Exit Bernard de Fallois (05 janvier 2018)
La mort d'un gentilhomme
Triste début d’année XVIII, qui voit la disparition d’un géant de l’édition française, en fait son doyen, Bernard de Fallois. Né en 1926 dans une famille d’officiers issus de la noblesse lorraine, Bernard de Fallois était agrégé de Lettres classiques : avant d’entrer dans l’édition, il avait été professeur, notamment à Janson-de-Sailly (où il fut le maître de Christian Millau, futur auteur de son écurie, notamment du très allègre Au Galop des Hussards).
Au moment de choisir un sujet de thèse, comme il évoquait, devant un ponte de la Sorbonne, son intérêt pour Marcel Proust, il s’entendit répondre que mieux valait choisir un auteur plus connu ! Fallois s’entêta, il faut toujours suivre sa pente, et prit langue avec la famille de l’oncle Marcel, qui lui ouvrit son armoire aux trésors. Et là, miracle, le jeune agrégé fut l’inventeur de deux inédits de Proust, Jean Santeuil et Contre Sainte-Beuve, qu’il édita, à moins de trente ans, chez Gallimard.
Vers la même époque, Fallois participa aux côtés de son ami Roger Nimier aux aventures d’Opéra et d’Arts, parmi les plus anticonformistes revues de l’après-guerre. Fallois y scandalisa nombre de bien-pensants, par exemple en défendant haut et fort Les Deux Etendards de Lucien Rebatet, immense roman qualifié à juste titre de chef-d’œuvre. A l’époque, Bernard de Fallois fut l’un des rares à saluer le talent du terrible Rebatet, qui moisissait encore sur la paille des cachots républicains. A gauche, Etiemble et Steiner prendront sa suite. Le plus amusant est que, langue de vipère, Rebatet avait trouvé l’article de Fallois « trop lyrique ». Après sa libération, Rebatet put compter sur l’aide du jeune critique littéraire.
Ami de Marcel Pagnol et de Simenon, à qui il consacra l’un des premiers essais d’importance, Fallois fut aussi proche d’Emmanuel Berl et de Raymond Aron - plaisant paradoxe chez ce défenseur de Bardèche, qui, selon une tenace légende, aurait assisté aux funérailles de Brasillach.
Devenu rapidement un notable du monde de l’édition, PDG aux Presses de la Cité, patron chez Hachette, co-fondateur du Livre de Poche, Bernard de Fallois lança sa propre maison en 1987, à plus de soixante ans. Le succès fut immédiat tant l’homme était prudent, madré… et surtout lucide. Huit cents titres en trente ans de travail acharné témoignent du talent de cet éditeur d’une exquise courtoisie, comme en témoignent ses lettres et bristols.
C’est grâce à lui que Jacqueline de Romilly, la grande helléniste, devient un phénomène éditorial et toucha des dizaines de milliers de lecteurs. Tout le monde se souvient du succès ahurissant de Joël Dicker, mais il ne faudrait pas oublier que le manuscrit de cette romance avait été découvert par son vieux complice Vladimir Dimitrijevic, le patron de L’Age d’Homme, qui, sentant le filon, lui proposa de le coéditer.
Pour conclure, ce grand gentilhomme fut certes l’éditeur de grands esprits, Braudel, Peyrefitte (Alain) et Zinoviev, tant d’autres encore. Surtout, il nous offrit une pléiade d’auteurs rares, le regretté Volkoff ("il reste un des grands personnages que j'ai rencontrés dans ma vie d'éditeur", m'écrivait Bernard de Fallois peu après la mort de notre ami commun), mon compatriote et ami Jean-Baptiste Baronian, le très secret Louis Védrines et l’immense érudit François-Georges Dreyfus, le proscrit Alain de Benoist et le stendhalissime Philippe Berthier.
Que la terre vous soit légère, Bernard de Fallois !
Christopher Gérard
Un autre géant de l'édition, et un grand ami de Bernard de Fallois, Vladimir Dimitrijevic, alias Dimitri.
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