Exit Jean Parvulesco
24 novembre 2010
« Poésie, essais et roman, j’écris dans un but de combat, dans un but de guerre eschatologique finale »
Jean Parvulesco, Entretien avec Olivier Germain-Thomas
Tout Parvulesco se retrouve dans cette sentence : la littérature comme art martial, l’Endkampf, la hantise du salut. Décédé le 21 novembre, Jean Parvulesco était l’un des écrivains les plus singuliers et les plus secrets de ce temps. Forçat et fugitif, agent clandestin et activiste des profondeurs, essayiste et noctambule, poète et romancier, il aura coiffé toutes les casquettes, - en plus de cette vilaine casquette bleu marine que je lui vis lors de notre première rencontre en 1994. Je venais de lire son roman métaphysique, L’Etoile de l’Empire invisible, que le cher Guy Dupré qualifia justement d’intrusion du tantrisme en littérature et qui, à peine terminé, avait suscité en moi l’un des cauchemars les plus terrifiants de mon existence. Juste une voix, celle de Parvulesco, psalmodiant une litanie dans une langue inconnue (un peu comme dans Eyes wide shut, de Kubrick) ; la vision d’une cave où se déroulait je ne sais quel rituel. Par une coïncidence des plus troublantes, dans la nuit de dimanche à lundi, c’est-à-dire ce 21 novembre MMX, un autre cauchemar, encore plus terrifiant, m’a réveillé le cœur en folie et le cerveau en ébullition jusqu’à l’aube. Il me plaît d’imaginer que Jean m’a adressé un ultime message en forme d’archétype. Aujourd’hui, c’est mon âme qui est en peine à l’idée que, jamais plus, nous ne reprendrons nos conciliabules sur l’axe grand-continental Paris-Berlin-Moscou-New Delhi-Lhassa-Tokyo, sur l’Ile du Milieu du Monde et sur la France, la France royale que ce métèque voyait – car c’était un voyant – comme une conjuration à la fois héroïque et salvatrice. Attentif à mon travail d’éditeur de la revue Antaios, dont il me répétait dix ans après son entrée en dormition qu’il en portait encore le deuil, Parvulesco fut l’un des premiers, avec Michel Mourlet, à m’encourager à prendre la plume une fois pour toutes, - à devenir écrivain. Parmi les souvenirs qui affluent, cette entrevue en juin 1994, dans une brasserie du XVIème, avec Alexandre Douguine, héraut de l’école eurasiste, d’autant plus grandiose que nous sortions, Alexandre et moi, d’un déjeuner bien arrosé avec un ancien trotskyste des années 30, un temps proche de Marcel Déat avant, entre autres aventures, de diriger le Crapouillot. Peu après, j’apprenais avec stupéfaction que, bombardé Membre du Jury des Treize, j’avais ainsi attribué un prix à Jean l’Enchanteur! Je lui ai adressé tous mes livres, qui chaque fois m’ont valu une lettre confidentielle de la Société Philosophique Jean Parvulesco ou l’un de ces bristols du Groupement d’Action et de Recherches Géopolitiques Avancées (le Délégué général). Mon premier livre, Parcours païen, lui inspira une longue dérive parue dans Contrelittérature et reprise dans La Confirmation boréale, tout comme le subtil commentaire de Maugis, roman qu’il avait décodé avec délice (« Maintenant, je sais qui vous êtes » m’écrivit-il). De mon côté, j’ai recensé nombre de ses livres, dédicacés au feutre vert (et quelles formules !) ici ou là. Chaque entretien avec lui, de vive voix ou au téléphone (« tant pis pour les tables d’écoute»), me laissait l’esprit dilaté. La rate aussi, tant il pouvait me faire rire avec cet humour grinçant de soudard pétri de littérature. Sacré Jean ! Son éditeur Vladimir Dimitrijevic confiait un jour que, sortant d’un cinéma avec Parvulesco et Dominique de Roux, Jean s’était lancé dans un ahurissant commentaire, n’ayant qu’un rapport extrêmement lointain avec ledit film tant ce phénomène avait développé ses capacités de visionnaire que les aveugles prennent pour insigne folie. A l’entendre, je croyais me trouver devant un mixte d’Eliade et d’Abellio, devant un mystagogue doublé d’un truand sorti d’un film en noir et blanc de son ami Melville. L’homme était attentif à ses cadets, qu’il encourageait ; il était curieux et au courant de tout malgré son isolement dans cette chambre du boulevard Suchet, aux murs écaillés, dont la nudité serrait le cœur.
Adieu, camarade.
Sit tibi terra levis !
Christopher Gérard
24 novembre MMX
Il est question de Jean Parvulesco dans mon Journal de lectures
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