Julien Scavini, arbitre des élégances
21 mars 2024
Il y a bientôt dix ans, je félicitais un jeune tailleur parisien, Julien Scavini, de publier d’intelligentes réflexions sur l’élégance masculine sous la forme d’un album illustré avec goût, intitulé Modemen, avec un clin d’œil aux amateurs de cette fameuse série US qui a tant fait pour remettre à l’honneur une esthétique classique. Lorsque je lui rendis visite dans sa ravissante boutique située à quelques encablures des Invalides, Scavini m’ expliqua que, au départ, il avait une formation d’architecte et qu’il avait appris le métier de tailleur par la suite. Pourquoi avoir abandonné l’architecture ? La crise, et surtout une formation par trop cérébrale négligeant le goût et le bon sens au profit d’un radotage postmoderne (Bourdieu, Derrida & tutti quanti). Surtout : la passion du beau ; le goût des étoffes ; la volonté d’illustrer et de défendre une élégance intemporelle. Car Scavini tenait déjà clairement et sans faiblir pour l’élégance anglaise, dans la lignée de l’illustre James Darwen, l’auteur d’un livre talisman, hélas épuisé, que tout gentilhomme a posé sur sa table de chevet, Le Chic anglais.
Julien Scavini récidive avec un autre splendide album, Billets d’élégance, dont toutes les illustrations sont de la main de l’auteur, dans un style que je rapprocherais de la ligne claire, celle d’Edgar-Pierre Jacobs. Pas une seule photographie donc, mais des dessins soignés… En près de deux cents chroniques, courtes, allant à l’essentiel avec un sens certain de la formule et un vocabulaire d’une précision maniaque (ô combien bienvenue en ces temps de confusion systématique), notre esthète, qui se révèle aussi discret moraliste, propose des réflexions un tantinet désabusées mais non dépourvues d’un humour très British, non pas sur la mode, qui n’intéresse que les conformistes, mais sur le style, par définition intemporel. C’est précisément ce que j’adore chez Scavini, cette indépendance d’esprit, ce conservatisme de bon aloi, sans rien de borné. Son courage aussi, car il rompt quelques lances contre la tendance universelle à l’avachissement. Ainsi, sa défense argumentée du costume me ravit : « Texture de l’étoffe, qualité de la coupe, accord avec une cravate, illusion de la pochette. Ainsi l’on s’amuse et l’on s’invite en société à l’étage que l’on veut ». Chaque matin, choisir un costume, une chemise, une cravate, la pochette et les souliers, relève d’un exercice de connaissance de soi et d’une forme supérieure de politesse. Avec lucidité, Scavini voit dans la disparition progressive du costume « un abandon du sens et de la profondeur », « un mouvement mondial d’abaissement du sens ». Superflus, le costume, la cravate, la pochette ? Ils sont le piment de l’existence, et l’aboutissement d’une recherche esthétique séculaire. Porter, contre vents et marées, une cravate, un nœud papillon ou un foulard, c’est résister à la boue du nivellement. Comme lui, je place très haut la simplissime cravate en tricot, celle qu’affectionnaient Lino Ventura ou Jean d’Ormesson. Et son éloge du fer à repasser ! L’ultime luxe aujourd’hui, quand on sort : repérer les rares chemises repassées (ne parlons pas des chaussures cirées et brillantes comme des miroirs…).
Moraliste, Scavini sait que l’élégance, qui ne dépend pas des moyens (via le commerce de seconde main, les soldes & les puces) est une haute forme de culture et le fuit d’un apprentissage – un construction de soi. Citons-le une dernière fois pour la route : « rendre les choses belles et distinguées est l’un des chemins du bonheur ».
Christopher Gérard
Julien Scavini, Billets d’élégance, Alterpublishing, 212 pages, 45.60€
Les commentaires sont fermés.