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12 janvier 2015

Hommage à Claude Michel Cluny

 

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Pour saluer un maître de style et de vie, cet extrait de ce que j'écrivais sur Claude Michel Cluny dans Quolibets. Suivi d'un entretien avec l'écrivain.

 

"Un pessimisme allègre, une vision machiavélienne de la politique comme exercice de la puissance, une misanthropie affirmée  (...)  Un style cristallin, décanté à coups de rasoir, épuré sans jamais verser dans la géométrie. Une férocité hautaine quand il s’agit de sabrer des gloires qu’il juge usurpées. (...) Autre leitmotiv, une réflexion philosophique menée depuis les débuts littéraires, aux antipodes de « l’affreuse métastase venue de Judée », libérée des dogmes abrahamiques et ressourcée dans la Grèce de Pindare ».

 

  

 

Entretien avec Claude Michel Cluny

 

L’Invention du Temps, votre Journal, illustre un permanent exercice de gnôthi seauton. Ma première question sera donc : qui êtes-vous ? Comment vous définiriez-vous ? Pour ma part, j’ai envie de dire un Solitaire. Ne dites-vous pas dans Moi qui dors toujours si bien : « Seul et heureux de l’être sans oubli ni abandon, sans relâchement de la vigilance d’être moi » ?

 

À l’éveil de l’adolescence, passage d’un monde flou dans la vie consciente, je me suis fait une amie de la solitude, dès lors qu’elle se confond avec la liberté d’être. Liberté de rêver, de choisir, de lire, d’inventer voyages et aventures − un peu la cachette dans l’arbre des récits de jeunesse. Non que j’eusse été sauvage : j’eus la chance de fidèles amitiés. Mais je préfère la solitude aux importuns, et ne m’ennuie jamais. J’ai pu vérifier au long de ma vie qu’on ne voyage jamais mieux que seul, que la solitude m’est une force, un temps de ressourcement, une indépendance.

 

Libre, non pas misanthrope ; lorsque mon Journal littéraire, L’Invention du temps, a commencé d’être publié, le peu d’amis anciens que l’âge ne m’a pas ravi s’étonnèrent de ce goût pour la solitude que jamais ils n’avaient décelé au fil des années. Et puis, la vie que j’ai choisie très tôt, animée par les activités diverses, les rencontres, les voyages, exigeait des moments de retrait dus à l’écriture aussi bien qu’à la vie privée. La solitude élue − un luxe rare − vaut une thérapie, bénéfique à l’équilibre de l’esprit comme à celui du corps la pratique d’un sport.

 

Quelles ont été pour vous les grandes lectures ? Vos maîtres ?

 

Celles, en vérité, qui instruisent par le plaisir. Je leur dois le goût de l’histoire et la passion des voyages, les joies du langage et la soif du beau. Les personnages de Dumas me menèrent aux grands historiens, ceux de Verne à la connaissance du monde. L’adolescence me fut une fête de découvertes. Je sais combien je dois à ces émerveillements en vrac, dont les désordres m’apprirent aussi qui j’étais. Trop indépendant, je ne crois pas avoir eu des « maîtres », plutôt des curiosités, des engouements, et des admirations raisonnables : le sage scepticisme de Montaigne, la cruauté sublime de Racine, l’intelligence créatrice de Valéry m’accompagnent encore. Et la leçon politique de Gide, la société moribonde de Proust… Il est vraisemblable que si vieillir renforce nos racines culturelles cela nous rend moins enclins à prêter attention à tant de déjà vu, mais aussi moins d’énergie à lutter contre un déclin de civilisation organisé et consenti. De l’alliance du doute avec la passion, cet inceste, naît peut-être une forme de stoïcisme.

Quelles ont été vos grandes rencontres littéraires?

 

Les années 50 révélèrent à ma génération tout ce que la guerre avait occulté. Une floraison d’ « ismes » en art, musique, littérature. Des plus dommageables de ces doctrines, les religieuses et les politiques, nous sommes loin à ce jour d’être débarrassés.  À vingt ans, de qui se croire ou se vouloir le disciple ? J’eus quelques rencontres de curiosité − Cocteau, bien sûr, Montherlant −, mais je compris très tôt que le temps qu’un écrivain nous donnait était pris sur son travail. Les véritables rencontres ont lieu dans les livres. Quant aux « Lumières » de l’époque, elles se barbouillaient par trop d’idéologies, aveugles, menteuses, meurtrières, pour subvertir mon scepticisme. Je n’ai jamais pratiqué le culte des « Grands hommes », et n’eus pas non plus de rencontre « fondatrice »  − tel front de Claudel avec un pilier de Notre-Dame −, mais des amitiés et la passion de la jeunesse.        

 

Il y a chez vous comme un dégoût très sûr pour « la fallacieuse musique des mots non exacts ». Puis-je dire que votre voie en littérature est la voie sèche et décantée, celle d’un Léautaud ?

 Ce que vous entendez par « écriture sèche » − Stendhal, Léautaud, Valéry ? −, celle de mon Journal littéraire, ou de mes essais critiques, souvent de mes poèmes, de mes aphorismes, tend au plus juste rapport du verbe à l’idée. Une écriture décantée du flou, de l’imprécis, donc de l’inutile par la logique. Soit (j’en accepte le compliment !). Pourtant, l’expression logique n’affronte pas l’indicible − ce qui reste à dire au-delà du dit. D’où les fabuleuses interrogations de la poésie, ce langage dans le langage.    

 

Si l’écriture de mon Journal favorise cette concision que vous remarquez, mes ouvrages de fiction font appel à bien d’autres registres. Je crois qu’une œuvre romanesque suscite son propre langage autant que son rythme et son climat.  Mes romans, de fait, ni mes nouvelles ne se « ressemblent ». Chaque livre exige son espace et son écriture propres.

 

Pourrais-je vous qualifier de libertin du siècle ?

 

Faut-il encore savoir ce que le mot veut dire aujourd’hui. Le sens a passé de la liberté de penser à celle des mœurs. Rien d’illogique dans cet appauvrissement. Il ne subsiste de ces péchés de l’esprit d’analyse et de ceux du désir qu’un inoffensif relent de soufre. Un colloque en Sorbonne, il y a peu, me reconnut comme « poète païen ». J’en suis fier. Le divin est en nous, ou il n’est pas. Si j’avais une religion elle serait solaire ; je hais l’obscurantisme des dogmes qui nous menacent plus que jamais. Le politiquement correct de la « pensée » dominante est tel que les libertés naturelles, à commencer par celle de l’esprit, sont mises en procès ; il écrase jusqu’au langage.  Or, un peuple qui a peur des mots est un peuple asservi.

 

J’eux la chance de la plus grande liberté pour diriger la collection de poche de poésie « Orphée » ; soit quelque deux cent trente titres. Classiques, oubliés ou inconnus. Les poètes donnent une leçon : ceux qui chantent juste demeurent à la marge des modes, et les plus grands s’élèvent toujours contre les interdits de leur temps.

 

Propos recueillis par Christopher Gérard, avril 2011.

 

Il est aussi question de cet auteur dans

mon Journal de  lectures

 

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Écrit par Archaïon dans Hommages | Lien permanent |  Facebook | |  Imprimer |

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