Matzneff noster (16 novembre 2015)
Récemment, je terminais l’une de mes chroniques consacrées à Gabriel Matzneff en rappelant que, quoi que grommellent les envieux, ce disciple d’Epicure compte parmi les rares classiques d’aujourd’hui.
L’opportune réédition de Boulevard Saint-Germain, augmentée d’une magnifique préface, m’offre l’occasion de confirmer ce jugement : quelle fluidité de la langue, quelle aisance à invoquer les ombres comme à chanter les plaisirs de l’existence, quel éloge de Paris, la cité de l’empereur Julien !
Voyez ces lignes : « Souvent, lorsque je suis à Paris et que l’air est doux, je vais m’asseoir sur un banc du square de Cluny qui, entre les ruines du palais et l’asphalte du boulevard Saint-Germain, forme un timide asile de verdure, et, fermant les yeux, je me dis : « Rentre en toi-même, Gabriel, et comprends que c’est ici, oui, ici, que le Génie de l’Empire est, en cette nuit mémorable, apparu à Julien. » Quelle plus belle évocation, digne d’un mage de l’ancienne religion, que celle d’une nuit glaciale de février 360, quand les troupes celtes révoltées portèrent sur le pavois le jeune Julien, proclamé empereur à Paris ! L’aventure, trop courte, de Julien II dit l’Apostat commençait. Et voilà que l’orthodoxe Matzneff s’exclame : « rien n’est plus digne de respect que la tentative de restauration opérée par Julien : offrir à nouveau des sacrifices sur les autels abandonnés de Vénus et de Bacchus ».
A l’époque de la première édition, en 1998, Paris n’avait pas encore honoré son premier empereur (le second étant Napoléon). Contrairement à ce que m’écrit l’ami Matzneff dans son envoi manuscrit, cet oubli a été réparé, puisqu’une venelle du XIVème arrondissement porte l’illustre patronyme. A l’époque, j’avais eu l’heureuse surprise de découvrir que je figurais parmi les personnages de ce roman parisien, aux côtés de S.A.I. Julien II, de Casanova et d’Armani, de Montherlant et de Bourvil…
Matzneff nous fait visiter son Paris, ses librairies et ses restaurants, ses salons (celui de Jacques de Ricaumont, détenteur d’une recette mythique de gâteau au chocolat) et ses boutiques. Il nous éblouit par un savoir d’une parfaite élégance.
Boulevard Saint-Germain ? Un hymne au bonheur, à lire et relire en hommage à la cité en deuil. Une pérégrination urbaine, tour à tour drôle et érudite, coquine et émue, un fragment de mémoire que nous laisse ce libertin de race, qui masque à peine une âme inquiète, en laquelle s’équilibrent virilité et sensibilité.
Christopher Gérard
Gabriel Matzneff, Boulevard Saint-Germain, La petite vermillon, La Table ronde, 8,70€.
Sur Gabriel Matzneff,
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