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27 juin 2019

Prazeres

 

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Cimetière des plaisirs doit être le deuxième livre de Jérôme Leroy (1964), « sans doute un roman », précise-t-il dans sa préface, publié à un âge, trente ans, où « le cœur se brise ou se bronze », pour citer le confrère Chamfort. Après L’Orange de Malte, le jeune écrivain, « un peu égaré », proposait cette sorte de cantilène mélancolique pour chanter les matins pluvieux des Flandres, les femmes perdues, la bière et les tramways. Un professeur de Lettres dans un lycée en zone sensible (i.e. là où la violence sociale apparaît dans toute sa cruauté), un chagrin d’amour et de premiers renoncements plus ou moins définitifs (« On est très présomptueux quand on a vingt-cinq ans »), la conscience de moins en moins floue d’être condamné à brève échéance à une forme de clandestinité (« Il n’y aura plus de bonheur que dans la fuite et le souvenir »), une danseuse professeur de vieil-islandais, un je ne sais quoi de lusitanien (Cemiterio dos Prazeres est le plus grand cimetière de Lisbonne, ville que Jérôme connaît bien), les étudiantes kabyles, les citations récurrentes des ci-devant La Rochefoucauld et de Roux, les Variations Goldberg, et la Belgique si proche (« l’impression d’être entré dans un album d’Hergé ») – du pur Leroy, encore un tantinet maniériste et jongleur. Un livre de jeunesse à l’élégante tristesse.

 

Christopher Gérard

 

Jérôme Leroy, Le Cimetière des plaisirs, La petite Vermillon n° 463, 136 pages, 7.30€

 

Il est question de Jérôme Leroy dans Les Nobles Voyageurs

 

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Écrit par Archaïon dans Mousquetaires et libertins | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |

26 juin 2019

Exit Anne Richter

 

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A la Foire du livre de Bruxelles, printemps MMXII

 

Née d’un couple d’écrivains renommés, Anne Richter a l’écriture dans le sang, puisqu’elle publie son premier livre à l’âge de quinze ans. Auteur de nouvelles, d’essais littéraires (sur Simenon, Milosz, …) et d’anthologies, la voici qui nous revient, avec la fraîcheur d’une rose, à l’occasion de la réédition bienvenue de deux de ses livres.
Sous ce titre étrange, entre ironie et mystère, La grande pitié de la famille Zintram, elle réunit quinze nouvelles dont le style rigoureux, austère même, ne cachera qu’aux distraits la troublante magie qui en émane. Grande lectrice des Sud-Américains (le Bruxellois Cortazar, bien sûr ; Borges, mais en moins cérébral et en plus sensuel) et des Belges (Jean Muno, préféré à Jean Ray), Anne Richter propose des énigmes que le lecteur se voit sommé de résoudre tout seul, comme un grand, ai-je envie d’écrire. D’où le trouble délicieux qu’elle suscite, notre sorcière ! Au lecteur en effet de prolonger l’aventure ; à lui de se risquer dans l’escalier en colimaçon qui l’entraîne insensiblement dans les profondeurs de son propre inconscient, car Anne Richter manipule avec subtilité cette dynamite que constituent les archétypes. Avec un doigté que peuvent lui envier bien des psychanalystes, quelle que soit leur secte… Une magicienne, passée maître dans l’art dangereux des métamorphoses ! Doublée d’une puriste, car ferme est sa langue, et rigoureuse sa syntaxe.

Dans Le fantastique féminin, un art sauvage, lui aussi réédité grâce aux bons soins de L’Age d’Homme, elle poursuit une quête déjà ancienne au terme (?) de laquelle elle peut aujourd’hui proposer une synthèse d’envergure sur la littérature féminine (pour les Belges, Marie Gevers et Monique Watteau sont placées à leur juste place), qu’elle analyse avec méthode sans jamais adopter le ton professoral. L’appel qu’elle fait aux mythes ancestraux s’y révèle plus qu’anecdotique : le fondement même de sa démarche, qui voit dans la féminité, mais oui sacrée, un rempart contre les forces néfastes. Anne Richter s’est souvenue que, dans sa cosmogonie, Empédocle attribue à Aphrodite aux mille parfums le Règne de l’Amour qui tout étreint, en permanence menacé par Arès aux noires prunelles. L’un des chapitres, consacré à l’héroïne féminine vue par les hommes, pourrait à lui seul faire l’objet d’une somme et mériterait d’être développé. Mille pistes de lecture s’ouvrent à nous et bien des textes méconnus ou occultés sont sortis de l’oubli – ce qui constitue sans doute ce que j’appellerais le syndrome Marabout (comprendre : l’influence d’un mystérieux personnage connu sous divers pseudonymes, de Lous à Baronian). Rencontrons donc Anne Richter, écrivain panthéiste, pour mieux cerner le personnage !

