Opera omnia | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |