Agir ou subir ?
02 août 2022
A priori, je ne puis accorder, je le concède sans fausse honte, un seul atome d’attention à toute cette littérature managériale et/ou de bien-être du style « produire dans la bonne humeur bio » ou « danser avec les arbres ». Les PuissancePoints me font somnoler ; les conseils de requins auto-satisfaits me donnent la nausée. Quant aux niaiseries New Age…
Pourtant, quand j’ai vu que Raphaël Chauvancy (°1978), dont j’avais lu le bel essai sur Jacques Laurent, sans doute le plus doué des Hussards, copubliait, avec un spécialiste en intelligence économique, Agir ou subir ?, je l’ai commandé sans hésiter, curieux de voir ce que cet officier supérieur des Troupes de marine (garder la minuscule, merci), détaché au sein des Royal Marines de Sa Gracieuse Majesté, avait à dire sur le rôle de l’esprit commando dans les projets personnels ou professionnels.
Je ne suis pas déçu par la haute tenue de l’essai, qui s’abreuve aux meilleures sources : Sun Tzu, le Maréchal de Lattre (« Ne pas subir ! ») ou encore René Quinton, l’auteur trop méconnu de puissantes Maximes sur la guerre. Raphaël Chauvancy utilise sa formation acquise dans les forces spéciales pour définir, dans un style aussi mâle que limpide, comment penser pour vaincre. Et vaincre signifie refuser de subir : il aurait d’ailleurs pu citer Dominique Venner : « Exister, c’est combattre ce qui me nie ».
Or, la vie sociale, culturelle, politique ou économique est toujours un terrain d’opération, avec ses vainqueurs et ses vaincus. Pour citer mon cher Héraclite : le conflit est le père de toute chose.
L’objectif de notre centurion est bien « d’extraire de l’ethos militaire l’état d’esprit et les approches transposables dans le monde civil », d’adapter à notre temps les valeurs cardinales de la deuxième fonction indo-européenne, celle des Kshatriya de l’Inde ancienne ou de notre noblesse d’épée : courage (« la première des qualités humaines » selon Aristote, l’éducateur d’Alexandre) et excellence, unité et adaptabilité, humour et humilité, joie et abnégation, et enfin détermination. Ces neufs valeurs doivent cohabiter à un niveau similaire chez le même homme (la même femme) pour constituer une chaîne incassable.
La devise des commandos, Who Dares Wins, « Qui ose gagne » est centrale dans cette préparation mentale aboutissant, écrit Chauvancy, à « la joie d’être l’artisan de sa propre vie, l’architecte, le bâtisseur et l’occupant de son temple intérieur ». À rebours du siècle, triste et geignard, notre officier exalte ce courage, unanimement loué mais rarement apprécié dans la vraie vie, sans doute le plus difficile, celui de « s’opposer aux idées reçues, de refuser les mimétismes et de combattre les dogmes ».
Deux chapitres m’ont particulièrement marqué, celui sur l’humilité et celui sur l’humour. La première qualité, dont je ne pense pas être excessivement pourvu, permet d’observer sans œillères un adversaire ou une situation de crise. Les grandes raclées ne sont-elles pas surtout dues, non pas à un manque de renseignements, mais plutôt au refus de voir ce qui est… et ce qui dérange le plan ou l’image tronquée, rassurante, que l’on se fait de la réalité ? Chauvancy rapproche fort à propos cette vertu d’humilité de la sôphrosynè hellénique, cette tempérance et cette modération propres aux meilleurs. Très justes aussi, ses propos sur la nécessité de l’humour, si possible mordant : créateur de confiance et de cohésion chez les camarades et déstabilisateur pour l’ennemi, qu’il enferme et paralyse dans une bulle cognitive – le piège du faux sérieux.
En valorisant comme il le fait la dureté et le refus des fausses fatalités, l’élan vital et la joie de l’effort, la discipline et le panache, Chauvancy fait avec une magnifique vigueur l’éloge de l’esprit corsaire, qui résiste aux normes comme aux rassurantes impostures.
Christopher Gérard
Raphaël Chauvancy & Nicolas Moinet, Agir ou subir ? L’esprit commando pour muscler votre projet professionnel ou personnel, Dunod, 156 pages. Voir aussi, Jacques Laurent, dans la collection Qui suis-je ? des éditions Pardès.
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