Christopher Gérard 

Anne Richter, La grande pitié de la famille Zintram, L’Age d’Homme, collection La petite Belgique. Et Le fantastique féminin, un art sauvage, L’Age d’Homme.

 

 

Rencontre avec Anne Richter



Anne Richer, qui êtes-vous ? Comment vous définir ?



Je suis une femme qui écrit. J’écris depuis mon enfance. J’ai toujours eu ce besoin. C’est plus une exigence qu’un besoin, car l’écriture a pour moi valeur de révélation : elle m’aide à me comprendre et à comprendre le monde. Pourquoi écrire, si ça n’aide pas à vivre ? Si l’écriture ne possède pas ce pouvoir, je trouve l’entreprise vaine et futile. L’écriture m’éclaire, m’apaise, dans les meilleurs moments : j’y découvre des instants de vérités. Il n’y a pas de vérité unique, seulement des heures et des mots vrais. Quand j’écris, j’essaie de trouver ces mots-là –, si je ne les trouve pas, je n’écris pas, je remets mon travail au lendemain, je n’ai pas l’angoisse de la page blanche. Tout doit venir à son heure. Je préfère la qualité des textes écrits à leur quantité : Vladimir Dimitrijevic, le directeur des éditions L’Age d’Homme, m’a dit un jour : « Vous habitez tout ce que vous écrivez, y compris vos anthologies ». J’ai aimé qu’il dise cela, car c’est exactement ce que j’essaie de faire ; j’accorde une importance essentielle à l’expérience de la vie transformée par la maturation intérieure. Cette maturation aboutit à la création d’un recueil de nouvelles ou à un essai, peu importe. Je me suis toujours partagée entre l’analyse littéraire et le monde imaginaire, j’ai un besoin presque physique de passer de l’un à l’autre ou même de les « habiter » l’un et l’autre simultanément. Quand je ne peux pas choisir, je mêle les genres, c’est un exercice périlleux, une gageure excitante à relever. Dans L’ange hurleur et dans Le chat Lucian (L’Age d’Homme), on trouve cette transgression des genres. Seul point commun dans tous mes textes : une adhésion au mystère qu’il faut essayer de décrypter sans le déflorer.



Les lectures fondatrices ? Et que relisez-vous aujourd’hui ?



Quand j’avais 15 ans, j’ai éprouvé un choc salutaire en découvrant Kafka. Cette œuvre-phare m’a accompagnée pendant longtemps. Kafka a dit je ne sais plus où : « Un vrai livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous ». C’est ça que son œuvre m’a fait comprendre : il y a de la cruauté dans toute entreprise artistique véritable. 

Ce que je relis ? Je relis peu. Il est vrai que la littérature actuelle est rarement enthousiasmante, mais j’y découvre malgré tout des œuvres remarquables. En outre, j’essaie d’accueillir ce qui vient : je vis les métamorphoses que la vie m’impose et je ne regarde pas en arrière. C’est ainsi que, parmi les nouveautés publiées, je trouve parfois des trésors : l’œuvre d’Andreï Makine, par exemple. J’éprouve une grande admiration pour ses romans, Le Testament français, La femme qui attendait… Je viens de lire sa dernière œuvre, Le livre des brèves amours éternelles (1) : Makine possède l’art de décrire la réalité de tous les jours dans sa cruauté la plus concrète, mais cette dure réalité s’ouvre tout à coup, comme transfigurée par les fulgurances de la poésie et de la vie intérieure. Parmi les essais, je retiens surtout un livre récent de Tzvetan Todorov, La littérature en péril (2). Un livre capital. Un cri d’alarme.



Et les grandes rencontres littéraires et artistiques ? Des écrivains, des peintres ?



