Avec Jacques Chardonne
15 mai 2014
« Un homme plein de passion et de désordre qui ne parle que de raison » : tel est défini l’écrivain Jacques Chardonne (1884-1968) par un jeune admirateur, Alexandre Le Dinh, qui, non content d’animer un site littéraire non-conformiste (http://www.denecessitevertu.fr/), lui consacre un essai réussi à la riche iconographie. Esthète anglo-saxon de langue française - et quelle langue : sèche et toute en ellipses, d’une magnifique pureté mais pleine d’énigmes -, Chardonne fut à la fois le romancier de l’amour conjugal, l’éditeur de Valéry ou de Zweig et l’auteur d’une correspondance (avec son jeune ami Nimier, avec son complice Morand) qui compte. Issu d’une lignée patricienne de Charente et de Protestants américains installés à Limoges, les célèbres Haviland des porcelaines, Chardonne pratiqua pendant quarante ans le métier de gentleman-éditeur, l’art de la conversation comme sous Louis XV tout en ciselant des livres un peu oubliés aujourd’hui, à tort comme le montre Le Dinh. Un mauvais procès à la Libération, dû à deux imprudents voyages à Weimar sous la houlette de la Propagandastaffel de l’ambigu Heller, lui valut six mois de promiscuité forcée, un non-lieu ainsi que l’ostracisme tout sauf désintéressé de la gent littéraire (comme disait Arletty : « tu as du talent, je n’en ai pas ; faut que ça change ! »), qui ne s’estompa que grâce à l’action de Nimier et de ses amis, dont Chardonne devint en quelque sorte le colonel honoraire. Fut-il « le meilleur écrivain de l’après-Proust », comme le soutient son passionné biographe ? Peut-être… mais sûrement le mainteneur du génie classique, le maître d’une littérature à la lucidité désenchantée, ponctuée à la perfection et d’une phénoménale culture, et, last but not least, un exemple de moraliste français, lui qui prétendait que « nous donnons trop d’importance à notre opinion sincère ; ce sont presque toujours aigreurs secrètes ». Chardonne ? Un écrivain d’élite réservé aux irréductibles.
Christopher Gérard
Alexandre Le Dinh, Jacques Chardonne, Pardès coll. Qui suis-je ?, 128 pages, 12€
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