Le Cheval rouge, d'Eugenio Corti (22 mars 2020)

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Il y a une quinzaine d’années, sur les pressantes exhortations de mon éditeur Vladimir Dimitrijevic, je lus, d’une traite, Le Cheval rouge, le magnifique roman-fleuve d’Eugenio Corti (1921-2014). Bien m’en prit, tant cette lecture fut pour moi, comme pour des milliers d’autres lecteurs, bouleversante. Le regretté Dimitri m’avait dit et répété sur tous les tons qu’il s’agissait d’un chef-d’œuvre, que je devais lire ce livre publié par miracle par un petit éditeur et qui, malgré le silence obstiné de la critique officielle d’obédience matérialiste et égalitaire, gagnait de nouveaux lecteurs par milliers, par le simple bouche à oreille.

 

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C’est dire mon émotion quand j’ai reçu sa belle réédition aux éditions Noir sur blanc, qui reprennent, sous la houlette de mon ami Marko Despot, naguère responsable éditorial à L’Age d’Homme, les titres publiés in illo tempore par Dimitri dans une collection justement intitulée La Bibliothèque de Dimitri.

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Il y a des livres qui sont des talismans et des signes de reconnaissance ; Le Cheval rouge, si j’ose dire, incarne l’un d’eux. Comment résumer mille quatre cents pages relues avec passion ? Disons qu’il s’agit d’une fresque à la fois épique, comparable aux grands romans tels que Le Guépard ou Guerre et paix (dont il constitue une forme de synthèse), qui nous fait partager la vie – et parfois la mort tragique - d’un groupe de jeunes gens d’un hameau de la campagne lombarde de 1940 à 1975.

L’entrée en guerre de l’Italie, le fascisme théâtral et en fait débonnaire (pour ne pas dire ridicule avec sa rhétorique matamoresque), la campagne de Russie et surtout la terrible retraite à partir de l’hiver 42, les carnages d’Afrique et des Balkans, Monte Cassino et le goulag soviétique, l’atroce guerre civile dans le Nord entre Rouges, Noirs et Blancs, l’après-guerre et ses mutations, tout défile au sein de cette impressionnante fresque sociale et politique, mais aussi et surtout spirituelle. Car le roman est apologétique, avec talent, sans une once de mauvaise foi. Un non-chrétien, pourvu qu’il ait le sens du sacré, partagera les émotions de l’auteur, et nombre de ses analyses sur le nihilisme moderne. En authentique artiste, Corti parvient en effet à rendre la présence du divin – ce que peu sont capables de faire. De même il parvient, au fil des pages, à donner une splendide illustration de l’âme italienne*. Roman sur la grâce et sur le destin, en grande partie autobiographique (la retraite de Russie), Le Cheval rouge est aussi un chant inspiré en hommage à l’Italie traditionnelle, celle des paolotti, les catholiques pratiquants. Anachronique au sens noble du terme, torrentiel et en même temps ordonné, émouvant avec intelligence, Le Cheval rouge se révèle comme l’une de ces lectures qui nourrissent l’âme et qui vous marquent à jamais.

 

Christopher Gérard

 

Eugenio Corti, Le Cheval rouge, Editions Noir sur blanc, 1400 pages, 32€

 

* J’écris ces lignes en pleine pandémie, alors que mes pensées vont à ce pays qui est l’une de mes patries.

 

 

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