Les découvertes littéraires, je les ai faites surtout en lisant. J’ai eu néanmoins dans ma vie d’écrivain quelques passants considérables : Pierre de Lescure, le directeur de la collection Roman, chez Plon, dans les années cinquante. Je lui avais envoyé mes nouvelles par la poste, c’est lui qui a décidé de les publier, alors que je n’avais que 15 ans. C’est encore lui qui m’a conseillé de persévérer dans la rédaction de nouvelles courtes : « C’est un art difficile que vous possédez d’instinct » m’a-t-il affirmé. A l’époque, Franz Hellens, un grand écrivain belge injustement oublié aujourd’hui, m’a fait l’honneur de consacrer, dans Le Soir, un long article élogieux à ces premières nouvelles. Nous avons par la suite poursuivi une belle correspondance. Il y eut aussi la période de la collection des anthologies fantastiques de Marabout, que dirigeait Jean-Baptiste Baronian : notre collaboration fut fructueuse. J’ai réalisé trois anthologies pour cette collection. Il y eut en outre, il y a encore des amitiés stimulantes ; Georges Thinès, dont j’ai souvent présenté l’œuvre et qui a préfacé la mienne. Son dernier roman, Madame Küppen et l’autre monde (3), est un joyau de l’art fantastique. Parmi d’autres amis de longue date, je retiens Jacques Crickillon, le poète rebelle, ainsi que Jean-Luc Wauthier, le poète du dépouillement et de la rigueur. Mais j’ai aussi entamé d’intimes dialogues avec des écrivains morts, – morts et pourtant si vivants ! Je pense à Maupassant, Tchekov, Simenon, Flannery O’ Connor… Parmi les peintres, j’entretiens une sorte de parenté avec l’univers onirique de David Caspar Friedrich, de Dorothea Tanning, de Balthus…



Et l’éditeur Jacques Antoine ?



Je l’ai connu, oui, c’était un homme aimable et cultivé qui adorait son métier, mais il était, à l’époque, dans sa période déclinante : il a fait faillite juste après la publication des premiers auteurs de sa collection blanche, Guy Vaes, Georges Thinès et moi-même. C’était malheureusement la fin d’un homme et d’une époque. A présent, j’ai l’impression de poursuivre une véritable complicité avec mon éditeur actuel, Vladimir Dimitrijevic. C’est encore un des seuls vrais éditeurs littéraires, à l’heure actuelle.



Vous avez naguère publié « L’Allemagne fantastique », une anthologie devenue mythique. Quelle place occupe le monde germanique dans votre imaginaire ?



Mon anthologie L’Allemagne fantastique de Goethe à Meyrink reste pour moi un merveilleux souvenir. Les prémices de cette anthologie remontent à mes années d’université. J’étais en philo et lettres à l’ULB, je me trouvais totalement immergée dans la philologie et la littérature romanes… J’étais saturée d’auteurs latins, il me fallait refaire surface. Bien que j’aie par la suite studieusement terminé les études que j’avais choisies, j’avais déjà, en candidature, un urgent besoin d’autres horizons, je voulais explorer des mondes nouveaux. J’ai trouvé l’aventure dans l’auditoire d’à côté : Henri Plard, spécialiste et traducteur d’Ernst Jünger, y donnait un séminaire. Hugo Richter, étudiant en philologie germanique, suivait ce cours avec assiduité, car il préparait un mémoire pour Plard. Hugo devait me communiquer sa passion pour les littératures anglo-saxonnes. Nous avons travaillé ensemble, parcouru la France, l’Allemagne, l’Italie tous azimuts. Les contraires s’attirent, paraît-il. Nous reformions dans l’enthousiasme l’alliance Nord-Sud… Nous nous sommes mariés. Nous avons réalisé ensemble l’anthologie des Romantiques allemands. Nous en avons fixé ensemble le choix des textes. J’en ai écrit la préface, Hugo a traduit de nombreux récits. 

A la nouvelle insolite, l’Allemagne a apporté des trésors. J’y ai découvert un fantastique plus original, plus authentique, une dimension métaphysique et philosophique que ne possède pas, la plupart du temps, la nouvelle française. Les historiens de la littérature savent bien, d’ailleurs, que le courant de la nouvelle fantastique au XIXe siècle est né d’abord en Allemagne ; il s’est répandu par la suite en France qui s’en est inspirée. Je garde aujourd’hui encore une admiration sans bornes pour les contes magiques des grands enchanteurs que sont Ludwig Tieck, Chamisso, Hoffmann, Eichendorff… Cependant, j’aime lire également des auteurs fantastiques modernes, comme Günter Grass, La ratte ou Le Tambour, ou Patrick Süskind, Le Parfum : un chef-d’œuvre. 


Vous considérez-vous comme appartenant au courant du réalisme magique ? Ou fantastique ?



