Avec Corinne Hoex
17 février 2016
Valets de nuit
Trente-trois courtes nouvelles pour cerner les fantasmagories d’une femme qui rêve à ses rencontres avec des hommes singuliers : l’astrologue solennel, le boucher érotomane, le pompiste odorant, le maître-nageur sculptural, l’institueur sadique, l’évêque pris de frénésie partageuse… Entre deux métamorphoses en pieuvre ou en nuage, en côte de bœuf ou en chatte, nous participons, émoustillés et conquis, aux délires sensuels d’une poète. Et quel éloge du corps masculin, mine de rien.
Coquin, le ton du recueil est donné dès l’exergue par cette citation de Labiche : « Mon Dieu ! Comme vous avez un grand lit ! Vous comptez recevoir ? » Non, pas le moindre bâillement dans le lit de cette donzelle dont la prose ciselée avec art nous cajole et nous stimule sans jamais nous endormir. Démonstration au lecteur dubitatif : « Je suis une forêt ténébreuse. J’ai de grands arbres aux racines noires, des taillis profonds et de sombres futaies, des ravines, des broussailles, des orties et des ronces. J’ai des hêtres immenses, des chênes orgueilleux. J’ai des clairières aussi, des trouées d’herbe tendre où la lune pénètre et caresse mes mousses. J’ai des fées, des sorcières, des ogresses, des elfes. J’ai des divinités, des nymphes, des ondines et de charmantes dryades qui paressent mollement parmi les frondaisons. Et j’ai des biches, bien sûr, des renardes, des louves, des fourmis, des libellules… » Alors, heureux ?
Corinne Hoex : une voix qui compte en notre bel aujourd’hui.
Christopher Gérard
Corinne Hoex, Valets de nuit, Les Impressions nouvelles, 160 pages, 14€
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Dans son dernier opus, qu’elle aurait pu intituler Caput, Corinne Hoex, clairement victime d’une crise de céphalophobie aiguë, nous invite à perdre la tête. Décollations apparaît en effet comme une sorte de dérive insolite où l’auteur s’amuse au rythme de variations loufoques et pleines d’une juvénile fantaisie à jouer avec l’idée de décapitation. Macabre ? Nullement, tant Corine Hoex, en virtuose de la langue (qu’elle n’a pas dans sa poche), excelle dans l’art de l’improvisation, à l’instar de ces stars du jazz - car c’est au jazz que fait songer Décollations :une jam session. Tout part de l’idée d’une femme acéphale, qui n’a donc plus - si elle l’a jamais eue - la tête sur les épaules. Oubliés, par conséquent, les migraines, les dentistes et les coiffeurs. Plus rien ne lui reste en travers de la gorge à cette tête de linotte. Ni portugaises ensablées, ni chaudes larmes. Et quels prestigieux précédents : le philosophe Boèce (et non Boège, Corinne : où aviez-vous donc la tête ? Que l’on coupe celle du directeur de collection !), S.A.R. Marie-Antoinette, la citoyenne Charlotte Corday, et tant de saints ? Tour à tour coquine (privée de tête-bêche), érudite (elle en a du plomb dans la cervelle !), Corinne Hoex désarçonne avec maestria, manie l’implicite et le jeu de mots, usant d’une riche palette de vocabulaire et d’allusions, non sans crâner, pour le plus grand plaisir du lecteur, qui opine du chef.
Christopher Gérard
Corinne Hoex, Décollations, L’Age d’Homme, 90 pages, 14€.
Dans le même registre, voir Ma Deuxième langue, Les feuillets de corde, 2€
Il est question de Corinne Hoex dans mon Journal de lectures
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