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29 avril 2019

Exit Jean-Claude Albert-Weil

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CG et Jean-Claude Albert-Weil au cocktail organisé en novembre 2000 à L'Age d'Homme, rue Férou, pour la parution de Parcours païen.

A l'arrière-plan, Jean Parvulesco.


C’est à Rome que j’ai appris la disparition en avril du cher Jean-Claude Albert-Weil (1933-2019), l’un des écrivains les plus singuliers que j’ai rencontrés. Cette chance, je la dois à mon ami Marc Laudelout, l’éditeur du Bulletin célinien, qui, vers 1997, attira mon attention et celle de quelques happy few sur un hallucinant roman, mixte de Swift et de Philip K. Dick, Sont les oiseaux.

Alors inconnu, si ce n’est des milieux du jazz où il s’était fait un nom, l’auteur publiait, au Rocher, une uchronie que l’on peut, oui, qualifier de géniale, où il imaginait l’écrasante victoire du Reich en 1940, suivie de l’instauration du Grand Empire eurasiatique, traversé de Dunkerque à Vladivostok par une autoroute monstrueuse, Panfoulia. Roman « visionnaire », comme le qualifiait Jérôme Leroy dans sa quatrième de couverture, Sont les oiseaux fut pour moi un coup de massue, peu ou prou comparable à celui du Voyage, dont Jean-Claude Albert-Weil, qui m’enguirlandait quand je prononçais son patronyme à l’allemande, était un fanatique, lui qui plaçait si haut Céline, mais aussi Swift et Rabelais.

Lorrain par son père, descendant des Juifs du Roi, protégés par Louis XIV, bourguignon par sa mère, de tradition gaulliste et patriote, Jean-Claude rêvait, lui aussi, au retour des Grandes Dionysies, mais au sein d’un empire non-humaniste, « existenciste » et heideggérien, où le jazz aurait été musique officielle et la publicité interdite, comme bien d’autres pratiques « ploutocratiques ». Une bombe donc, à l’ahurissante créativité verbale et d’une liberté de ton qui faisait jubiler le lecteur. L’auteur crut bon de rédiger une suite, sous la forme d’un trilogie : Europia (nouveau titre de Sont les oiseaux dans la réédition), Franchoupia et Siberia.

Je ne fus pas séduit par ces suites dont le délire narratif et langagier me rebuta. Je pense que Jean-Claude Albert-Weil fut l’homme d’un seul livre, un roman-monde où il déversa d’un coup et dans le bon ordre ses phantasmes de démiurge. Je l’avais perdu de vue depuis longtemps, ce qui n’atténue en rien ma peine à l’idée de ne plus revoir cet homme unique qui m’aimait bien.

Sit tibi terra levis !

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05 avril 2019

Avec Gérard Guégan

 

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Un bolchevik amoureux ?

C’est le camarade Thierry Marignac qui, lors d’une de nos activités politico-culturelles (Duvel & chinon), m’a tendu ce court roman d’un ancien journaliste des Lettres françaises et même, horresco referens, de L’Humanité, dont j’avais lu naguère la passionnante biographie de Jean Fontenoy, l’auteur de Shangaï secret (1938), écrivain opiomane, ex-cadre du Parti communiste français, engagé volontaire en Finlande contre les Soviets, collaborateur proche de Drieu la Rochelle, qui se suicide dans les ruines de Berlin en mai 1945.

Ce Gérard Guégan semble en effet fasciné par les destins hors norme, comme celui de Drieu justement, à qui il a consacré un bref roman… un tantinet bavard (comme Drieu et son frère Malraux pouvaient l’être à l’époque). Ou comme, aujourd’hui, celui du révolutionnaire professionnel Nicolas Boukharine (1888-1938), chef de l’Internationale communiste, rédacteur en chef de la Pravda et théoricien de ce que les marxistes russes surnommaient diamat – le matérialisme dialectique. Boukharine fut le successeur désigné de Lénine avant de se rallier sans illusion à Staline jusqu’à sa prévisible élimination. Deux ans avant son procès et son exécution, en 1936 donc, Boukharine est envoyé par le Vojd, le Guide, à Paris pour y négocier l’achat aux mencheviks des archives de Marx et d’Engels. C’est ce voyage que Guégan romance avec un doigté et un sens du rythme d’une redoutable efficacité, au point que l’idée m’effleure d’un scénario de film.

Boukharine comprend très bien que Staline, ce félin, joue avec lui et tente de le piéger. S’il émigre, il trahit ; s’il rentre, ce sera comme espion ou comme saboteur… Le bolchevik parvient à faire sortir sa jeune épouse, qui est enceinte – subtile habilité du Vojd, alias le Grand Equarrisseur (lequel fait songer à l’abject tyran de Sur les falaises de marbre, d’Ernst Jünger), qui tend sous les pieds de sa proie le tapis mortel. Dans ses conversations avec Aragon (grotesque, quand il décrète que Dostoïevski « n’est pas réaliste-socialiste »), Malraux, Renoir ou Nizan, Boukharine ruse et feinte. Jusqu’à la pirouette finale, où Guégan se révèle de première force.

 

Christopher Gérard

Gérard Guégan, Nikolaï, le bolchevik amoureux, Vagabonde, 172 pages, 13.50 €.

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