Il me semble que le réalisme magique est le seul vrai fantastique ; c’est « le fantastique réel », comme disait Franz Hellens. Jean-Baptiste Baronian, quant à lui, a vu très juste, quand il a dit à mon propos, dans son Panorama de la littérature fantastique de langue française, que la vocation fantastique, pour moi, est capitale : Il est vrai que mes contes « disent avec force qu’il ne pourrait être question d’équilibre et de bonheur sans une adhésion totale au mystère, une métaphysique de l’inconnu (...) Ce n’est jamais une autre réalité qui est explorée. C’est celle de tous les jours, saisie par les fulgurances de l’âme ». (4) 
Il ne faut pas oublier, toutefois, que le réalisme magique est un vaste courant artistique qui s’est développé dans le monde entier, au XXe siècle.  En fait, je me sens plus proche du réalisme magique latino-américain (Gabriel Garcia Marquez, Borgès, Silvina Ocampo) que de Jean Ray, par exemple. Ou du Parfum de Süskind, que des contes de Thomas Owen. J’ajouterai que je ne me sens aucune affinité avec le fantastique d’épouvante ou d’horreur.



L’Age d’Homme réédite entre autres « La grande pitié de la famille Zintram », un recueil de nouvelles étranges où le thème de la métamorphose semble omniprésent… Comme si vous étiez fascinée par un insensible glissement de l’humain à l’animal, voire au végétal…



Ce recueil de nouvelles réunit des textes écrits pendant une période particulière de ma vie, une décennie comprise entre deux événements cruciaux : la naissance de ma fille, sa petite enfance, et la mort de mon compagnon. Ces premières années furent fort charnelles puisque je m’occupais tout le temps d’un très petit enfant (ce qui explique, dans mon œuvre, la symbiose avec la nature, l’animal, le végétal, la femme-chat, la femme-plante). En 1980, au sein de cet univers mythique et un peu léthargique, il y eut l’irruption brutale de la mort, une cassure violente qui s’est manifestée par un brusque changement thématique : la fuite hors de la maison, hors de la vie, le rêve d’envol, d’anéantissement… Or, durant cette même période, durant les années 70, Jean-Baptiste Baronian me proposa d’écrire pour Marabout une anthologie de la nouvelle fantastique féminine. En somme, la théorie après la pratique. Cela convenait à mon désir d’oscillation entre la fiction et l’analyse critique. J’ai donc commencé à rassembler sans idée préconçue le plus de textes possible. J’ai réuni des histoires de toutes les époques, de tous les pays, et en les relisant, j’ai constaté une chose curieuse. Chez toutes ces femmes, certains thèmes revenaient de façon insistante et ces thèmes étaient, le plus souvent, interprétés de la même façon, comme s’ils étaient sortis d’un imaginaire féminin collectif, – le rêve le plus fréquent et le plus significatif étant la métamorphose. Notons que l’imaginaire masculin développe aussi ce thème-là, mais celui-ci n’est pas interprété de la même façon. Dans les textes féminins, la métamorphose en animal ou en végétal devient, la plupart du temps, un accomplissement, une voie élargie et royale ; en quelque sorte, une apothéose. Chez les hommes, au contraire, la métamorphose en animal est très souvent conçue comme une déchéance sordide… On pense aussitôt au Grégoire Samsa de Kafka, ce malheureux transformé en cancrelat, ou aux hommes-loups de Claude Seignolle, ou à la Truie de Thomas Owen… On pourrait multiplier les exemples. Par contre, La nuit aux yeux de bête de Monique Watteau, la fille à la chauve-souris de Pierrette Fleutiaux (pour ne citer que ces conteuses-là) racontent de merveilleuses initiations à une autre vie… Partant de ces découvertes faites dans mon anthologie, j’ai écrit un essai intitulé Le fantastique féminin, un art sauvage (que vient de republier également L’Age d’Homme). J’ai développé dans cet essai l’idée d’une spécificité de la nouvelle fantastique féminine, notamment à travers le thème de la métamorphose.



Vos projets ?



Un recueil de nouvelles, mais ce ne sera plus du fantastique féminin. Mes deux derniers recueils s’inscrivaient déjà dans une thématique différente, un climat moins onirique, plus satirique et ironique. Ce qui n’empêche pas la présence de la poésie.



Bruxelles, avril MMXI 
Propos recueillis par Christopher Gérard



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(1) Andreï Makine, Le livre des brèves amours éternelles, Seuil, Paris 2011
(2) Tzvetan Todorov, La littérature en péril, Flammarion, Paris 2007
(3) Georges Thinès, Madame Küppen et l’autre monde, L’Age d’Homme, Lausanne 2006
(4) Jean-Baptiste Baronian, Panorama de la littérature fantastique de langue française, La Table Ronde, Paris 2007, p.243

 

 

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Avec Anne Richter et Jean-Baptiste Baronian, à la librairie de la Place des Martyrs, MMXII

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