Le retour de Camille Lemonnier
27 janvier 2014
Tour à tour qualifié par ses jeunes confrères de Maréchal des Lettres et de « macaque flamboyant », le très prolifique Camille Lemonnier (1844-1913) se morfond depuis son trépas, juste avant le grand cataclysme, dans un purgatoire immérité. Celui que Flaubert, Huysmans et Zola saluèrent comme un maître passe encore pour un épigone. Paie-t-il, lui qui fut le premier écrivain belge à vivre de sa plume, une fécondité - plus de septante volumes de contes, de romans et d’essais - qui, dans une contrée étriquée, évoque l’ogre plutôt que le sacristain ? Est-il victime, l’auteur du scandaleux Un Mâle, de la cabale des spécialistes, ce colosse qui incarna successivement - quelle audace ! - le naturalisme le plus brut, l’exquise décadence et le primitivisme ? Sa sensualité sans fards, qui lui valut l’ire des puritains de son temps (au pouvoir avec le Parti catholique), a-t-elle laissé des traces dans l’inconscient belge ? Son style baroquisant, ce fameux belgimatias que dénonçait Jean Lorrain, son goût de l’excès agacent-ils nos délicats palais ? Mystère. Le fait est là : il existe un gisement Lemonnier, hélas ! ignoré du public lettré.
Deux livres remarquables de probité fêtent le centenaire de sa mort et annoncent peut-être son retour. Tout d’abord l’imposante biographie, d’une précision maniaque, que lui consacre le romaniste Philippe Roy après vingt ans de recherches - un travail de bénédictin. L’auteur, qui a dépouillé des tonnes d’archives souvent inédites, y suit pas à pas Camille Lemonnier, depuis ses premiers articles dans la presse bruxelloise jusqu’à sa production parisienne. Il étudie par le menu ses relations avec les artistes de son temps, qui fut aussi l’âge d’argent des Lettres belges, quand Bruxelles constituait en Europe un pôle de création dans tous les domaines. Car Lemonnier a connu tout le monde, de Victor Hugo (qui était à ses yeux un mixte de Pan, de Jéhovah et de Bouddha) à Emile Verhaeren.
Ensuite un recueil de 124 nouvelles (sur les 558 recensées), généralement publiées dans la presse parisienne et dont l’action se déroule à Paris, dans les Ardennes et les Flandres. Ces courtes fictions, très variées, où Lemonnier fait preuve d’un sens aigu de l’observation et d’une belle fantaisie, font songer à un Maupassant belge. Voilà peut-être la formule à retenir : Lemonnier ou le Maupassant belge.
Christopher Gérard
Philippe Roy, Camille Lemonnier, maréchal des lettres, préface de Jean de palacio, Académie royale, 370 p., 22€
Camille Lemonnier, La Minute du bonheur, textes réunis par Jacques Detemerman et Gilbert Stevens, préface d’André Guyaux, Académie royale, 430 p., 22€
Les commentaires sont fermés.