Luc Dellisse : Un Sang d'écrivain (24 mars 2020)

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Après Libre comme Robinson. Petit traité de vie privée (Les Impressions nouvelles) et Le Sas (Éditions Traverse), Luc Dellisse aggrave son cas en nous livrant avec Un Sang d’écrivain, une sorte d’autobiographie imaginaire, ô combien révélatrice d’un paysage mental à rebours du siècle.

Il s’agit, sous l’apparence de Souvenirs d’égotisme, d’une somme de réflexions sur le métier, ou plutôt la fonction d’écrivain - et non d’auteur, car Luc Dellisse distingue fort à propos le premier du second. Celui-ci, pour plaire, raconte des histoires et, pour ce faire, en est souvent réduit à tirer à la ligne ; celui-là fait entendre une musique, sa musique (la fameuse « petite musique »  de Céline) et, surtout, joue avec la langue, truffant ses écrits de signes codés qui sont autant d’appels lancés aux lecteurs de haut parage. En clair, l’écrivain est un artiste, forcé de ruser avec le système pour pouvoir lui arracher des moments de liberté grande. Comme Dellisse le perçoit avec lucidité, l’écrivain est un clandestin, une sorte d’agent double soignant ses multiples couvertures.

Il y a du moraliste sceptique et du chroniqueur pessimiste chez Dellisse, conscient de vivre dans une société post-littéraire de jour en jour plus brutale et plus irrespirable : « une ambiance de morosité, de mémoire sélective, de rancœur, de déconnexion de la réalité, d’images brutales et de jeux de rôle baigne l’Europe : une Europe des attentats extrémistes, des machines intelligentes et des administrations folles, des religions cruelles et de la pauvreté ordinaire. Cette ambiance est propre aux fins de règne et aux chutes d’empire. » Lui-même se définit comme « païen, indifférent au sport et dépourvu de tout attachement politique », aux antipodes du clerc progressiste pour qui le passé serait un enfer dont nous serions tous sommés de nous délivrer dans la docilité et la bonne humeur.

Ainsi, Dellisse refuse non sans courage cet avachissement général grimé en quête de liberté : « Au vu des échanges verbaux, des tenues vestimentaires, des comportements sociaux, de l’expression décomplexée de la mauvaise humeur et de la haine, de l’exposition narcissique de sa propre image, du déni d’éducation apporté aux enfants, il me semble que le seul conseil digne de ce nom serait au contraire : « Tiens-toi un peu » »

Disciple de Montaigne, de Stendhal, de Valery et de Morand, notre ami appartient, dit-il, à l’Antiquité : « Par mes lectures, par mes goûts, par mon corps, par mes royaumes, j’appartiens à l’Antiquité romaine et à ses représentations. La religion de mon enfance n’a fait que renforcer cet accord. Je suis aussi peu que possible « judéo-chrétien ». L’indifférence et l’ennui que m’a toujours procurés la Bible en sont le signe discret. Je suis pagano-catholique, rien de plus, rien de moins. Je n’ai jamais éprouvé le moindre attrait pour les monothéismes. Mais j’aime les petits dieux de l’instant, et toutes les saignées fugitives de l’éternité. »

M’est-il permis, juste pour la forme, un léger bémol ? Cette absurde condamnation du subjonctif imparfait, qui n’a rien d’une « pompe »  mais tout d’une musique (Lulli, Haendel…) et d’une esthétique, par la grâce de l’accent circonflexe.

 

Christopher Gérard

Luc Dellisse, Un Sang d’écrivain, 154 pages, 20€

 

 Voir aussi :

 

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